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Chapitre 2. L’absentéisme et la commande de la DPE

2.2. La commande de départ et son « histoire »

2.2.1. Une première intervention menée par l’équipe de recherche de psychologie du travail et de clinique de l’activité du CNAM

C’est en 2010 que la DPE s’engage dans une première collaboration avec l’équipe de recherche de Psychologie du travail – clinique de l’activité du Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD) du CNAM, avec le recrutement d’un premier doctorant en convention CIFRE. Antoine Bonnemain débute alors une intervention, à la demande du BPRP du SRH de la DPE, qui a pour objectif de « mieux connaître le métier des chefs d’équipe » pour « favoriser les stratégies et pratiques favorables au développement de la santé » (Bonnemain, 2010, p.5). Dans les premières semaines du terrain, cette demande générale se double d’une seconde commande, émanant cette fois-ci du STPP, sur les liens qui pourraient exister entre le travail des encadrants de proximité des éboueurs et l’absentéisme de ces derniers. Les attentes vis-à-vis de l’intervention se centrent progressivement sur « les facteurs managériaux de l’absentéisme » (Bonnemain, 2015, p.47) : la direction de la DPE cherche alors à comprendre comment les chefs d’équipe, à travers leurs manières de faire leur travail, pourraient contribuer à réguler l’absentéisme des éboueurs, avec l’idée qu’enrayer ce phénomène ferait partie intégrante de leurs tâches. Les premiers mois de l’intervention permettent à A. Bonnemain de reformuler le problème posé du point de vue des chefs d’équipe : ces derniers relient, eux, l’absentéisme aux faibles marges de manœuvre dont ils disposeraient pour encadrer leurs équipes et « faire revenir les éboueurs le lendemain » (op. cit., p. 63). Le dispositif construit et proposé aux chefs d’équipe de quatre divisions territoriales (9/10, 13, 14 et 20) sera finalement de tenter d’ « établir un dialogue avec la hiérarchie sur le travail concret, ses obstacles et ses ressources, pris dans un rapport à la question de l’absentéisme », et de « faire l’analyse des manières de s’y prendre pour "faire revenir les éboueurs le lendemain" ». Dans cet objectif est mis en place un travail de co-analyse de l’activité, par un collectif de professionnels et l’intervenant, portant sur deux activités qui sont identifiées comme participant particulièrement à la façon dont les chefs d’équipe tentent d’engager les éboueurs dans leur travail : l’activité de « mise en route en atelier »1 et l’activité de

« répartition des tâches »2.

Nous n’entrerons pas dans le détail des analyses menées et de leur mise en discussion avec les commanditaires au sein d’un comité de pilotage. Nous nous arrêterons seulement sur la fin de cette intervention, et sur la situation qu’elle contribue à construire et qui amène à notre propre arrivée à la DPE. L’intervention a finalement conduit à se déplacer de la question de l’absentéisme des éboueurs à celle des efforts faits par les chefs d’équipe pour engager les éboueurs dans leur

1 Lors de cette activité, le chef d’équipe amène les éboueurs présents à débuter la tâche à laquelle ils ont été affectés, en

se rendant sur leur canton de balayage ou en rejoignant l’engin de collecte, de nettoyage ou de lavage avec lequel ils doivent travailler.

2 Lors de cette activité, le chef d’équipe répartit les différentes tâches à faire dans une journée entre les éboueurs qui

seront théoriquement présents dans son atelier cette journée-là. Cette activité a lieu la veille de la journée concernée et fait souvent l’objet d’un affichage sur un tableau de répartition des tâches.

travail. L’identification des différentes façons de faire et les débats entre professionnels ont permis de repérer un ensemble de difficultés qui, de leur point de vue, compliquent leurs relations avec les éboueurs et compromettent l’engagement de ces derniers dans leur travail.

