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Des conditions de vie souvent indignes

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 97-102)

U N D IS P O S IT IF D ’ A C C U E IL D E S D E M A N D E U R S D ’ A S IL E IN A D A P T É Un peu plus de 80 000 demandes d’asile ont été déposées en France en 2015, ce qui représente une augmentation de 23,6 % par rapport à l’année précédente 2. Cette ten-dance semble n’avoir pas été anticipée alors qu’elle était prévisible et que le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile était déjà saturé depuis des années. Avec l’en-trée en vigueur de la loi portant réforme de l’asile et la période de rodage des nouveaux dispositifs, c’est dans une grande confusion que s’opère « l’accueil » des personnes migrantes arrivant sur le territoire français. À titre d’exemple, la mise en place d’un système d’enregistrement de la demande d’asile au sein de plateformes spécifiques, dont l’activité est plafonnée administrativement, conduit à un engorgement massif du dispositif — en particulier en Île-de-France. Dans l’impossibilité de bénéficier de ce pré-accueil, les personnes migrantes ne peuvent accéder au dispositif national d’ac-cueil des demandeurs d’asile : « Ce système condamne plusieurs milliers de personnes vulnérables à vivre pendant plusieurs mois en situation irrégulière, dans une grande précarité, sans accès aux droits fondamentaux et avec le risque d’être arrêté, retenu et expulsé 3 ».

Cette politique manque aussi cruellement d’ambition. Ainsi, le pa rc de pla c es d’ h é b erg ement dé dié es a u x dema ndeu rs d’ a sile est la rg ement sou s-dimensionné a u reg a rd des b esoins actuels et à venir. Si le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile prévoit d’élargir le parc de 49 834 places au 1er janvier 2015 (dont 25 723 places en CADA) à 60 864 places en 2017 (dont 40 352 places en CADA), et malgré un effort sans précédent en 2015 et 2016, les acteurs associatifs s’accordent à reconnaître que cette dynamique est salutaire mais encore insuffisante.

B ID O N V IL L E S E T S Q U A T S : U N E G E S T IO N IN E F F IC A C E E T S E G M E N T A IR E D E S H A B IT A T S D E F O R T U N E

Conséquence du sous-dimensionnement du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile et de la saturation du système généraliste d’hébergement, des bidonvilles, squats et autres formes d’habitat de fortune se développent sur le territoire, en particulier à Paris et sur le littoral nord de la France. Si la vague migratoire de l’année 2015 a contribué à renforcer le phénomène en intensité et en visibilité, elle n’en est pas à l’origine, puisque les bidonvilles ont resurgi en France il y a plus de 25 ans.

Entre juin 2015 et novembre 2016, de nomb reu x « c a mpement s » se sont c onst it u é s da ns P a ris, occupés par des personnes migrantes sans ressources (demandeurs d’asile, réfugiés, personnes en situation irrégulière…), laissant pendant

2 OFPRA, rapport d’activité 2015.

3 Lettre ouverte de salarié(e)s de la PADA gérée par France terre d’asile, Mediapart, 21 mai 2016.

des mois des milliers de personnes dans le plus complet dénuement. Trente de ces campements ont été évacués et, selon les chiffres de la préfecture, plus de 21 700 places d’hébergement ont été proposées. La qualité et la stabilité de ces dernières ne sont pas toujours satisfaisantes, notamment s’il s’agit de gymnases ouverts temporairement.

C’est pourquoi certaines personnes quittent parfois assez rapidement ces structures et reconstituent des campements. Ce cycle semble voué à se reproduire, en l’absence de réponse structurelle des pouvoirs publics. Les conditions de mise en œuvre des opérations d’évacuation ne respectent pas toujours les droits les plus élémentaires et la dignité des personnes concernées : information, respect des biens et effets personnels 4… À partir de l’été 2016, la volonté politique de ne pas laisser se constituer de tels campements s’est traduit par une présence policière renforcée, des contrôles accrus de la situation administrative des personnes, la délivrance d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) et l’édification de grilles sur les lieux évacués, à tel point que les associations France terre d’asile et Emmaüs Solidarité ont suspendu pour un temps leurs maraudes à Paris, en forme de protestation.

