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Chapitre 6. L’ « engagement » en psychologie du travail et des organisations

6.1. L’engagement organisationnel

6.1.2. Engagement affectif, engagement de continuité, engagement normatif

En psychologie du travail, la question de l’engagement est initialement abordée dans des travaux sur l’« organizational commitment ». Les premiers travaux sur l’engagement organisationnel se développent dans les années 1960 et on doit à Mowday, Porter et Steers (1982) une première synthèse des définitions existantes. Selon eux, les différentes définitions de l’engagement organisationnel présentes dans la littérature scientifique peuvent être classées en deux grandes catégories : celles qui mettent le focus sur l’engagement en tant qu’attitude et celles qui mettent le focus sur l’engagement en tant que comportement. Les auteurs soulignent le lien entre les deux dimensions : la disposition psychologique vis-à-vis de l’organisation et les actions des individus dans cette organisation s’expliquent mutuellement et s’auto-entretiennent. Comprendre comment l’engagement se construit demande de considérer les deux dimensions. Ils proposent pour leur part une définition de l’engagement organisationnel qui insiste sur l’engagement comme attitude, sans pour autant le délier des actions des personnes. L’engagement organisationnel serait un engagement affectif qui renvoie à la force relative de l’identification et de l’implication de quelqu’un dans une organisation particulière. Il se caractérise par : (a) une forte acceptation et croyance dans les buts et les valeurs de l’organisation, (b) une volonté d’exercer des efforts au profit de l’organisation, (c) un fort désir de rester membre de l’organisation (Mowday, Porter et Steers, 1982, p.27). L’engagement organisationnel est un processus actif, dans le sens où il dépasse la simple loyauté vis-à-vis de l’organisation : il implique aussi le fait que les individus soient prêts à donner d’eux-mêmes pour le bien-être de l’organisation et agissent en ce sens1. Ainsi

l’engagement organisationnel peut s’approcher à travers ce que les individus disent mais aussi à

1 « [Organizational commitment] involves an active relationship with the organization such that individuals are willing to

give something of themselves in order to contribute to the organization’s well-being. Hence, to an observer, commitment can be inferred not only from the expressions of an individual’s beliefs and opinions but also from his or her actions.»

travers ce qu’ils font. Sur la base de leur définition, Mowday et al. mettent en place une échelle de mesure1 qui sera utilisée dans de nombreuses études empiriques dans les années 1980 et 1990.

En 1991, Meyer et Allen posent à leur tour la question de la grande diversité des conceptualisations et des mesures de l’engagement organisationnel. Ils proposent alors un modèle à trois composantes qui structure toujours aujourd’hui les approches. Pour eux, l’engagement organisationnel est un état psychologique qui caractérise la relation d’un individu à son organisation et influe sur ses comportements, et notamment sur sa décision de partir ou de rester membre de l’organisation. L’engagement a trois composantes, renvoyant à : (a) un désir : l’engagement affectif, (b) un besoin : l’engagement de continuité (souvent aussi appelé engagement calculé ou cognitif), (c) une obligation : l’engagement normatif. L’engagement affectif renvoie à l’attachement émotionnel, l’identification et l’implication de l’individu vis-à-vis de son organisation. L’individu reste dans l’organisation parce qu’il le souhaite. L’engagement de continuité est lié à l’évaluation par l’individu des coûts et avantages associés au fait de quitter l’organisation et de sa perception des autres alternatives d’emploi possibles. L’individu reste dans l’organisation parce qu’il en a besoin. L’engagement normatif renvoie au sentiment d’obligation morale de l’individu de devoir agir selon les buts et valeurs de l’organisation parce c’est bien ou juste, notamment au regard de tout ce qu’elle a pu lui apporter. L’individu reste dans l’organisation parce qu’il le doit. Chacune de ces dimensions a, selon les auteurs, des antécédents qui peuvent être identifiés et étudiés, et des effets sur le comportement au travail. Ce modèle de Meyer et Allen a donné lieu à un échelle très utilisée et régulièrement retravaillé par Allen et Meyer eux-mêmes, et d’autres chercheurs. En 2001, Meyer et Herscovitch le développent en proposant un modèle général de l’engagement au travail (a general model of workplace

commitment) qu’ils définissent comme une force variable qui lie un individu à une ligne d’action

orientée vers une cible particulière (l’organisation ou une autre entité du milieu de travail), qui se caractérise par des états psychologiques (reflétant le désir, les coûts perçus ou l’obligation ressentie) et induisent des comportements particuliers.

