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L’encadrement des loyers, condition pour des APL efficaces

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 175-178)

La modération des taux d’effort des locataires doit passer à l’avenir par un meilleur encadrement des loyers, mais ce débat ne doit pas faire oublier que l’outil principal à cet égard réside aujourd’hui dans le versement d’aides personnelles au logement (APL), d’un montant de 18 milliards. Or, l’encadrement des loyers constitue égale-ment une solution centrale pour limiter la hausse des allocations logeégale-ment, et sortir par le haut du débat sur leurs effets prétendument inflationnistes.

Depuis la réforme du financement du logement de 1977, le c h oix a é t é f a it de s’ a ppu y er su r les a ides à la personne pou r f a v oriser l’ a c c è s a u log ement locatif ou à la propriété des ménages modestes. Mais on imaginait à l’époque que les ménages bénéficieraient d’une amélioration continue de leur pouvoir d’achat et donc que le temps de versement de l’aide serait limité. Aujourd’hui, celle-ci est de-venue pérenne et essentielle pour permettre aux ménages modestes de faire face à leurs dépenses de logement orientées à la hausse. L’augmentation continue des ressources affectées au financement des aides à la personne a alors été limitée au prix d’une réduction de leur pouvoir solvabilisateur : les loyers plafonds pour le calcul de l’aide n’ont pas été suffisamment actualisés et sont aujourd’hui bien infé-rieurs aux loyers de marché, ainsi que dans une moindre mesure aux loyers des logements sociaux les plus récents, les locataires s’acquittant de la différence.

Cette évolution conduit à deux réflexions. La première pour souligner le rôle central des aides à la personne afin de réduire le coût du logement des plus modestes. Elles constituent un élément essentiel des mécanismes de redistribution en faveur des ménages modestes appartenant aux trois premiers déciles des revenus, à tel point que les APL sont aujourd’hui aussi redistributrices que les minima sociaux et participent autant que ceux-ci à la réduction de la pauvreté11. C’est pour cela que les tentatives récurrentes d’en réduire l’impact sur le budget public doivent être dénoncées et combattues comme des attaques portées aux plus

10 75 % d’opinions favorables d’après un sondage Opinion W ay réalisé pour le compte du réseau Orpi en juin 2015.

11 nsee, France Portrait social 201 , fiche « Revenus, niveaux de vie ».

12 J acques Friggit, « L’incidence des effets de structure sur la surcroissance du loyer des locataires à bas revenu du parc privé, 1970-2013 », novembre 2016.

13 Pierre Madec, « Les aides personnelles au cœur de la politique du logement en France », Revue française des affaires sociales, 2016 n 3.

14 Ibid.

pauvres. De plus, contrairement à ce qui est souvent avancé, le poids des APL dans les dépenses publiques n’est pas hors de contrôle, puisque, depuis 1996, elles pèsent chaque année le même poids, soit 1,0 % du PIB, selon les Comptes du logement.

La seconde réflexion conduit à souligner les limites des aides à la personne quand l’évolution des loyers du parc privé n’est pas maîtrisée. En effet, si le niveau des APL a été maintenu en termes de dépenses publiques, malgré la crise et la hausse des loyers, celles-ci solvabilisent de moins en moins les locataires suite aux diverses mesures de « recentrage ». Au-delà d’une volonté de limiter ces dépenses sociales, les APL sont régulièrement brocardées pour leur supposé effet inflationniste. Si un tel effet est possible, nul n’est capable d’en mesurer la portée réelle. L’économiste Jacques Friggit, dans une analyse récente de la dernière Enquête Nationale Logement, montre que la hausse des prix correspond avant tout à une amélioration de la qualité des logements des allocataires APL et de manière générale à des effets de structure (taille, localisation et durée d’occupation du parc), et n’est donc pas spécialement la conséquence d’un effet inflationniste des APL12.