En octobre 2016, le gouvernement a procédé à l’évacuation du bidonville de Calais et orienté 6 000 de ses occupants vers des structures d’hébergement réparties sur l’ensemble du territoire. Dans un contexte de saturation générale, cette opération a été rendue possible par l’ouverture de plus de 300 centres d’accueil et d’orientation (CAO et CAOMI pour les mineurs isolés), portant à 5 000 le nombre de places en CAO prévues en 2017. Malgré un satisfecit général, force est de constater que l’ é v a c u a t ion du b idonv ille de C a la is, mise en œuvre en quelques jours – après tant de mois voire d’années d’attente –, n’ a pa s t ou j ou rs permis de prendre en c ompt e les prob lè mes et a spira t ions des personnes, en particulier les nombreux mineurs non accompagnés présents sur le site, à tel point que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a estimé que « peu de cas a été fait en réalité de l’intérêt supérieur de ces enfants ».

Contrairement aux lieux occupés par des migrants extra-européens, les expulsions des bidonvilles occupés par des ressortissants européens s’effectuent généralement en toute discrétion, souvent sans solution d’hébergement à la clé. Si une mission nationale de résorption des bidonvilles a été confiée à ADOMA en 2014, peu de préfets y ont recours et ses résultats sont très limités, malgré certaines initiatives locales positives soutenues par la DIHAL. En 2015, plus 11 000 personnes ont été expulsées, soit environ 60 % de la population vivant en grands squats ou bidonvilles (hors Calais). Sur les 111 opérations d’expulsion et d’évacuation recensées, seules 29 ont donné lieu à des propositions d’hébergement pour quelques personnes et pour quelques nuitées en général 5.

4 La Fondation Abbé Pierre a saisi la Commission européenne pour que celle-ci contrôle les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’opération d’évacuation, en mai 2016, de 280 personnes du lycée J ean J aurès, dans le 19e arrondissement de Paris.

5 LDH et ERRC, « Recensement des évacuations forcées de lieux de vie occupés par des Roms (ou des personnes désignées comme telles) en France ». Pour les trois premiers trimestres 2016, la même enquête fait état de près de 7 200 personnes expulsées de 61 emplacements, donnant lieu à des solutions partielles dans 30 cas.

Le niveau de protection offert aux personnes expulsées de leur lieu de vie semble donc très inégal en fonction de leur statut et origine supposés, tendant à distinguer les « bons réfugiés », des « migrants économiques ».

G E S T IO N D E L ’ U R G E N C E E T R IS Q U E D E N IV E L L E M E N T V E R S L E B A S D E S D IS P O S IT IF S D ’ H É B E R G E M E N T

La législation française gradue les prestations auxquelles peuvent prétendre les indivi-dus en fonction de leur statut au regard du droit au séjour. Ainsi, une personne en si-tuation régulière a droit au logement social. Un étranger dont la demande d’asile est en cours d’examen peut normalement bénéficier d’un hébergement au sein d’une struc-ture dédiée, tandis qu’un étranger en situation irrégulière ne peut prétendre en France qu’à une structure d’hébergement d’urgence, en vertu du principe d’accueil incondi-tionnel. Or, on constate une tendance à la diminution des standards. Le cadre légal est de plus en plus écorné par le développement de dispositifs ad hoc offrant des presta-tions inférieures à celles prévues par la loi. C’est notamment le cas des centres d’accueil et d’orientation (CAO) créés sur l’ensemble du territoire depuis novembre 2015 pour y orienter les personnes migrantes sans abri, isolées ou non, quel que soit leur statut au regard du droit au séjour et de la demande d’asile. La Cimade a, par exemple, critiqué la

« nature dérogatoire et inégalitaire du dispositif » et dénoncé le placement en rétention administrative de certaines personnes passées par ces centres 6. La Charte de fonction-nement des CAO, diffusée à l’été 2016, devrait permettre d’assurer une certaine harmo-nisation entre les centres, mais révèle également leurs faiblesses. Ainsi, alors qu’au sein des CADA le taux d’encadrement peut varier d’un ETP (équivalent temps plein) pour 10 à 20 personnes hébergées, il est d’un ETP pour 30 au sein des CAO.