A la demande des commanditaires, l’intervenant et le collectif rédigent en fin d’intervention une « liste des problèmes concrets rencontrés par les chefs d’équipe dans leur travail » (Bonnemain, 2015, p. 89 à 91). Ces problèmes renvoient à deux grands niveaux :

- celui de l’organisation quotidienne du travail des équipes : un matériel parfois inadapté à l’activité, des problèmes dans la mise à disposition des engins nécessaires au travail (laveuse, balayeuse, transporteur pour ramasser les encombrants, etc.), la disposition plus ou moins fonctionnelle des locaux, la difficulté à mettre en place une répartition égalitaire et équitable des tâches du fait des exemptions et des inaptitudes ;

- celui de l’organisation avec les échelons supérieurs : le manque de concertation et de coordination, une application différente des règles de gestion du personnel d’un arrondissement à l’autre, la difficulté à monter un dossier de sanction.

Ces obstacles ont en commun de fragiliser le chef d’équipe dans ses missions encadrement : comment motiver son équipe et asseoir son autorité vis-à-vis d’elle si on a le sentiment de ne pas pouvoir lui fournir ce dont elle a besoin pour travailler, et de ne pas pouvoir poser un cadre cohérent et clair concernant l’organisation du travail, et les rôles, droits et obligations de chacun dans cette organisation ?

Il faut noter que la perception qu’ont les chefs d’équipe de la situation rencontre en partie celle des chefs de division. Lors d’une réunion de service réunissant ces derniers, la liste de problèmes est mise en discussion et les chefs de division manifestent alors leur compréhension des difficultés soulevées par les chefs d’équipe. Dans ce contexte, la DPE décide de poursuivre la collaboration avec l’équipe de recherche et le cadre alors décidé est celui de l’emploi d’un autre doctorant au travers d’une nouvelle convention CIFRE.

2.2.2. La formulation d’une nouvelle commande à l’origine d’une seconde intervention

L’émergence de cette nouvelle commande se fait dans un contexte de double transition. Le chef de service du STPP, commanditaire et interlocuteur de la première intervention, a quitté son poste pour devenir directeur adjoint de la DPE. Il est remplacé par une nouvelle cheffe de service qui porte la nouvelle commande. L’équipe de recherche se renouvelle également avec une nouvelle doctorante et une nouvelle directrice de thèse, accompagnées dans un premier temps par la précédente équipe d’intervention. Le 21 janvier 2014, une réunion réunit le STPP, le BPRP (bureau d’accueil de la CIFRE en cours) et l’équipe de recherche, et les bases de la poursuite du travail sont fixées :

• Il s’agira de poursuivre le travail avec le collectif des chefs d’équipe engagés dans la première intervention et d’autres chefs d’équipe volontaires, pour travailler avec eux les problèmes identifiés dans la liste et chercher une « organisation qui permette de trouver

des solutions », une « méthode face aux difficultés »1.

• Deux éléments sont soulignés par la cheffe de service : il est important que les chefs d’équipe s’interrogent sur leurs propres pratiques et qu’on aille au-delà d’une plainte ou d’une revendication à l’égard de l’organisation ; il y a une hiérarchie intermédiaire entre les chefs d’équipe et les chefs de divisions qu’il faut réussir à impliquer dans l’intervention. • Sur le plan formel de la contractualisation, la direction propose une nouvelle CIFRE, portée comme la précédente par le bureau de prévention des risques professionnels (BPRP). Il est alors convenu que la demande de CIFRE pour la prochaine doctorante soit préparée par le BPRP et l’équipe de recherche.

S’ensuivent des premières rencontres avec les chefs d’équipe impliqués dans la précédente intervention et des échanges avec le chef de bureau du BPRP qui permettent la rédaction concertée d’un projet de thèse qui doit être soumis à l’Agence Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT)2 dans le cadre de la demande de convention CIFRE. Dans la lignée des

attentes formulées par la cheffe du STPP, ce projet propose, pour l’« intervention de terrain », de mettre en place un dispositif « pour analyser et dépasser les différents obstacles qui font entrave à l’activité des chefs d’équipe », « un dispositif d’analyse et de dialogue, autour des difficultés rencontrées dans le travail, et de tenter de trouver, au moyen de ce dispositif, des pistes de changement ».

