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Tous propriétaires : un projet irréaliste, coûteux, inégalitaire et risqué

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 179-182)

Dans un contexte de prix de l’immobilier élevés et d’instabilité économique et financière, on peut s’interroger sur la pertinence d’un modèle de société basé sur la promotion à tout prix de la propriété occupante, à l’instar du slogan de la « France de propriétaires » développé lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012.

Un certain nombre de signaux négatifs (taux d’effort de plus en plus élevés, frais de copropriété « cachés », dépassement de budgets, hausse de la fiscalité locale, précarité de l’emploi…) sont là pour nous rappeler que l’incitation à la proprié-té occupante est aussi un choix politique parmi d’autres, par ailleurs potentielle-ment facteur de fragilisation. L a c ompa ra ison ent re É t a t s mont re d’ a illeu rs q u ’ u n f ort t a u x de proprié t a ires n’ est pa s spé c ia lement sy nony me de prospé rit é . En Suisse, le taux de propriétaires était de 44 % et de 52 % en Alle-magne, alors qu’il était de 58 % en France et de 96 % en Roumanie en 2013. Suisse et Allemagne sont d’ailleurs deux des pays qui connaissent « la plus faible latitude de décision du bailleur et la plus forte protection du locataire2 ».

L a proprié t é immob iliè re, ma lg ré les a ppa renc es, est u n a c t if plu t ô t risq u é . Elle consiste pour les épargnants à « mettre tous leurs œufs dans le même panier ». Les coûts de transaction sont élevés, si bien qu’il est souvent déconseillé d’acheter plutôt que de louer pour un ménage qui n’est pas sûr de rester plusieurs années au même domicile. Dans une économie en restructuration rapide, avec des impacts territoriaux parfois brutaux, et dans une société marquée par l’instabilité croissante des reconfigurations familiales, l’acte d’achat d’un logement constitue un pari sur l’avenir qui n’est pas toujours victorieux, loin de là.

2 Bernard Vorms, « Propriété et location, les statuts d’occupation ne sont pas des catégories universelles ! », Études foncières, n° 151, mai-juin 2011.

Différentes expériences – en France, mais surtout à l’étranger, comme au Royaume-Uni de Margaret Thatcher avec le « right to buy » (droit à l’achat) – de favoriser l’accession des classes populaires en cédant massivement des logements sociaux ont par exemple montré les risques d’une telle politique, si elle est systématique.

D’une part, cela aboutit pour la puissance publique à se départir d’un outil indis-pensable, le parc social, à destination des ménages les plus en difficulté, après avoir pourtant contribué à son financement. D’autre part, cela implique de transformer souvent des ensembles immobiliers en copropriétés, a u risq u e de c ré er des c oproprié t é s en dif f ic u lt é au bout de quelques années. La vente de logements sociaux peut donc se faire mais au cas par cas, de manière bien encadrée, de pré-férence aux occupants, quand ils le souhaitent, après travaux et à condition que le bailleur social assure un service de syndic pour éviter les futures copropriétés dégradées. En tout état de cause, ces ventes ne peuvent pas servir de modèle éco-nomique du parc social de substitution au désengagement de l’État.

D ’ u n point de v u e é c onomiq u e, la proprié t é oc c u pa nt e pou r t ou s n’ est pa s non plu s opt ima le, si elle contribue à piéger des accédants dans des zones peu dynamiques en emploi et freine leur mobilité. D’un point de vue écologique, si les ménages à bas revenus n’ont d’autre choix que d’accéder en lointaine péri-phérie, cela contribue à l’étalement urbain, à la consommation des terres agricoles et à l’artificialisation des sols, et impose des déplacements en voiture coûteux aux habitants excentrés.

M. ET MME D., 4 ENFANTS, SURENDETTÉS, OBLIGÉS DE VENDRE LEUR MAISON

M. et Mme D., 33 et 30 ans, ont 4 enfants de 2 à 8 ans. Locataires jusqu’en 2009 d’un petit deux-pièces à la Ferté-Gaucher, en Seine-et-Marne, ils décident d’acheter une maison de 90 m² avec trois chambres et un jardin, située sur un terrain isolé dans une petite commune avoisinante. Les D., qui n’ont pas d’apport personnel, s’endettent à hauteur de 146 000 euros pour couvrir l’achat (120 000 euros) et les frais de notaire, pour un remboursement mensuel fixé à 950 euros sur 30 ans.

Mal informés au moment de leur achat, les D. déchantent en s’installant : le logement est très mal isolé, le chauffage est électrique et les radiateurs de très mauvaise qualité. Leurs factures EDF s’élèvent à 220 euros par mois. « Et avec 3 bébés, on était obligés de chauffer… mais on ne s’y attendait pas du tout », indique Mme D. Des travaux d’isolation permettent de réduire un peu ces fac-tures, mais les D. doivent les réaliser par eux-mêmes et en supporter seuls les coûts.

À l’époque, M. D. est chauffeur routier et a un revenu entre 2 000 et 2 200 euros mensuels. Mme D., vendeuse, est en congé maternité et gagne entre 1 000 et 1 100 euros. Hors nourriture, leurs charges fixes mensuelles s’élèvent à 2 200 euros, comprenant le remboursement de l’emprunt, l’électricité, l’eau, l’assu-rance habitation et les frais relatifs à la scolarité, soit 70 % de leurs revenus.

La perte d’emploi de M. D., en 2014, déstabilise le fragile équilibre financier du ménage. Depuis, avec ses indemnités chômage et des missions d’intérim, il parvient tout juste à gagner 1 300 euros mensuels. Ils continuent quand même à payer pendant les premiers mois, mais M. et Mme D. sont parfois contraints de se priver de nourriture. Depuis la mi-2014, ils ne parviennent plus du tout à rembourser leur emprunt et sont en situation d’impayés, alors qu’ils n’avaient pas souscrit d’assurance du crédit immobilier. « À l’époque on ne savait pas, et comme on travaillait tous les deux, on n’était pas inquiets… », explique Mme D. La banque leur propose alors un premier crédit à la consommation, puis un deuxième, qui aggravent encore leur situation. « J e n’aurais jamais dû accepter leurs offres… Avec les agios et les pénalités, c’est de pire en pire », regrette Mme D.

Une assistante sociale leur fournit des bons alimentaires et une association leur alloue un colis hebdomadaire de nourriture. La commission de surendettement leur propose de vendre leur bien, mais les D. refusent faute de solution de relo-gement. Une décision de justice d’avril 2016 les y contraint, en leur accordant 20 mois pour vendre, alors que M. et Mme D. n’ont pour l’heure pas de solution de relogement.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 179-182)

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