Les mêmes réserves trouvent à s’appliquer à propos de l’ouverture récente, à Paris, d’un dispositif assurant une fonction de « pré-centre d’accueil et d’orientation » en fournissant une mise à l’abri temporaire aux personnes migrantes en errance. A ssu -rer u n a c c u eil dig ne à c es personnes est u ne dé ma rc h e é v idemment indis-pensa b le, et plus adaptée que des campements de fortune régulièrement évacués, mais cela ne constitue qu’une réponse d’urgence, dont l’efficacité dépend de la fluidité du dispositif, et donc de solutions de sorties en nombre suffisant.

Au-delà des solutions d’urgence, de premier accueil, voire d’hébergement chez des particuliers, c’est avant tout l’ouverture de places pérennes et adaptées aux besoins des personnes qui devrait être prioritaire. A f in d’ a ssu rer u n ré el a c c è s a u x droit s des personnes, il c onv ient de f a v oriser leu r ent ré e da ns de v é rit a b les disposit if s d’ h é b erg ement , de log ement et d’ a c c ompa g nement , que ne sont ni les dispositifs de premier accueil ni les centres d’accueil et d’orientation. Ces derniers peuvent être utiles pour répondre immédiatement à des situations de détresse manifestes, mais l’urgence consiste surtout à renforcer, dès aujourd’hui, les dispositifs publics conformes aux exigences posées par le droit français et européen, seules solutions dignes et viables sur le long terme.

6 http:/ / w w w .lacimade.org/ presse/ des-soudanais-trompes-a-calais-risquent-lexpulsion/

L E S D É B O U T É S D E L ’ A S IL E : U N T R A IT E M E N T IN Q U IE T A N T D A N S U N S Y S T È M E S A T U R É

Dans un contexte de mise en concurrence des publics précaires, et de tri récurrent entre les personnes migrantes, les personnes déboutées de l’asile appartiennent aux catégories les moins bien traitées du point de vue d’accès à l’hébergement. N’ayant pré-tendument pas « vocation » à rester durablement en France, leur maintien au sein de structures d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile est considéré comme indu, si bien qu’une procédure dérogatoire moins protectrice que la procédure classique a été mise en place pour les en expulser plus rapidement 7. L’accélération du traitement de la procédure d’asile et la recherche de places d’hébergement tous azimuts par les préfectures poussent alors certaines structures d’hébergement à libérer des places au sein de leur structure en ayant recours à cette nouvelle procédure.

En outre, s’agissant des déboutés de l’asile, les pouvoirs publics, et même les juridic-tions, estiment pouvoir déroger au principe de l’accueil inconditionnel, considérant que ces personnes n’auraient droit à un hébergement qu’en cas de « circonstances par-ticulières faisant apparaître, pendant le temps strictement nécessaire à [leur] départ, une situation de détresse suffisamment grave pour faire obstacle à ce départ 8 », pour reprendre les termes du Conseil d’État. À cet égard, le Défenseur des droits a rappelé qu’en matière d’hébergement, « la sélection des personnes concernées ne [peut], en tout état de cause, constituer la variable d’ajustement d’un dispositif inadapté à la de-mande 9 ».

Une telle approche est périlleuse puisqu’elle laisse chaque année des dizaines de mil-liers de personnes dans une extrême fragilité, en situation de voir leurs droits les plus fondamentaux, comme le droit à l’hébergement, déniés par la puissance publique, et de devenir les victimes de marchands de sommeil (voir portrait de M. D. ci-dessous), alors que chacun sait que de nombreuses personnes déboutées resteront tant bien que mal sur le territoire national.

