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Chapitre 6. L’ « engagement » en psychologie du travail et des organisations

6.2. De l’engagement organisationnel à l’engagement au travail

6.2.3. Engagement au travail versus burn out

Si certaines recherches et propositions d’échelles de mesure continuent de s’appuyer sur les travaux de Kahn en s’intéressant à l’engagement dans un rôle professionnel ou à la présence cognitive, émotionnelle et physique au travail (p. ex. Rich, Lepine et Crawford, 2010), les travaux sur l’engagement au travail les plus fréquemment mobilisés dans les recherches empiriques et les thèses sont ceux de Bakker, Leiter et Schaufeli (p. ex. Bakker, Schaufeli, Leiter et Taris, 2008 ; Bakker et Leiter, 2010 ; Schaufeli, 2013). Ces chercheurs développent une conception de l’engagement au travail qui se décale significativement de la conceptualisation de Kahn. Dans la perspective de la psychologie positive, leur visée est de s’intéresser aux forces et fonctionnement optimal de l’humain, notamment en cherchant à caractériser le pôle positif du bien-être au travail à travers la notion de « Work Engagement » (Schaufeli, 2013). Leur approche de l’engagement au travail se construit en opposition à celle du burn out, tel qu’il a été conceptualisé par Maslach (Maslach et Leiter, 1997/2011 ; Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001), le burn out pouvant alors être vu comme une érosion de l’engagement au travail (Schaufeli, Salanova, Gonzales-Roma et Bakker, 2002).

L’engagement au travail est ainsi défini par ces auteurs comme un état affectif et motivationnel de bien-être au travail, positif et épanouissant, qui se caractérise par la vigueur, le dévouement et l’absorption (vigor, dedication, absorption), un haut niveau d’énergie et une forte identification au travail. Les professionnels engagés ont de l’énergie, de l’enthousiasme et se sentent complètement pris dans leur travail, si bien que le temps passe vite. Le burn out se caractérise, lui, par l’épuisement émotionnel, psychique et physique, le cynisme (ou la dépersonnalisation) et un sentiment d’inefficacité professionnelle (exhaustion, cynicism, ineffectiveness), ainsi qu’un bas niveau d’énergie et une faible identification au travail. (Bakker, Schaufeli, Leiter et Taris, 2008). Cette conceptualisation a donné lieu au développement d’une échelle de mesure qui comprend des versions plus ou moins longues, de 9 à 24 items1. On notera que plutôt qu'un état momentané

et circonscrit comme dans le travail de Kahn, l'engagement est ici un état affectif et cognitif persistant et envahissant. Il n’est pas axé sur un objet, un événement, un individu ou un comportement particulier et caractérise plus globalement l’état psychologique de la personne (Schaufeli, Bakker, Salanova, 2006).

Dans ce modèle, si le burn out et l’engagement au travail s’opposent en partie, ils ne sont pas les exacts opposés l’un de l’autre. Les mesures réalisées montrent que la vigueur et le dévouement s’opposent bien à l’épuisement et au cynisme, mais que les deux dimensions restantes (l’absorption pour l’engagement et l’inefficacité pour le burn out) sont des aspects distincts qui ne sont pas le négatif l’un de l’autre (Schaufeli, Bakker et Salanova, 2006). Schaufeli (2013) souligne par ailleurs qu’engagement et burn out n’ont pas exactement les mêmes antécédents. Ils ne sont pas les extrêmes d’un même continuum et peuvent être considérés comme des construits distincts aux échelles de mesures propres. En revanche, Schaufeli interroge les liens entre l’engagement et l’ennui, et propose l’idée que ce dernier serait peut-être plus directement le pendant négatif de l’engagement au travail. Il interroge aussi les liens entre engagement au travail et « workaholism »,

souvent traduit par la notion d’addiction au travail, ce qui l’amène à faire la distinction entre des bonnes et des mauvaises formes de « travailler dur ». Dans l’engagement comme dans l’addiction au travail, les personnes sont absorbées et investies dans la tâche, mais pas pour les mêmes raisons, ni avec la même efficacité : le professionnel engagé prend du plaisir, est intrinsèquement motivé au travail, et obtient des bons résultats, là où le « bourreau de travail » serait surtout contraint par des normes externes d’évaluation de soi et d’approbation sociale et par un rapport obsessionnel au travail, et aurait un rendement moins bon.

Schaufeli et Bakker (2010) distinguent l’engagement au travail de l’engagement organisationnel et du « job involvement ». L’engagement organisationnel est un lien d’attachement et d’identification entre un individu et une organisation, tandis que l’engagement au travail s’intéresse au lien entre l’individu et son rôle professionnel ou son activité de travail. Toujours selon Schaufeli et Bakker (2010), le concept de « job involvement », précédemment cité avec les travaux de Morrow (1983, 1993) et sur lequel nous reviendrons, recoupe en partie celui d’engagement au travail. Mais il est en quelque sorte plus étroit, en se centrant sur l’identification psychologique de la personne à son travail et l’importance du travail pour l’image de soi, soit des aspects que l’on peut rapprocher de la dimension de dévouement, mais qui laissent de côté les autres dimensions de la conceptualisation. Par rapport au terme d’ « employee engagement », souvent employé comme synonyme de « work engagement », les deux chercheurs privilégient le second, le premier étant de leur point de vue plus large et moins précis car impliquant aussi la relation à l’organisation.

L’engagement au travail, dans cette perspective, est bon à la fois pour l’individu et l’organisation, en favorisant aussi bien la santé et le bien-être au travail, que la productivité et la performance de l’organisation. Il doit ainsi être encouragé et cultivé (Maslach et Leiter, 1997/2011). Il est favorisé par la quantité et la diversité des ressources disponibles. Ces ressources relèvent pour partie des caractéristiques physiques, sociales et organisationnelles de l’emploi qui peuvent contribuer à réduire les exigences du travail et les coûts associés, permettre à la personne d’atteindre ses objectifs professionnels, et stimuler l’apprentissage et le développement personnel. Les recherches empiriques mettent notamment en avant le rôle du soutien social des collègues et des encadrants, du « feedback » sur la performance, du climat organisationnel, de la variété des compétences sollicitées, des occasions d’apprendre ou encore de l’autonomie. Ces ressources relèvent aussi de la personne ou « de son capital psychologique », et notamment de son sentiment d’efficacité personnelle, son estime de soi, son optimisme ou sa résilience (Bakker, Schaufeli, Leiter et Taris, 2008).

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