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Des politiques en manque de financements

Dans le document L’état du mal-logement en France (Page 125-129)

L’intérêt à agir, pour les pouvoirs publics, ne se limite pas à prévenir les drames ou améliorer le confort de vie des habitants. L ’ a c t ion c ont re l’ h a b it a t indig ne est é g a lement port eu se d’ a mé liora t ion du niv ea u de sa nt é g é né ra l des popu la t ions, et permet des é c onomies su r les dé penses de sa nt é , même pour des désagréments qui pourraient sembler bénins. D’après une analyse économétrique menée par l’OFCE, toutes choses égales par ailleurs, un ménage vivant dans un logement humide a 40 % de risques de plus de se plaindre d’un mauvais état de santé 6. Des proportions similaires sont mesurées en cas de logement surpeuplé, difficile à chauffer ou bruyant.

5 Données du ministère du Logement.

6 OFCE, « La mesure du coût économique et social du mal-logement », octobre 2015.

C’est pourquoi les opérations d’amélioration de l’habitat, qu’il s’agisse des Opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) ou des Programmes d’intérêt général (PIG), sont un exemple de bonne utilisation des deniers publics et devraient être mieux financées et plus nombreuses qu’aujourd’hui. Ces opérations permettent en effet de mobiliser, sur un périmètre précis, des financements supérieurs au droit commun et une assistance technique et humaine. Mais, faute de moyens, les objectifs quantitatifs fixés par les services de l’État par département sont parfois très faibles.

Pourtant, u n pla n à g ra nde é c h elle de lu t t e c ont re l’ h a b it a t indig ne, s’ il est bien financé, peut donner des résultats importants, comme l’a montré l’action de la Mairie de Paris au cours des années 2000, avec un programme d’intérêt général d’éradication de l’habitat indigne (PIG EHI), appuyé sur des financements de l’ANAH (89 millions d’euros) abondés par des crédits de la Ville de Paris (35 millions), un opérateur public offensif, la SIEMP, des procédures d’expropriation d’immeubles, des indicateurs fins pour cibler 1 000 immeubles dégradés, obtenant « des résultats probants grâce à une forte implication financière, l’utilisation combinée des outils incitatifs et coercitifs et la mobilisation du parc social pour assurer le relogement 7 », avec au final 41 600 logements traités entre 2005 et 2008.

Hélas, très peu de collectivités disposent de moyens comparables. L e t ra it ement des sit u a t ions et les moy ens a c c ordé s à la L H I sont t rè s iné g a u x su r le t errit oire, les zones rurales ou semi-rurales étant sous-dotées. Tandis que des communes pauvres, comme Saint-Denis ou Aubervilliers, doivent faire des choix entre les quartiers à traiter, alors qu’ils devraient parfois être tous prioritaires, si les budgets le permettaient, tant l’habitat indigne y est répandu 8.

Des moyens financiers supplémentaires ne sont pas simplement nécessaires pour financer des travaux, mais aussi pour disposer de moyens humains capables d’animer les dispositifs et de suivre les procédures. Or, les effectifs affectés à la lu t t e c ont re l’ h a b it a t indig ne sont en b a isse c onst a nt e, principalement dans les services de l’Etat : 689 ETP en 2011, 667 en 2012, 600 en 2013 sur le territoire. Chaque dossier est pourtant chronophage en raison de la complexité des situations qui nécessitent toutes de consacrer du temps au « facteur humain » pour comprendre la situation des occupants, souvent fragilisés, recueillir toutes les informations nécessaires, et les soutenir dans une démarche d’amélioration de leurs conditions de vie. De ce fait, la réduction des postes de « terrain », qu’il s’agisse d’instruire techniquement les signalements, faire le lien avec les occupants, contrôler l’exécution des arrêtés, est particulièrement dommageable.

7 Cour des comptes, « Le logement en Î le-de-France : donner de la cohérence à l’action publique », 2015.

8 Mathilde Costil, « Saint-Denis face au défi de l’habitat insalubre, enjeux et politiques publiques », op. cit.

Les agences régionales de santé partagent souvent un même constat sur le manque de moyens humains (1 à 2 ETP mobilisés en moyenne sur un département en charge de l’habitat indigne). L’action des ARS se concentre donc sur les dossiers les plus urgents et sur les propriétaires bailleurs, avec une prise d’arrêtés effective qui reste limitée (5 à 30 selon les départements). Seuls quelques territoires ont déployé des moyens d’action conséquents, comme l’ARS du Nord, qui permettent la mise en œuvre et le suivi d’actions coercitives (300 arrêtés par an). Les ARS ne peuvent pas généralement assurer pleinement leur mission complémentaire d’appui technique auprès des SCHS et des maires pour les conseiller sur l’utilisation des procédures de police. Cet accompagnement reste informel et limité à quelques cas, malgré les besoins exprimés.

Appréhender la complexité des copropriétés dégradées Le problème des copropriétés se pose avec une acuité particulière dans les quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville. Or, le Programme national de rénovation urbaine (PNRU) s’est concentré sur les logements sociaux, et nombre de copropriétés dégradées des quartiers concernés n’ont pas été intégrées au premier programme ou tardivement. Par exemple à Mantes-la-Jolie, au Val Fourré, à la fin du PNRU, des copropriétés dégradées sont restées non-traitées au cœur d’un parc social rénové.

