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La précarité énergétique, fléau social et sanitaire

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 138-141)

D e plu s en plu s de mé na g es ne pa rv iennent pa s à c h a u f f er c orrec t ement leu r log ement . Le pourcentage des ménages déclarant avoir eu froid au cours de l’année est en hausse très marquée depuis des années. Alors que seuls 10,9 % des ménages s’en plaignaient en 1996, ce taux est monté à 14,8 % en 2002 puis 18,8 %

1 Bernard Ledésert, CREAI-ORS, « Liens entre précarité énergétique et santé : analyse conjointe des enquêtes réalisées dans l’Hérault et le Douaisis », 2013. Fondation Abbé Pierre, « Quand c’est le logement qui rend malade. Précarité énergétique et santé. Actes du colloque au CESE », décembre 2013.

2 OFCE, « La mesure du coût économique et social du mal-logement », octobre 2015.

en 2013. En 2013, 4 767 000 ménages, soit 11 026 000 personnes, se sont plaints d’avoir eu froid, la plupart du temps pour des raisons liées à leur situation finan-cière, durement impactée par la montée du prix des énergies et la crise économique (1 070 000 ménages), à la mauvaise isolation de leur logement (2 107 000 ménages) ou à la faible performance de leur chauffage (1 267 000 ménages).

La Fondation Abbé Pierre a initié une étude sur les impacts sanitaires de la précarité énergétique, qui a confirmé la perception plus forte d’une santé dégradée par les personnes exposées à la précarité énergétique, u ne f ré q u enc e a c c ru e de pa t h olog ies c h roniq u es (bronchites, arthrose, anxiété, dépression, maux de tête…) et aiguës (rhumes, angines, grippe, diarrhées…), ainsi que des symptômes associés (sifflements respiratoires, crises d’asthme, rhumes des foins, irritations oculaires…). Parmi les adultes exposés à la précarité énergétique, 48 % souffraient de migraines et 41 % d’anxiété et dépression (contre respectivement 32 % et 29 % chez les ménages non exposés) ; chez les enfants, l’exposition à la précarité énergé-tique conduit à multiplier par quatre les symptômes de sifflements respiratoires1. D’après une étude économétrique de l’OFCE, le fait d’habiter dans un logement difficile à chauffer accroît de 50 % le risque de se déclarer en mauvaise santé2. La précarité énergétique peut aussi avoir des ef f et s en c a sc a de. Des chauffages inadaptés ou des installations défectueuses peuvent ainsi être utilisés par les ménages, induisant un risque d’intoxication au monoxyde de carbone (CO), surtout en cas de calfeutrage des ouvertures. Environ 1 000 épisodes d’intoxication acciden-telle au CO sont déclarés chaque année, exposant en moyenne 3 000 personnes. La précarité énergétique peut également dégrader la salubrité de l’habitat, en favorisant l’apparition (ou l’augmentation) d’humidité et moisissures par phénomène de condensation.

Outre le froid, le coût des énergies, dans un logement mal isolé et difficile à chauffer, grève durement les budgets des ménages modestes. D’après l’Observa-toire national de la précarité énergétique, 3,6 millions de ménages, soit 1 4 % des mé na g es f ra nç a is, c onsa c rent plu s de 1 0 % de leu rs rev enu s pou r se c h a u f f er, dont les trois quarts appartiennent aux 30 % les plus modestes. Portant le nomb re t ot a l de mé na g es en pré c a rit é é nerg é t iq u e, selon les dif f é -rent s c rit è res, à 5 , 6 millions en 2 0 1 3 , soit 1 2 , 1 millions de personnes.

MME L., LOCATAIRE D’UNE MAISON DÉGRADÉE ET ÉNERGIVORE Mme L. est arrivée dans l’arrière-pays montpelliérain avec son fils adolescent il y a près de dix ans, suite à une mutation professionnelle. Après avoir vécu dans des logements trop petits, une connaissance lui propose voici six ans un logement de 70 m2 au rez-de-chaussée d’une maison de centre-bourg divisée en trois logements. « Ici ç a me semblait un peu plus grand, avec une chambre, un salon où je pouvais installer un canapé-lit et une cuisine. » Rapidement, Mme L. s’aperçoit néanmoins que son nouveau logement est très humide : les murs et le plafond de la cuisine s’effritent, des moisissures apparaissent dans toutes les pièces. Le logement n’est étanche ni à l’air ni à l’eau : « Il y a un tel jour sous la porte que quand il pleut, l’eau rentre dans mon logement. Sinon, ce sont les feuilles, la poussière… J ’ai mis un coussin devant la porte pour boucher le trou ; et quand il pleut, je mets des serpillières. J ’ai acheté un déshumidificateur, mais chaque semaine la galette était pleine d’eau et il fallait la changer… j’ai laissé tomber. Et les peintures, j’ai arrêté, car il faudrait les refaire tous les six mois. »