U N E D IL U T IO N D E S R E S P O N S A B IL IT É S P O L IT IQ U E S

La construction d’une politique publique respectueuse des droits des personnes, adaptée à leurs besoins et leurs projets nécessite une vision d’ensemble, une coordination des acteurs et une détermination claire des responsabilités natio-nales et locales. Or, les politiques d’accueil des personnes migrantes s’inscrivent aujourd’hui dans un vaste réseau d’acteurs au sein duquel les responsabilités sont parfois diluées : OFPRA pour l’examen de la demande d’asile, OFII pour l’organi-sation des conditions matérielles d’accueil, mission de coordination de l’accueil des réfugiés assurée par le préfet Kléber Arhoul en lien avec le préfet Jean-Jacques Brot,

7 Article R.744-45 du CESEDA et instruction ministérielle du 6 mai 2016.

8 Conseil d’État, n° 369750, 4 juillet 2013.

9 Défenseur des droits, « Les droits fondamentaux des étrangers en France », mai 2016, p. 214.

plateforme nationale de logement des réfugiés pilotée par la DIHAL, coordinateurs départementaux du « plan migrants », préfectures, élus locaux, bailleurs, associa-tions, etc. Cet enchevêtrement d’acteurs intervenant à divers échelons territoriaux favorise une certaine déresponsabilisation. Si de nombreux efforts restent à faire sur le plan de l’accueil des personnes migrantes, il s’agit en premier lieu de lutter, à tous les échelons, contre l’idée selon laquelle « plus on les accueille mal, moins [elles] viendront 10 », au nom d’un hypothétique « appel d’air » à éviter.

Monsieur D., 36 ans, en situation irrégulière pendant 11 ans : des années de précarité face au logement avant la régularisation Monsieur D. est arrivé sur le sol français en 2003 à l’âge de 23 ans en pro-venance d’Afrique de l’Ouest. En situation irrégulière, il ne peut a priori prétendre à un logement. Son parcours montre comment cette restriction de l’accès au logement imposée aux personnes dépourvues d’un titre de séjour peut mener au développement de filières parallèles.

Il commence ainsi son parcours chez un proche, au nord de l’Île-de-France, qui l’héberge dans son salon pour quelques nuits. Après avoir été escroqué de plusieurs centaines d’euros par un intermédiaire qui lui promet de l’aider pour ses papiers et son logement, il se retrouve alors chez un cousin en ban-lieue Est, qui lui demande 390 euros par mois pour l’héberger.

Cette situation, qu’il juge intéressée, pousse Monsieur D. à trouver une alternative. Une personne loue une chambre pour lui dans un foyer en Seine-Saint-Denis. Monsieur D. lui rembourse chaque mois 286 euros.

Pendant 9 ans, Monsieur D. va ainsi rester dans cet établissement vétuste, dans une pièce avec 3 autres personnes : « Les rapports sont difficiles, pour la tranquillité… Tu paies ton loyer, mais tu n’as pas le choix. Il y a du bruit, on n’a pas tous la même mentalité. C’est usant, il n’y a pas d’intimité. » Durant ces 9 années, Monsieur D. travaille sans interruption comme conducteur d’engins dans les Yvelines, loin de son foyer : « J e travaille dur pour avoir une vie plus décente, je travaille beaucoup. Se lever le matin, et aller là-bas, ç a me prend presque deux heures. » Il gagne alors près de 2 000 euros par mois, dont une partie lui sert aussi à payer ses impôts sur le revenu.

Au cours de cette période, il tente à trois reprises de se faire régulariser avec l’aide d’une avocate : « J ’ai arrêté de la voir, ç a ne marchait pas. J e lui avais déjà donné 2 400 euros et ç a n’avait rien donné. » Il obtiendra

10 Centre Primo Levi, « De l’accueil au contrôle, catégoriser pour nommer », Entretien avec Catherine W ithol de W enden par Marie Daniès, in Mémoires n° 66, mars 2016.

finalement sa régularisation en 2014, suite à sa rencontre avec une militante associative, Madame A.

Un mois après, Monsieur D. accède enfin à une chambre individuelle en résidence sociale. Le soulagement est intense : « On m’a dit ‘ ’c’est bon, la maison c’est à toi’’. J ’ai appelé Madame A., j’étais content. C’est important, c’est à mon nom, je ne suis plus hébergé. Là je paye 325 euros par mois, c’est très bien », et ce même si les sanitaires et la cuisine sont partagés avec les autres résidents.

Avec son titre de séjour d’un an renouvelé, Monsieur D. sait que son parcours est loin d’être terminé. Il espère aujourd’hui obtenir une carte de résident de dix ans pour pouvoir enfin accéder à un logement autonome, lui qui n’a connu jusqu’à présent que les foyers et l’hébergement chez des proches.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 97-102)

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