Mais le modèle a aussi fait l’objet d’objections de fond : Charles-Pauvers et Peyrat-Guillard (2012) relèvent notamment dans la littérature des critiques sur des formes de redondance conceptuelle et des fréquents problèmes dans les mesures développées à partir de cette conceptualisation. La dimension normative, notamment, fait l’objet de controverses sur sa redondance avec l’engagement affectif (Paillé, 2002, 2005). Les travaux de Solinger, van Olffen et Roe (2008) amènent à interroger les liens entre les différentes composantes du modèle, soulignant notamment que les trois dimensions renvoient à des attitudes d’ordre fondamentalement différent : la dimension affective reflète une attitude à l’égard d’une cible (l’organisation), tandis que les dimensions calculée et normative reflètent une attitude vis-à-vis d’un comportement (rester ou partir) et conduisent finalement le modèle à se centrer non sur l’engagement vis-à-vis de l’organisation en général, mais sur l’évaluation des intentions de quitter et la prédiction du turnover. Solinger et al. proposent alors de revenir à une conception principalement affective de l’engagement : l’engagement organisationnel renvoie pour eux à l’état interne d’une personne vis- à-vis de l’organisation, état qui précède et guide son action et comprend des sentiments, des

croyances et des tendances comportementales. Dans cette perspective, les anticipations ou représentations de l’individu sur ce qu’impliquerait de quitter l’organisation ou d’y rester, en terme de coûts ou sur un plan normatif, seraient plus des antécédents à son engagement dans l’organisation. Solinger et al. se positionnent pour une approche de l’engagement organisationnel définit comme une attitude, qui se caractériserait par une dimension affective, mais aussi par une dimension cognitive (les jugements, croyances et savoirs de la personne) et une dimension conative (une tendance d’action). De ce point de vue, comme pour Mowday et al. (1982), l’engagement serait un état actif dans le sens où il comprendrait la volonté de participer à la réussite de l’organisation. Solinger et al. soulignent aussi l’importance de la variable temporelle, le niveau et le sens de l’engagement changeant au cours de la carrière. Ce caractère évolutif du phénomène implique notamment que l’engagement d’un employé n’induira pas forcément les mêmes comportements en fonction d’où il se situe dans sa carrière au sein de l’entreprise. Dans une étude récente, Solinger, Hofmans et van Olffen (2015) poursuivent l’investigation des aspects évolutifs de l’engagement organisationnel pour les personnes en examinant la dynamique interne des aspects affectif, cognitif et comportemental de l’engagement au fil du temps. Ils avancent l’idée qu’en la matière, les changements sur le plan affectif seraient plus lents que les changements cognitifs ou comportementaux.

Même si le modèle de Meyer et Allen a fait l’objet de critiques et de contre-propositions (p. ex. Morrow, 1983, 1993 ; Klein, Molloy et Brinsfield, 2012), ses trois dimensions de l’engagement (affective, calculée ou cognitive et normative) structurent toujours les approches de l’engagement organisationnel les plus fréquemment utilisées en psychologie du travail et les recherches empiriques menées (p. ex. Paillé, 2008, 2009, 2012 ; Desrumaux, Léoni, Bernaud et Defrancq, 2012 ; Robert et Vandenberghe, 2017). Ainsi Vandenberghe (2016) définit l’engagement organisationnel comme :

le lien psychologique ressenti par un employé envers son organisation. La force relative de ce lien a des répercussions sur la probabilité de rester membre de l’organisation à long terme, sur la performance de rôle et hors rôle de l’employé et sur son bien-être. Ces impacts varient suivant que l’engagement possède une nature affective, normative ou calculée. (p.175)

Si certaines recherches choisissent de se centrer sur l’une ou l’autre de ces dimensions parce qu’elle leur paraît la plus pertinente par rapport au phénomène qu’elles cherchent à étudier, d’autres associent les trois dimensions affective, normative et calculée.

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