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L., 27 ANS, DANS UN HLM TROP CHER POUR LUI :

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 79-86)

Le modèle du logement social français est fragilisé

M. L., 27 ANS, DANS UN HLM TROP CHER POUR LUI :

« SI JE NE M’EN SORS PAS, JE PARTIRAI… »

M. L., 27 ans, a subi trois années de galère dans un studio en résidence sociale, après une rupture conjugale qui le fait sombrer dans l’alcoolisme, l’errance et la dépression. « Normalement, on ne reste pas aussi longtemps en résidence sociale. ais moi j’étais fracassé. » Peu à peu, avec l’aide des intervenants sociaux qui l’accompagnent et après un traitement adapté, il reprend pied : « Pendant toute cette période, j’ai fait deux cures. un moment, les médocs et l’alcool me détruisaient, donc j’ai presque tout arrêté. » Il parvient également à enchaîner plusieurs contrats d’insertion, qui lui assurent des ressources minimales (« j’ai encore les Assédic, parce que j’ai bossé trois fois 6 mois ») et lui ouvrent l’accès à un logement social PLUS.

Il vient d’emménager dans un logement Hlm de l’agglomération lilloise, un deux-pièces d’une soixantaine de mètres carrés dans un immeuble neuf, qui représente à ses yeux une véritable bouffée d’oxygène : « J ’ai un logement formidable. C’est comme un r ve. l est tout neuf, en centre ville. e ne savais m me pas que ça existait. e suis au e, j’ai une baie vitrée, je vois l’église éclairée, il y a un espace vert en bas e me sens mieux, ça va mieux. » S’acquittant d’un loyer de 330 euros hors charges, M. L. craint toutefois que ce nouveau cadre de vie ne puisse pas être pérenne, car il prévoit une baisse de ses revenus en même temps qu’une augmentation notable de ses dépenses de logement. En effet, avec la fin de ses indemnités chômage, et malgré son éligibilité à l’aide personnalisée au logement (APL), son taux d’effort approchera des 50 % (environ 800 euros de revenus constitués du revenu de solidarité active et de l’APL, pour près de 410 euros de loyer charges comprises) : « Les gens se plaignaient du loyer en résidence so ciale. oi aussi, je trouvais que 3 0 euros pour une di aine de mètres car rés, ça faisait cher. ais en fait ce n’était pas cher, car on ne payait ni les taxes, ni l’eau, ni l’électricité » M. L., qui ne sait pas s’il sera ou non exo-néré de taxe d’habitation, n’avait pas imaginé les choses sous cet angle, avant d’arriver.

Son angoisse est d’autant plus grande que son emménagement correspond à un nouveau départ. Dans ce contexte, quitter son logement serait vécu comme un retour en arrière. « J e vais voir pendant un an. Si je ne m’en sors pas, je partirai, même si je souhaiterais rester pour la vie. »

L ’ ob j ec t if n’ est donc pa s simplement de « produ ire 1 5 0 0 0 0 log ement s soc ia u x » sans se préoccuper de leur niveau de loyer réel. Il f a u t produ ire des c a t é g ories de log ement s en ph a se a v ec la dema nde. Or, alors qu’aujourd’hui 74 % des demandeurs sont sous les plafonds de ressources PLAI, seuls un quart des logements sociaux financés leur correspondent. À l’inverse, les PLS, les logements sociaux haut-de-gamme aux loyers élevés, représentent 28 % des nouveaux Hlm, alors que seuls 4 % des demandeurs correspondent à ce niveau de ressources. Ce qui plaide pour mettre l’accent sur les PLAI et les PLUS, en limitant significativement les majorations.

Une production neuve en décalage avec la demande Les trois quarts des demandeurs sont sous plafonds PLAI,

pour un quart de l’offre neuve

Évolution du nombre de logements locatifs sociaux financés depuis 2006, hors Anru, hors DOM

2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

93 625 91 697 95 105 115 539 127 648 112 292 99 984 115 196 105 484 108 921

Source : DGALN, Infocentre SISAL, 11 janvier 2016.

4 nafo, « Propositions pour améliorer le développement des résidences sociales et pensions de famille dans les départements d’outre-mer », novembre 2015.