De plus, les modalités de financement des projets Anru et leur durée ne coïncident pas avec les aléas et la durée de mise en œuvre des programmes d’intervention sur les copropriétés en difficulté plus longue et plus difficilement maîtrisable, du fait des complexités propres à leur statut privé, à leur régime juridique, et parce que les opérations ne dépendent pas d’un seul acteur mais d’une multitude de propriétaires. En outre, les copropriétés dégradées ont été intégrées tardivement dans les PRU, ce qui a engendré des dérapages financiers à la charge des opérateurs, et des projets inaboutis. Par exemple, les occasions et la durée du portage pour l’acquisition de lots étant souvent incertaines en copropriété, celle-ci a un coût très variable selon la durée de l’opération.

Ensuite, outre les démolitions, les principes d’intervention concentrés sur le bâti et la maîtrise du peuplement, n’ont pas permis un « redressement durable » pour certaines copropriétés. Cet « impensé » tient au fait que la gestion n’est pas une catégorie traditionnelle des politiques du logement, et pourtant, dans les grands ensembles en copropriété auxquels s’est attaqué le PNRU, les difficultés de gestion (souvent issue des conditions de production des bâtiments, dont des malfaçons juridiques et techniques, des infrastructures initialement inexistantes…) sont centrales dans la spirale de dégradation.

En somme, bien que les « symptômes » soient les mêmes (paupérisation des habitants, dégradation du bâti), il faut donc un traitement différencié du parc social et du parc privé collectif. En copropriété, les facteurs de dégradation et les leviers d’intervention (mobilisation des copropriétaires aux parcours et intérêts pluriels, accompagnement et capacitation des habitants, investissement du syndic et du Conseil syndical dans le projet de rénovation, maîtrise des charges courantes et des impayés, adhésion au programme de travaux et financement des travaux par des prêts et des subventions individuels et collectifs, articulation des outils incitatifs et coercitifs pour lutter contre les marchands de sommeil) se différencient des problèmes du parc social. Les copropriétés en difficulté nécessitent donc un traitement spécifique et au cas par cas, construit avec les copropriétaires et plaçant les habitants en son centre.

Dans le nouveau PNRU, la convention ANRU/ANAH prévoit une meilleure intégration des copropriétés dès le diagnostic et une clarification des rôles des deux financeurs. On retrouve ces perspectives dans le plan triennal de l’ANAH et dans les nouveaux outils de la loi Alur. Il s’agit de renforcer la prévention et le repérage pour intervenir plus précocement, lorsque les difficultés sont encore réversibles et de développer des outils pour les situations les plus lourdes (administration provisoire renforcée, réforme de l’administration provisoire et abandon de créance, opérations de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national...).

Au final, il appara t que les moyens alloués à la lutte contre l’habitat indigne restent relativement modestes et que les moyens complémentaires apportés par les collectivités sont bien trop inégaux selon les territoires. Concernant l’ANAH, qui ne concentre pas toutes les dépenses publiques en la matière mais en reste le principal opérateur, elle y consacre à peine plus de 100 millions d’euros par an en moyenne depuis dix ans. Ce qui montre que cette action n’est pas pour l’État une politique prioritaire, malgré un discours qui affiche le contraire depuis des années. La Cour des comptes estime d’ailleurs que cet effort « pas négligeable, (...) reste modeste au regard des enjeux ». Et conclut que « les taux de subvention de l’ANAH, y compris pour les logements très dégradés et insalubres, ne sont plus suffisamment incitatifs pour les bailleurs » 9.

S’agissant des propriétaires occupants (la moitié des situations d’habitat indignes), qui peuvent bénéficier de subventions ANAH conséquentes, ils restent confrontés à la difficulté de supporter le coût restant à leur charge, qui nécessite un vrai effort des financeurs complémentaires (collectivités, groupes de protection sociale…) et la création d’un outil de microcrédit habitat efficace et adapté. Un fonds d’aide à

9 Cour des comptes, « Le logement en Î le-de-France : donner de la cohérence à l’action publique », 2015.

la réalisation de petits travaux pourrait aussi être utile pour faire face à l’urgence,

L’action incitative, à travers les multiples dispositifs existants, si elle est mieux financée et davantage portée politiquement, est à même de résoudre de nombreuses situations d’indignité. Toutefois, elle s’avère impuissante face aux nombreux cas avérés où le bailleur, volontairement, refuse de respecter ses obligations. C’est le cas naturellement de la part des « marchands de sommeil », mais également, sans aller jusque-là, de la part de nombreux bailleurs qui auraient les moyens d’améliorer les conditions de logement de leurs locataires mais s’y refusent.

C’est pourquoi l’ a c t ion inc it a t iv e doit ê t re a c c ompa g né e, pou r ê t re e cace, d’une action coercitive en cas de mauvaise volonté. Et cette coercition, pour être crédible, doit pouvoir s’appliquer efficacement, publiquement et rapidement, et servir d’exemple aux bailleurs récalcitrants. Or, c’est loin d’être le cas à l’heure actuelle. Du début à la fin des procédures, les pouvoirs publics font généralement preuve d’une grande frilosité pour faire simplement respecter la loi.

L’évolution du nombre d’arrêtés pris chaque année au nom du code de la santé publique montre la f a ib lesse de l’ a c t ion pu b liq u e, en regard du nombre de

Traitement de l’habitat indigne et très dégradé par l’ANAH

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