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Chapitre 8. Méthodologie d’analyse et matériaux retenus

8.2. Unités, méthode et corpus d’analyse

8.2.2. Construction des corpus analysés

Pour pouvoir regarder comment les mouvements d’engagement et de désengagement pouvaient être pluriels, se succéder dans le temps ou se superposer, et aussi évoluer en lien avec le dispositif d’intervention, nous avons fait le choix de suivre quelques professionnels à différents moments de l’intervention. Nous avons identifié trois chefs d’équipe qui nous ont tout particulièrement interpellées par leur rapport à ce qu’ils énonçaient ou par des modalités particulières de dialogue durant l’intervention :

- Valérie, en lien avec une formulation marquante : « malheureusement on a une

conscience ». Les extraits choisis peuvent être compris comme notre tentative de donner

du sens à ce propos en le situant dans un contexte, et en lui donnant un amont et un aval ; - Pascal, pour l’énigme constituée par certains de ses regards adressés à l’intervenante, en déconnexion avec ses propos ou la scène en train de se jouer, et qui semblent l’inviter à ne pas être dupe de ce qu’elle voit ou entend (y compris de ce qu’il peut lui-même dire) ; - Clément, en raison des différents courriels qu’il nous a adressés suite au travail de co-

analyse, nous donnant à voir différentes actions qu’il avait pu engager et leurs résultats, et à partir desquels il est possible de voir comment son activité a pu se modifier en lien avec les dialogues eus dans le cadre de l’intervention.

Ces trois professionnels présentent par ailleurs l’intérêt d’être dans des types d’engagements et de désengagement qui se distinguent les uns des autres. Cela étant, cette sélection reste subjective et répond principalement à une contrainte : nous n’avions ici ni le temps ni l’espace, pour mener des analyses de ce type avec chaque professionnel ayant participé à l’intervention, même si chacun aurait probablement permis de donner un éclairage particulier à notre problématique.

Pour chacun de ces trois professionnels, nous avons sélectionné différentes séquences enregistrées ou filmées, que nous avons montées de façon chronologique. Chaque montage dure une vingtaine de minutes. Nous les avons travaillés et mis en discussion dans différents cadres collectifs, ce qui nous a permis d’une part de valider le niveau d’analyse adopté (celui de l’acte d’énonciation) et sa pertinence au regard de nos matériaux, et d’autre part de mettre en discussion et d’enrichir nos premières interprétations1. Nous avons transcrit ces montages, les transcriptions

intégrales sont en annexe (cf. annexe 5)2. Ces transcriptions ont été anonymisées.

Nous avons fait le choix de transcrire d’une façon assez précise ce que nous pouvions entendre, tout en produisant un texte qui resterait lisible. Nous avons ainsi en général transcrit le langage parlé sans le corriger et sans élaguer les onomatopées ou les syllabes allongées, mais sans non plus reprendre systématiquement les élisions de voyelles ou toutes les manifestations sonores (rires, inspiration ou expiration sonores) que nous pouvions entendre. Seules celles qui ressortaient le plus sont dans la transcription. Dans un même souci de conjuguer lisibilité et réalité

1 Nous remercions ici tout particulièrement notre directrice de thèse, Frédéric Saussez, nos collègues doctorants, les

membres du séminaire Langage Dialogue Interaction du Cnam et les participants au séminaire international de recherche organisé par le groupe Vygotski/Analyse de l’activité de l’Université de Sherbrooke en mai 2019, pour leurs commentaires et retours subjectivement engagés, et théoriquement et méthodologiquement argumentés, sur ces montages et sur nos premières analyses.

2 Les montages audio et vidéo sont par ailleurs joints, sur une clé USB, au document transmis aux membres du jury afin

de leur permettre s’ils le souhaitent de reprendre l’ensemble des éléments ayant servi de support à l’analyse. Ils n’ont sinon pas vocation à être visionnés en dehors de ce cadre.

du langage parlé, nous avons fait le choix d’utiliser un peu de ponctuation, pour rendre compte de micro-interruptions et de certaines intonations, mais d’une façon limitée pour ne pas d’emblée trop orienter les énoncés, et ne pas non plus leur donner un caractère artificiellement littéraire. Cette ponctuation minimale nous a semblé de nature à pouvoir faciliter la lecture, sans trop en brider la compréhension. Concernant les indications d’éléments non verbaux (intonations, gestes, mimiques, etc.), nous ne les avons précisées qu’à certains moments, quand elles nous ont semblé pouvoir guider significativement l’analyse. On trouvera avant la présentation des premiers extraits les différents codes et conventions de transcription que nous avons utilisés, ainsi que la façon dont nous avons marqué dans les extraits les principaux indices et contenus sur lesquels se sont appuyées nos analyses.

