• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Le cadre théorique et méthodologique de l’intervention menée

3.1. L’intervention et la recherche en clinique du travail et en clinique de l’activité

La démarche clinique en psychologie se caractérise par la prise en compte des sujets et situations dans leur diversité, leur complexité et leur totalité (Revault d’Allonnes, 2014[1989], p.51). Pour Santiago Delefosse et Del Rio Carral (2017), elle se caractérise notamment par une primauté de la psychologie concrète, la prise en compte du langage en tant que médiateur de l’expérience humaine, une analyse de type phénoménologique de l’expérience vécue par le sujet, le refus de réduire l’espace psychosocial humain à un sujet coupé de son histoire et de son contexte, et l’analyse de la place du chercheur dans le travail de recherche (p.2).

Ce projet de recherche s’inscrit dans le cadre théorique et méthodologique de la clinique du travail (Lhuilier, 2006 ; Clot et Lhuilier, 2010a, 2010b). Il s’agit de placer au centre de l’investigation l’activité de travail dans ses multiples dimensions (matérielles, techniques, sociales, symboliques et subjectives), pour l’observer, l’analyser et la penser dans des dispositifs collectifs au sein desquels les professionnels et le psychologue-intervenant sont en situation de co-élaboration. Ce travail de co-analyse et de co-élaboration a ici une double visée. Il est à la fois « action de transformation » et « production de connaissances » (Clot et Lhuilier, 2010a, p.8). Déployé en lien avec des situations concrètes et à partir des préoccupations qu’elles génèrent, il a une visée pratique de changement, de transformation. La clinique du travail est ainsi résolument orientée vers l’action. Mais cette action, en retour, apporte de la connaissance. Ici, la transformation de la situation et la production de connaissances, l’action et la recherche sont dans une relation de complémentarité et de réciprocité (Lhuilier, 2006) : « il faut transformer pour comprendre et pas seulement comprendre pour transformer » (Clot, 2008b, p32).

On le comprend, le lien entre travail d’intervention et travail de recherche, et le statut du « terrain » dans la recherche sont particuliers : il ne s’agit notamment pas, comme dans une méthodologie hypothetico-déductive classique telle qu’elle peut être pratiquée en sciences

humaines et sociales, de trouver un terrain qui permettra de collecter des données qui viendront valider ou invalider des hypothèses de départ liées à une problématique de recherche très précisément circonscrite (Ghiglione et Richard, 1999 ; Quivy et Van Campenhoudt, 2006). La démarche est plutôt d’intervenir dans un milieu professionnel à partir de demandes formulées dans ce milieu, et à cette occasion de développer un travail de recherche. En clinique de l’activité, le temps de l’intervention et le temps de la recherche sont clairement distingués : il s’agit d’abord d’intervenir, et dans un second temps seulement de reprendre et analyser l’intervention pour produire des connaissances (Bonnefond et Clot, 2018). Clot le formule ainsi : « Si l’action [engagée dans l’intervention concrète] permet de mieux comprendre la situation, elle permet aussi au chercheur – qui là cesse d’être seulement un intervenant – de comprendre comment le développement se produit ou ne se produit pas. Le travail de recherche scientifique proprement dit commence là (…), lorsque l’action conjointe de l’intervenant et des professionnels, de moyen de transformer une situation réelle, devient objet d’analyse d’abord puis moyen de produire des connaissances sur le développement psychologique dans l’action. » (Clot, 2008b, p.32).

Ainsi il s’est d’abord agi pour nous de réaliser une intervention ayant pour point de départ la commande que nous avons présentée. L’objet de notre recherche s’est dessiné au fil de cette intervention, à partir des questionnements cliniques, méthodologiques et théoriques que nous avons construits en lien avec ce qui s’y déroulait, pour les professionnels et pour nous-même. Ces questionnements nous ont amenée à la fois à rechercher de ressources théoriques permettant de les élaborer et de les analyser, et à sélectionner des « éléments», recueillis et produits au cours de l’intervention, pouvant permettre de les instruire. Le terme habituellement utilisé de « données », pour désigner les matériaux empiriques qui servent de base à la recherche, est ici particulièrement imparfait puisque ces « éléments » sont souvent des « créés », des « construits », dans et par l’intervention. En effet nos matériaux sont essentiellement constitués d’observations, d’élaborations cliniques, de co-analyses et de dialogues qui sont des produits, des effets, des co- constructions résultant de l’intervention, et qui n’existent pas en dehors d’elle1. Pour autant, ces

matériaux issus de l’activité menée par les professionnels et l’équipe d’intervention dans le cadre de l’intervention donnent à voir des mouvements et des processus qui ne sont pas sans rapport avec l’activité ordinairement menée par les professionnels, et avec leur situation et leur vécu dans l’organisation.

A l’intérieur de la clinique du travail, le cadre théorique et méthodologique que nous avons utilisé dans notre intervention est celui de la clinique de l’activité. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de cette perspective et de sa mobilisation dans des recherches doctorales : différentes thèses l’ont fait ces dernières années, notamment celles de Briec (2013) et Perrot (2017). Nous nous arrêterons néanmoins sur quelques points de théorie et de méthode qu’il nous semble important de poser pour pouvoir situer notre travail et expliciter le cadre conceptuel et méthodologique de notre intervention.

1 Ils ont pu être complétés par un ensemble d’informations, notamment sur l’organisation, son fonctionnement et ses

prescriptions, qui, elles, existaient par ailleurs, et que nous avons cherchées et rassemblées, pour les besoins de l’intervention puis de la recherche menées.

Outline

Documents relatifs