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Quand les pauvres et les « prioritaires » passent après…

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 61-64)

Face à cela, les pouvoirs publics essaient régulièrement de rétablir davantage de justice. « Les critères de priorité (…) sont pris en compte dans les procédures de désignation des candidats et d’attribution des logements sociaux », souligne ainsi l’article 70 de la récente loi Égalité et Citoyenneté. Il est tout de même étonnant que le législateur ait eu à rappeler ce principe élémentaire : les critères de priorité d’attribution de logements sociaux, rappelés régulièrement dans le

3 Lab’Urba – Université Paris Est, « Analyse des facteurs et des pratiques de discriminations dans le traitement des demandes de logements sociaux à La Camy, Nevers, Paris, Plaine Commune et Rennes Métropole », Rapport pour le Défenseur des droits et le PUCA, juin 2015.

4 Etude d’impact du projet de loi Égalité et Citoyenneté.

code de la construction et de l’habitation depuis près de trente ans, doivent être pris en compte dans les procédures d’attribution de logements sociaux. Si cette précision peut sembler tautologique, son rappel dans la loi en 2016 s’explique par la g ra nde ré t ic enc e de nomb reu x a c t eu rs loc a u x à a ppliq u er c es c rit è res lé g a u x . Preuve que la simple mise en œuvre de la loi n’est toujours pas admise par tous. Dans les faits, les c rit è res de priorit é sont ré g u liè -rement contournés au nom de plusieurs motifs di ciles à définir, parmi lesquels les problèmes de solvabilité des demandeurs, la mixité sociale ou la préférence communale 5.

L e premier mot if inv oq u é est la c a pa c it é des dema ndeu rs H lm de s’ a c q u it t er de leu r loy er. Cette condition semble assez logique pour éviter de provoquer des situations d’impayés et des procédures d’expulsion. Mais elle conduit inexorablement, en raison de la précarisation des demandeurs et de loyers du parc social de plus en plus élevés dans l’offre la plus récente (voir chapitre 3), à éconduire davantage les ménages à bas revenus du parc social, alors que peu de solutions abordables et correctes existent pour eux dans le parc privé. De plus, l’évaluation de la capacité à payer, qui se mesure par le taux d’effort et le reste-à-vivre, n’est pas toujours formalisée ni la même pour tous les organismes, et n’est pas justifiée lors des notifications de refus adres-sées au demandeur. Dès lors, elle peut servir de prétexte commode pour refuser des candidats à bas revenus qui pourraient pourtant accéder à des logements à loyers modérés. Il est à saluer les réformes en vigueur (par exemple dans l’Isère) ou en cours (par exemple en Île-de-France 6) visant à créer un référen-tiel commun à ce sujet.

Ensuite, nomb re de mé na g es modest es sont é v inc é s a u pré t ex t e de la mix it é soc ia le. De nombreux bailleurs ou élus locaux refusent des ménages à bas revenus ou prioritaires dans leur parc pour éviter une concentration de pauvreté, ou de « ménages à problèmes » dans le même immeuble, ensemble, quartier ou ville. Cet objectif n’est pas illégitime en soi, mais, sans critère précis ni proposition alternative dans d’autres quartiers, il sert parfois de paravent à des pratiques discriminatoires. Dans la pratique, cette mixité sociale se trans-forme parfois en mixité « ethnique » et permet de refuser – de manière illé-gale – des demandeurs aux patronymes à consonance étrangère, parfois sup-posément dans leur propre intérêt. Comme le dit le consultant Julien Vitteau :

« Les mal-logés souffrent autant du mal qu’on leur fait que du bien qu’on leur veut. » L a priorit é donné e a u x dema ndeu rs de la c ommu ne est un autre usage bien établi, intériorisé par de nombreux acteurs au-delà même du simple contingent communal, souvent sous pression des élus communaux qui cherchent à privilégier leurs administrés, et parfois formalisé noir sur blanc