Au-delà des catégories de logements sociaux à construire, il c onv ient a u ssi de v eiller à c e q u e les loy ers des log ement s c onst ru it s soient c ou v ert s pa r les A P L et, pour être plus précis, de chercher à ce que les loyers plafonds des loge-ments correspondent aux loyers plafonds APL. Cela avait été l’une des raisons de la création du PLUS en 1999 dont les loyers avaient été fixés au niveau des loyers APL.

Mais très vite les écarts se sont creusés, contribuant à une moindre solvabilisation des locataires Hlm. Si bien que 82 % des PLUS et même 50 % des PLAI dépassent actuellement les plafonds APL.

À quand l’égalité d’accès aux APL outre-mer ?

S’il est nécessaire de défendre la solvabilisation des locataires Hlm par les APL, il ne faut pas oublier que ceux des départements d’outre-mer, quant à eux, n’y ont pas droit. Cette inégalité territoriale s’explique historiquement par des conditions de financement spécifiques du logement social, notamment des aides à la pierre avantageuses rassemblées au sein de la « ligne budgétaire unique » (LBU). Les locataires de logements sociaux outre-mer peuvent bénéficier d’autres aides personnelles, comme l’AL ou l’ALS. Celles-ci sont assez proches des APL, sauf pour les occupants de résidences sociales. Si bien qu’un bénéficiaire isolé du RSA-socle, par exemple, logé dans une pension de famille dont la redevance est de 400 euros, touchera 371 euros à Marseille mais seulement 176 euros à Fort-de-France4. Cette inégalité flagrante pénalise durement ces résidents et freine le développement des résidences sociales outre-mer, notamment les pensions de famille.

Les Hlm récents sont plus chers

Source : SOeS, RPLS au 1er janvier 2016, parc locatif social.

Des Hlm trop souvent au-dessus des plafonds APL Répartition des logements du parc social en 2014 selon le rapport entre le loyer quittancé et le loyer-plafond APL, en fonction du type de logement

Total

Part des loyers inférieurs au loyer-plafond APL Supérieurs de 0 à 20 %

Supérieurs de 20 à 40 % Supérieurs de plus de 40 %

Comment éviter, d’une manière ou d’une autre, ces majorations sans pénaliser les bailleurs, qui en ont souvent besoin pour l’équilibre économique de leurs opérations ? En prolongeant l’effort de mutualisation financière entre bailleurs engagé depuis quelques années, mais aussi en renforçant les aides publiques.

La subvention initiale supplémentaire nécessaire pour réduire un loyer neuf de 10 % sur la durée de vie du logement est d’environ 15 000 euros. En appliquant ce raisonnement à la moitié des logements sociaux PLAI-PLUS construits chaque année, soit 40 000 logements, le coût supplémentaire pour l’État serait de l’ordre de 600 millions d’euros. Soit à peu de chose près le montant de la hausse des aides à la pierre promise en 2012 par le futur Président de la République. Il est donc primordial, pour sanctuariser des financements publics conséquents et offrir aux acteurs des perspectives fiables, de v ot er u ne loi de prog ra mma t ion plu ria n-nu elle pou r le log ement soc ia l, à la manière du plan de cohésion sociale de 2004, q u i permet t e d’ a ssu rer u n f ina nc ement pu b lic à la h a u t eu r des ob j ec t if s of f ic iels.

Produire des logements sociaux sans veiller à ce qu’ils soient accessibles à la majorité des demandeurs au regard de leurs ressources, c’est accepter de développer un parc social à deux vitesses : les ménages les plus modestes étant nécessairement orientés vers les fractions les plus anciennes du parc social, celles construites avant 1980 qui offrent les loyers les plus faibles, ce qui contribue alors à leur paupérisation.

Pour lutter contre cette évolution, il faut veiller à ramener le loyer de sortie des PLUS et des PLAI au niveau des loyers plafonds APL pour que les ménages les plus modestes y aient accès, mais il faut aussi a g ir su r les loy ers des log ement s ex ist a nt s. Ce sont eux q u i f ou rnissent en effet c h a q u e a nné e l’ essent iel de l’ of f re disponib le à la location et c’est à travers leur remise en location que se modèle l’occupation du parc locatif social. Or les niveaux de loyer qui y sont pratiqués ont été fixés en fonction de leurs conditions de financement au moment de leur construction. Il en résulte une rigidité de l’offre qui constitue un obstacle à l’accueil des ménages à bas revenus dans l’ensemble du parc social et plus généralement au développement de politiques de peuplement maîtrisées respectueuses à la fois du droit au logement et de la mixité sociale. Une rigidité contre laquelle il serait pos-sible d’agir via un assouplissement du modèle, tel que le prévoit la loi Égalité et Ci-toyenneté ou via le reconventionnement en PLAI ou PLUS de logements PLS. Des dispositions qui, en tout état de cause, nécessitent des financements publics accrus pour compenser la baisse de loyer.