En tout état de cause, il est possib le d’ a u g ment er les A P L pou r modé rer les t a u x d’ ef f ort des loc a t a ires modest es en ma î t risa nt leu r é v ent u el ef f et inf la t ionnist e si les loy ers sont c orrec t ement enc a dré s. Il serait ainsi possible de corriger certaines injustices des APL comme le mois de carence, qui pénalise sans raison les nouveaux locataires, ou la sous-actualisation du forfait charges des APL, qui sous-évalue fortement le montant des charges réellement acquittées par les locataires. De manière plus structurelle, des APL revalorisées permettraient de faire reculer drastiquement le nombre de ménages en effort financier excessif. D’après les calculs de l’économiste Pierre Madec de l’OFCE, il serait possible de limiter le taux d’effort net des allocataires à 30 % grâce aux APL, pour un montant de 2,8 milliards d’euros supplémentaires13. En se limitant à un bonus APL destiné à ramener ce taux d’effort à 35 % pour les 950 000 allocataires ayant un reste-à-vivre à 65 % du seuil de pauvreté, la somme serait de 1,3 milliard.

À une échelle plus modeste, la CNAF avait calculé en 2012 qu’un bonus d’APL visant à ramener à 30 % maximum le taux d’effort des allocataires APL habitant dans des logements chers, situés entre 120 et 180 % du loyer-plafond APL, coûte-rait 1,1 milliard14. On le voit, les sommes en jeu sont importantes mais, ne serait-ce qu’en ciblant bien l’équivalent de 5 % des APL, il serait possible de modérer gran-dement l’effort financier de centaines de milliers de ménages en effort financier excessif. Et de compléter les effets d’un encadrement des loyers renforcé.

Conclusion

Naturellement, l’encadrement n’est pas la solution parfaite ou définitive aux loyers trop chers. Il comporte certains défauts, à commencer par des normes complexes devant trouver à s’appliquer sur un marché locatif d’une grande diversité. Il ne saurait remplacer l’accès au logement social pour les ménages en difficulté (voir chapitre 3) et une politique volontariste de construction de logements à prix acces-sible (voir chapitre 12). Mais il s’agit d’une solution qui a des ef f et s c onc ret s et direc t s, sonna nt s et t ré b u c h a nt s, pou r les mé na g es c onf ront é s à u n ma rc h é t iré v ers le h a u t pa r la pé nu rie de logements en zones tendues. Des effets qu’une politique de construction ne saurait produire dans un délai proche.

Sans compter que certains marchés très tendus, comme Paris et les centres des métropoles les plus attractives, risquent de le rester à long terme, puisque s’y confrontent une demande presque infinie de ménages souhaitant y vivre, par choix ou obligation, et une offre structurellement limitée par les limites physiques de la ville. Dans ce rapport de force défavorable aux locataires, il est donc du rôle de la puissance publique de f ix er des limit es à ne pa s dé pa sser da ns l’ a c c è s à c e b ien de premiè re né c essit é qu’est le logement, sous peine de les précariser da-vantage ou de réserver les villes les plus attractives aux ménages les plus riches ou aux touristes.

La limitation des revenus locatifs des bailleurs suscite naturellement de leur part des résistances. Mais une politique équilibrée devrait pouvoir également, en échange, leur proposer u ne sé c u risa t ion des rev enu s loc a t if s, à travers une garantie universelle contre les impayés, qui hélas a été partiellement abandonnée (voir cha-pitre 7).

Pour les bailleurs qui accepteraient de limiter davantage leurs loyers, une garantie encore plus complète devrait leur être proposée, ainsi qu’un crédit d’impôt propor-tionnel à leur effort et une gestion locative garantie, dans le cadre de la mobilisation du parc privé à vocation sociale (chapitre 5). Enfin, au-delà des bailleurs individuels, une politique du logement ambitieuse devrait imposer, en échange des importants avantages fiscaux en leur faveur (sur l’assurance-vie ou l’épargne salariale notamment), un retour des investisseurs institutionnels dans l’immobilier locatif résidentiel intermédiaire15.

15 Terra Nova, « Politique du logement : et les investisseurs institutionnels ? », mai 2013.

CHAPITRE 11. Sécuriser l’accession

à la propriété plutôt que

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