5 Lab’Urba – Université Paris Est, op. cit.

6 AORIF, « Réformer la demande et les attributions en Î le-de-France », juin 2016.

dans les documents officiels. Cette préférence communale constitue pourtant un obstacle majeur à une ouverture des quartiers aisés aux ménages les plus pauvres, concentrés dans les communes de relégation, et un frein à une meil-leure répartition territoriale des ménages à bas revenus 7. Le projet de loi Égalité et Citoyenneté prétendait mettre un terme à cette pratique éminemment discri-minatoire. Mais sa formulation ambiguë (« L’absence de lien avec la commune d’implantation du logement ne peut constituer à soi seul le motif de la non-attribution d’un logement ») lui enlève toute effectivité. La non-appartenance à la commune ne peut en effet presque jamais être isolée parmi les multiples raisons possibles qui peuvent être invoquées pour refuser un demandeur.

Dalo : une avancée utile mais encore très insuffisante

Face à ces dysfonctionnements, le droit au logement opposable (Dalo) avait été pensé en 2007 comme un moyen pour l’État de se forcer lui-même à loger les ménages déclarés prioritaires, qui peuvent réclamer justice au cours d’une procédure amiable puis contentieuse. Dix ans après l’adoption de cette loi, le bilan, loin d’être totalement satisfaisant, est toutefois ins-tructif sur l’intérêt d’une telle démarche contraignante.

Près de 59 000 ménages Dalo attendent toujours le logement promis par la loi. L’observation précise des causes de cette défaillance, sur le terrain, montre que les obstacles à leur relogement perdurent bien souvent : non recours au droit, refus ou incapacité d’accompagnement des ménages dans la procédure, sévérité accrue des Commissions de médiation (COMED), identification et mobilisation défaillantes du contingent préfectoral et d’Ac-tion Logement, freins des commissions d’attribud’Ac-tion, proposid’Ac-tions de loge-ment inadaptées et radiations abusives en cas de refus ou de non-réponse, frilosité des élus locaux, voire stigmatisation « des Dalo » 8

Mais le processus enclenché par cette loi prête davantage à l’optimisme.

Tout d’abord, 103 000 ménages prioritaires Dalo ont obtenu un logement au cours de cette période. La procédure Dalo a permis de faire apparaître un chiffre, décliné par département, de ménages demandeurs Dalo bien identifiés « en attente de relogement », régulièrement rappelé aux autori-tés, médiatisé, porté par les associations et des instances dédiées comme le Comité de suivi Dalo, et même rappelé par la Cour européenne des droits

7 Fabien Desage, « “ Un peuplement de qualité “. Mise en œuvre de la loi SRU dans le périurbain résidentiel aisé et discrimination discrète », Gouvernement et action publique 2016/ 3 (N° 3), p. 83-112.

8 Marie-Arlette Carlotti, présidente du HCLPD et du Comité de suivi de la loi Dalo, « Rapport sur l’effectivité du droit au logement opposable », mission d’évaluation dans 14 départements, 2016, p. 49.

de l’Homme, qui a condamné la France en mai 2015 en raison de l’ineffec-tivité de ce droit.

Outre cette visibilité accrue de ménages jusqu’alors laissés dans l’ombre, le bilan en termes de relogement concret n’est pas si décevant. En-dehors des départements les plus tendus, être reconnu « prioritaire Dalo » permet à des dossiers qui, pour diverses raisons, avaient été laissés de côté depuis longtemps, de revenir au-dessus de la pile des attributions Hlm. « Toutes choses égales par ailleurs, en moyenne et sur l’ensemble des demandes, la probabilité d’accéder au logement social augmente significativement lorsque la demande émane d’un ménage reconnu Dalo. Il s’agit de la va-riable ayant l’impact positif le plus fort sur la probabilité de relogement », conclut même un rapport Credoc-FORS 9.

Surtout, ce nouveau droit pousse l’État à imaginer progressivement des réponses pour limiter les condamnations en justice à répétition, à « recon-quérir » le contingent préfectoral, avant que la loi contraigne Action Lo-gement à y consacrer un quart de ses attributions, puis que ce quota soit désormais appliqué également aux collectivités sur leur contingent.

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 61-64)

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