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Chapitre 5. La construction de l’objet de la recherche : du vécu au questionnement de

5.3. Des engagements et des désengagements aux formes et fonctions multiples

5.3.2. Premiers éléments de définition de l’engagement et du désengagement

Au terme de cette reprise d’éléments de l’intervention renvoyant à ce que nous avons appelé des « manifestations » ou encore des « mouvements » d’engagement et de désengagement, des premiers éléments de définition de notre objet de recherche peuvent être proposés. L’engagement et le désengagement renvoient à des investissements, des implications, des mobilisations variables au travail, variables dans les degrés et variables dans la forme : les professionnels s’engagent et se désengagent plus ou moins, mais aussi dans des modalités changeantes. L’engagement et le désengagement semblent par exemple pouvoir être subis, et/ou résulter d’une forme de choix, d’arbitrage actif en situation des professionnels et des collectifs (en fonction de leurs analyses de la situation et de leurs propres objectifs qui les poussent ou non à s’engager). Ils peuvent être individuels mais aussi partagés, et même portés collectivement par des pairs qui s’accordent alors sur des tâches ou des objectifs en direction desquels s’investir, et d’autres moins légitimes ou sortant des frontières de leur métier. Si l’engagement que nous regardons ici ne relève pas de l’action syndicale, quand il prend la forme de revendications et de protestations, portées collectivement, il peut s’en rapprocher. L’engagement comme le désengagement ne sont ainsi pas des attributs du sujet, indépendants de la situation. Un ensemble de facteurs (individuels, collectifs, organisationnels) peuvent les générer, les soutenir, ou à l’inverse les entraver, les empêcher.

Ainsi l’engagement et le désengagement ne sont pas uniformes et d’un bloc. Ils sont mouvants dans les situations, où ils se construisent et se déconstruisent, se superposent et coexistent, pour un même individu ou un même collectif, dans des configurations multiples. Précisons-le d’emblée, il n’y a ici aucune connotation « morale » ou de « valeur » à l’engagement ou au désengagement.

Nous ne partons pas du postulat qu’il serait « bien » d’être engagé dans son travail et « mal » de ne pas l’être. Nous observons plutôt que les personnes vont plus ou moins se mobiliser en fonction des moments et des situations, des demandes et des injonctions qui leur sont faites, et que ceci semble avoir une signification et des raisons. De ce point de vue, comprendre l’engagement et le désengagement peut permettre de saisir quelque chose de ce qui se joue subjectivement, pour les professionnels au travail, dans la réalisation de leurs tâches et la situation de travail.

Par ailleurs l’engagement et le désengagement ne nous paraissent pas être des états statiques mais plutôt des processus. Nos observations amènent à mettre l’accent sur le caractère « en mouvement » et « construit » de ces phénomènes. Le suffixe « -ement » permet de construire un nom d’action à partir d’un verbe, mais aussi un nom renvoyant au résultat de cette action. Ici le résultat n’est jamais définitivement arrêté, et c’est l’action ou le verbe associé qui constituent notre objet : les mouvements de construction/déconstruction/reconstruction de l’engagement et du désengagement, les actions de « (s’)engager » et « (se) désengager ».

D’autres termes peuvent se rapprocher de celui d’engagement, comme ceux d’investissement, d’implication ou de mobilisation. Si nous avons retenu celui d’engagement, c’est parce que c’est celui qui est apparu dans l’intervention, à la fois dans nos écrits et interrogations « de terrain », et dans les échanges avec notre commanditaire et les professionnels. Il présente par ailleurs l’intérêt de pouvoir penser les mouvements qui nous intéressent à différents niveaux, des plus micros aux plus macros, de l’engagement spécifique dans une tâche à l’engagement plus large dans les orientations du service, dans la définition de ses objectifs et moyens, dans son organisation.

Questionnement de départ sur l’engagement et le désengagement au travail

D’abord obstacles, difficultés ou étonnements dans le cours de l’intervention, ces différents mouvements d’engagement et de désengagement, et particulièrement leurs aspects paradoxaux ou contradictoires, sont devenus pour nous des objets de questionnement. La reprise d’éléments empiriques et cliniques, issus de notre intervention et en lien avec l’engagement et le désengagement, nous amène à les envisager comme relevant de processus complexes, à explorer, et soulève un ensemble de questions :

Comment définir l’engagement et le désengagement au travail ? Comment se développent l’engagement et le désengagement ?

Comment s’articulent-ils l’un avec l’autre ? Comment comprendre leurs formes paradoxales et contradictoires ?

Quelles sources, quelles ressources et quels obstacles peut-on identifier aux mouvements d’engagement et de désengagement ? Notamment, qu’est-ce qui dans l’organisation du travail produit, nourrit ou empêche ces processus ?

Quels types de conflits ces processus génèrent-ils chez les sujets et dans les collectifs ? Quels liens entre l’engagement, le désengagement et la santé ?

Troisième partie :

Ressources théoriques

A partir de quels cadres et références théoriques penser les mouvements d’engagement et de désengagement apparus, vécus et observés dans notre intervention ? Sur quelles ressources s’appuyer pour les qualifier et les analyser, et notamment spécifier les différentes formes et fonctions de l’engagement et du désengagement de ces professionnels au travail ? Quelles théories et grilles de lecture pourraient contribuer à éclairer les dynamiques par lesquelles l’engagement et le désengagement se déploient et s’articulent entre eux, en lien avec l’organisation du travail, des contextes sociaux et professionnels particuliers, et des fonctionnements psychiques individuels et collectifs ?

Dans le premier chapitre de cette partie, nous regarderons pour commencer les approches de l’engagement et de l’implication au travail qui ont été développées en psychologie du travail et des organisations, depuis les premières tentatives de synthèse de Mowday, Steers et Porter (1982) sur l’engagement organisationnel (organizational commitment). Nous nous arrêterons sur des éléments de définition et verrons que différents concepts ou notions se sont développés autour de l’engagement et de l’implication des professionnels au et/ou dans leur travail, sans qu’il ne soit toujours aisé de les distinguer clairement sur le plan conceptuel et dans les recherches empiriques. Si certains éléments de ces conceptions classiques peuvent participer à préciser ce que sont et ne sont pas les phénomènes que nous cherchons à étudier, ou encore recouper ou alimenter certains de nos questionnements, nous verrons que ces travaux ne permettent pas de construire un cadre d’analyse des processus que nous avons décrits.

Dans le chapitre suivant, nous nous tournerons alors vers d’autres perspectives théoriques qui amènent à regarder les phénomènes d’engagement et de désengagement sous l’angle de leurs liens avec l’activité et comme des conduites porteuses de sens.

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