Nous avons ensuite sélectionné dans chaque montage et transcription des extraits dans lesquels les professionnels disent ce qu’ils font ou ne font pas (ou plus) par rapport à un objet particulier, et/ou le discutent. Ce sont ces extraits que nous avons analysés. A partir d’un ensemble d’indices langagiers et du contenu des énoncés, nous avons pour chacun de ces extraits tenté de décrire, de qualifier et de comprendre les différents mouvements d’engagement et de désengagement qu’ils permettaient d’attraper. À la fin de chaque corpus, nous avons fait une synthèse des différents mouvements identifiés pour tenter de donner à voir plus globalement les dynamiques singulières d’engagement et de désengagement qui étaient en jeu, et ce que nous pouvions en dire sur un plan psychologique (à quels vécus au travail elles se rattachaient, ce qu’elles impliquaient subjectivement pour les professionnels, etc.).

Les dialogues étudiés, comme le souligne Vion (1996), doivent être replacés dans la complexité des interactions verbales dans lesquelles ils sont produits. Ils ont pour cadre notre dispositif d’intervention. Il faut bien noter que ces cadres interactifs, au moins dans les premiers temps, sont inédits pour la plupart des professionnels avec lesquels nous avons travaillé. Ces derniers ont sans doute une représentation de ce qui doit s’y faire et du rôle qu’ils doivent y jouer, mais cette représentation reste abstraite et ne sera que progressivement étayée par leur propre expérience. De façon large, on peut qualifier ces dialogues de discussions, portant sur des objets proposés par l’intervenante psychologue ou par les professionnels, et qui peuvent prendre une matérialité particulière dans les échanges quand ceux-ci s’appuient sur des traces de l’activité réalisée par les professionnels dans le cadre de leur travail quotidien (films d’activité, copies de courriels échangés, relevés d’observation de l’intervenante…) ou dans le cadre de l’intervention (montage réalisé à partir des autoconfrontations). Ces discussions peuvent à certains moments prendre une orientation discursive particulière (en devenant par exemple des débats) et prendre la forme de réalisation de tâches discursives variables (récit, argumentation, explication, justification…). Nous précisons dans l’analyse ces orientations ou tâches particulières quand elles nous semblent fournir des indications sur la nature et l’épaisseur de ce qui est en train de se jouer pour les protagonistes.

Un autre point mérite d’être explicité pour remettre ces dialogues en contexte : celui du caractère multiple de leurs adresses. Ces cadres dialogiques sont saturés de destinataires présents et absents. Les professionnels s’adressent entre autres à leurs interlocuteurs présents (le ou les collègues, l’intervenante), mais aussi à des interlocuteurs absents et potentiellement à venir

(comme leurs supérieurs hiérarchiques ou les membres du comité de pilotage dont ils savent, de façon de plus en plus consciente au fil de l’intervention, qu’ils pourront devenir des interlocuteurs potentiels de ce qu’ils sont en train de dire), ou des destinataires dont ils aimeraient faire des interlocuteurs (par exemple leurs collègues d’atelier qui ne participent pas, d’autres professionnels du service ou encore les éboueurs de leur équipe). Ils s’adressent parfois aussi à ce que Bakhtine (1984) appelle des sur-destinataires : le métier, les professionnels de la propreté, le service public… Quand ils s’adressent à l’intervenante, elle peut elle-même occuper des places variables dans le dialogue et incarner ou représenter pour eux différentes fonctions ou instances (Perrot, 2017). Les professionnels s’adressent enfin aussi à eux-mêmes, et sans doute à bien d’autres destinataires que nous n’identifions pas, y compris hors du champ du travail. La multiplicité des adresses et des destinataires entre forcément en jeu dans le sens que l’on peut donner au dialogue. Si là encore elle traverse tous les échanges, nous ne tenterons de l’expliciter que quand elle paraît particulièrement jouer.

Récapitulatif de la méthodologie d’analyse

Éléments retenus pour les analyses :

Les façons dont le locuteur se situe sur un plan énonciatif et par rapport à un contenu propositionnel, dont il marque subjectivement un énoncé et le prend en charge, nous paraissent des entrées pertinentes pour analyser nos matériaux et, sur la base de cette analyse, pour faire des hypothèses argumentées du rapport que peuvent entretenir les professionnels à ce qu’ils disent de ce qu’ils font.

Deux niveaux se dégagent :

celui de l’implication du locuteur dans ce qu’il dit (la présence explicite et directe de sa subjectivité, le fait d’assumer ou de prendre la responsabilité de ce qu’il dit) ;

celui de son positionnement par rapport à ce qu’il dit (son accord ou son désaccord, son degré d’adhésion à ce qui est exprimé qu’il en soit la source énonciative ou pas).

Matériaux retenus :

Des séquences de dialogues réalisés en autoconfrontations simples et croisées et en réunions collectives, que nous avons transcrites, dans lesquelles nous nous centrerons plus spécifiquement sur trois chefs d’équipe ( Valérie, Pascal et Clément) et dont nous analyserons des extraits.

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