Le logement social, un bien commun à défendre

Ainsi est formulé le titre de la « feuille de route » conclue le 29 septembre 2016 entre le mouvement Hlm et l’État. Mieux qu’une formule, la notion de « bien commun » appliquée au logement social reflète une réalité économique qu’il faut sans doute rappeler. Le parc de logements sociaux représente une véritable richesse collective, accumulée par les efforts financiers de plusieurs générations. Le Premier ministre présent au congrès Hlm de Lyon le 25 septembre 2014 en était manifestement conscient puisqu’il s’adressait ainsi aux congressistes : « Vous tous, présidents, administrateurs, dirigeants, et salariés, vous êtes les dépositaires d’un patrimoine construit grâce à l’argent des locataires, de l’État, des collectivités locales et des entreprises. » Des années auparavant, le ministre du Logement Louis Besson rappelait régulièrement que le patrimoine Hlm était le « patrimoine de la Nation ».

Ce patrimoine n’a pas vocation à être approprié autrement que par une poli-tique raisonnée de vente aux locataires, au cas par cas, une « respiration » normale permettant le réinvestissement des fonds ainsi collectés. Il est d’ailleurs protégé par une législation spécifique. Pourtant, des inquiétudes

ont été exprimées ces dernières années face à des perspectives de restruc-turation du monde Hlm. En 2010, par exemple, où le président de l’USH dénonçait à l’occasion de ses vœux ceux qui « s’essaient à jouer au grand Meccano en pensant peut-être au grand Monopoly ». Ou plus récemment, à propos de la réorganisation d’Action Logement, quand certains avaient évoqué la perspective que le patrimoine Hlm serve à financer les retraites.

La création du pôle « Action logement immobilier », structure de portage des actions de l’ex-« 1 % » dans les sociétés Hlm, et directement sous le contrôle des partenaires sociaux, est cependant plutôt protectrice du patrimoine. Tout du moins tant qu’organisations patronales et syndicales au niveau national resteront d’abord préoccupées, comme on peut le penser et le souhaiter, par la question du lien emploi-travail et les besoins criants de logement des salariés. Les partenaires sociaux, « dépositaires » d’une partie importante du patrimoine social constitué notamment grâce à leur effort, doivent dans ce sens être des garants du logement social « bien commun ».

Le patrimoine Hlm peut susciter bien des convoitises, de la part de ceux qui considèrent qu’un bien commun, de mainmorte, est appropriable et qu’il serait temps d’activer les « plus-values latentes » de ces millions de logements. Le modèle économique du logement social, générant chaque année un autofinancement significatif, ressemble à certains égards, si l’auto-financement ne devait pas être réinvesti, à celui des sociétés d’autoroute. Et on sait dans quelles conditions l’État, à la recherche de recettes, a jugé bon de « capitaliser » la rente des sociétés d’autoroute en les privatisant. La tentation de partager les fruits du patrimoine entre leurs dépositaires et un État impécunieux ne peut donc être totalement exclue. La Fondation s’opposerait résolument à toute tentative de s’approprier tout ou partie du bien commun.

Il est donc nécessaire de chercher à le protéger, et ce quel que soit le statut de l’organisme « dépositaire » et gestionnaire. La création d’outils juridiques nouveaux, comme les organismes de foncier solidaire et le bail réel solidaire, permet d’esquisser une piste : distinguer la propriété du patrimoine, qu’il conviendrait de loger dans une structure garantissant son inaliénabilité globale (hors « respiration » comme la vente aux locataires), et les droits réels de son exploitation confiés à son « dépositaire » pour une longue durée (comme celle de 99 ans que peut atteindre le bail réel solidaire).

CHAPITRE 4. Mobilisation du parc

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 79-86)

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