D’une façon inattendue pour nous, le directeur adjoint de la DPE, ancien chef du STPP et donc commanditaire de la première intervention, bien qu’ayant à l’occasion du dernier comité de pilotage de cette intervention manifesté une forme d’enthousiasme sur les échanges menés, refuse dans un premier temps de signer la lettre d’engagement nécessaire à la constitution du dossier pour l’ANRT. Il dit ne pas saisir l’intérêt de poursuivre le travail avec nous, le rendu de la première intervention lui semblant abstrait et peu opérationnel. La nouvelle cheffe de service réussit

1 Les propos notés entre guillemets et en italique dans la thèse sont des extraits de verbatims recueillis au cours de

notre intervention. Il s’agit dans le cas présent de propos tenus lors de cette réunion par la cheffe du STPP.

2 L’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie rassemble des acteurs publics et privés de la recherche

et de l'innovation. Elle, a parmi ses principales missions, la mise en œuvre des conventions CIFRE, dispositif intégralement financé par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

finalement à convaincre le directeur adjoint de poursuivre le travail. Un des arguments alors mobilisé est notamment le fait qu’il existe une attente de la part des professionnels engagés dans la première intervention, qui ont construit et/ou validé la liste des problèmes identifiés par les chefs d’équipe, et été informés de la poursuite possible du travail. Une lettre d’engagement, stipulant que « [le] projet de recherche vise donc à investiguer et mieux saisir l’activité de l’encadrement intermédiaire, ses contraintes et ses ressources pour gérer leurs équipes au quotidien », est finalement validée.

Déposé le 12 mars 2014, la demande de CIFRE est acceptée le 20 mai 2014 par l’ANRT et donnera lieu à un contrat de collaboration entre la ville de Paris et notre laboratoire de rattachement (CRTD). Les conditions de la contractualisation sont les suivantes : l’accueil de la doctorante se fait à 50% à la ville de Paris, 50% dans son laboratoire de recherche ; le salaire versé est le salaire minimal ; la collectivité ne verse aucune contribution financière au laboratoire1. Un dernier point

est à noter concernant le cadre de cette contractualisation : à la ville de Paris, sur le plan administratif et financier, les CIFRE sont prises en charge par le Bureau de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la vie étudiante de la DDEEES (Direction du développement économique, de l’emploi et de l’enseignement supérieur), devenue depuis la DAE (Direction de l’attractivité et de l’emploi). Autrement dit l’accueil d’un doctorant en CIFRE par une direction autre, ici la DPE, n’a pas d’impact sur le budget propre de cette direction.

Le cadre de départ de l’intervention peut ainsi paraître faible à différents niveaux. L’engagement de la direction est marqué par l’hésitation et le scepticisme de son directeur adjoint. La convention ne coûte rien financièrement à la direction : le doctorant ne fait pas partie des effectifs et son salaire est pris en charge par une autre direction. Au-delà, aucun document contractuel n’engage formellement et directement l’équipe de recherche et le STPP dans lequel doit avoir lieu l’intervention : la convention de collaboration de la CIFRE est signée entre la ville de Paris et le laboratoire de recherche, le contrat de travail est passé entre la doctorante et la ville de Paris représentée par le DDEEES. Enfin, dans ce montage où la doctorante est accueillie par le BPRP, la cheffe du STPP n’a pas directement participé à la rédaction du projet. Ses attentes, formulées lors de la rencontre de janvier 2014, ont été reprises, mais sans approfondissement ou nouvelle validation de sa part.

1 Dans le cadre du contrat de collaboration signé lors d’une CIFRE entre l’entreprise qui accueille le doctorant et son

laboratoire de recherche, l’entreprise peut verser une contribution financière au laboratoire pour les frais liés à l’encadrement et au travail de recherche du doctorant au sein du laboratoire. Les conditions financières décrites ici (salaire minimal, pas de contribution financière au laboratoire) correspondent à ce que fixe la ville pour toutes ses conventions CIFRE.

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