En raison de l’humidité du logement, les affaires s’abîment : « Le matelas de mon fils est moisi. Le canapé qui est dans sa chambre aussi. Tout ce qui peut prendre l’humidité est mouillé : les draps, les vêtements… J e laisse le linge pendu lorsqu’il est propre et repassé, mais il est toujours humide.

Même le buffet commence à sentir le moisi. J ’ai déjà jeté un canapé… » Les conséquences sont également perceptibles sur la santé de Mme L. et de son fils : « On est enrhumés toute l’année, été comme hiver. On dort sur des lits humides. L’asthme dont mon fils souffrait enfant est revenu. Et moi j’ai des plaques sur la peau. » Pourtant, ils n’ont pas vu de médecin depuis longtemps, et se sentent de plus en plus isolés : « Le docteur, on le voit pas trop… On s’isole, quand on est mal logé. On en arrive à un point où on a honte de recevoir les gens. On n’a plus envie de rien, on ne s’occupe plus de soi… On a l’impression d’avoir tout raté. »

Enfin, la mauvaise isolation thermique du logement implique des charges d’énergie élevées : pendant les mois d’été, la facture d’électricité de Mme L.

atteint 100 euros par mois. S’y ajoute le loyer, qui s’élève à 375 euros, pour 64 euros d’aide au logement. Après avoir travaillé plus de 35 ans dans la banque, Mme L. assure aujourd’hui des remplacements ponctuels dans une maison de retraite. Ses revenus, très faibles et irréguliers, ne lui permettent pas de faire face aux dépenses. Ce sont les missions d’intérim de son fils qui leur permettent de vivre : « Moralement, ç a ne passe pas. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. C’est moi qui devrais l’aider. » En hiver, la famille chauffe peu, pour limiter les frais : « L’hiver, on coupe le chauffe-bain. Le chauffage, on n’en met pas trop. De toute faç on, sinon, on chauffe la rue. »

Mme L. a alerté ses propriétaires sans succès : « J ’ai demandé plusieurs fois qu’ils réparent la porte, mais je n’ai jamais eu de nouvelles. » Au printemps 2016, Mme L. ne parvient plus à faire face aux factures. Les relations avec ses propriétaires se dégradent brutalement : « Ils m’ont envoyé un rappel à l’ordre avec un huissier, pour un seul mois de loyer en retard ! » Mme L.

s’adresse alors à l’assistante sociale de la mairie, qui l’oriente vers le Conseil départemental. La CLCV est sollicitée pour mettre en place une médiation avec les propriétaires, que Mme L. n’ose plus relancer.

Suite à ce premier courrier de l’association, les propriétaires effectuent de petits travaux : amélioration de l’installation électrique, installation d’un compteur électrique réglementaire, peinture du plafond de la cuisine, et ins-tallation d’une ventilation. « Ils ont fait des choses, mais ç a ne change pas la situation. De nouvelles marques d’humidité sont déjà apparues au plafond, même pas trois mois après. Et ils n’ont rien fait pour la porte : ils m’ont dit que c’était bien que l’air rentre, pour la ventilation ! »

Mme L. et son fils ont déposé une demande de logement social et poursuivent leurs recherches dans le parc privé : « On cherche aussi de notre côté un logement adapté, mais c’est au moins 700 euros… » Avec son fils, elle va régulièrement observer l’avancée du chantier de construction de logements sociaux à la périphérie de leur commune, espérant accéder un jour à un appartement : « J e rêve d’un logement propre, clair, avec une chambre pour mettre un lit avec un matelas sec. Fermer la porte le soir et me dire :

“ je suis dans ma chambre” ! »

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 138-141)

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