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Oiseau soliste – homo-écriture véloce

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 139-141)

Les années 1950 – on le notait au chapitre précédent – voient l’essor du style oiseau. Celui-ci, au piano, s’accompagne généralement d’une stricte synchronisation, la

41 Les accords « verticalisent » un mode II mais ils sont en même temps des accords de dominante à notes ajoutées (ressemblant à l’« accord de résonance » dont parle Messiaen dans Technique de mon langage musical) qui auraient pu être de la main de Ravel, sauf donc en ce qui concerne l’effectif modernisé et le tempo, particulièrement lent.

42 Notons que Timbres-durées (1952-1953), la seule tentative électroacoustique, est monorythmique et même homophonique, en ne présentant qu’un seul timbre à la fois.

43 Voir Halbreich, 16-17. L’auteur cite alors Mode de valeurs et d’intensités, Neumes rythmiques, les pièces en trio du Livre d’orgue.

44 Revoir chapitre 3, « Aléas des cordes au xxe siècle ».

45 La tentative pré-sérielle intégrale de Mode de valeurs et d’intensités, élaborée en 1949, n’aura guère de

suite dans l’œuvre de Messiaen même si, selon Antoine Goléa, elle aura fécondé le sérialisme intégral dans son ensemble et poussé Stockhausen, Boulez ou encore Nono vers celui-ci (voir Halbreich, 39).

46 Réunissant parfois xylophone et marimba (xylophone grave), le xylorimba est un grand clavier de bois

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plupart du temps d’une écriture des mains exactement à l’octave l’une de l’autre. Le ou la pianiste (Yvonne Loriod lors de toutes les créations) présente une seule bête à la fois. Les oiseaux simultanés, en revanche, demandent l’orchestre.

Catalogue d’oiseaux (1956-1958), pour piano, incarne typiquement un défilé : son

catalogage de principe prévoit, d’autant plus, de présenter un spécimen à la fois. Un seul animal ne peut superposer les rythmes (mais on le modélise cependant en tant que chanteur d’accords) 47. Le Livre 7, qu’ouvre la buse variable (partie XI), est homoryth-

mique durant les 31 premières mesures. (C’est une longueur considérable.) À quelques exceptions près, dues à des résonances occasionnelles de la main gauche seule, cette buse reste monorythmiquement présentée, presque jusqu’à la fin.

La monorythmie semble le fait de Messiaen avant tout (comme sa « simplicité »), pas seulement celui du style oiseau (rapide) ou des grands blocs de cristal (lents). Ainsi, la page que nous avons détaillée au chapitre 2 (revoir Exemple 1), page parmi tant d’autres du Catalogue, est monorythmique. Or, cette verticalité ne sert pas seulement les sons (les cris) mais aussi les mouvements visuels traduits par le « programme ». Ainsi le vol stationnaire de l’aigle est-il présenté lui aussi de façon homorythmique.

Le piano, intégré presque toujours aux grandes œuvres orchestrales après la guerre, surtout autour des années 1970 48, sera éventuellement seul (soliste stricto sensu : non

accompagné) à jouer ses monorythmes ornithologiques, parfois durant des pages entières. Le principe de mono-occurrence rythmique ne s’en affirme que davan- tage, par l’ascétisme instrumental associé, presque minimaliste. L’instrumentation de Messiaen semble alors géométriquement variable jusqu’au poly-stylisme, ce qui ressemblerait presque à une incohérence 49. Le programme bucolique, sans doute,

justifie cela : l’irruption de l’oiseau permet la focalisation soudaine de l’écriture sur le piano. Messiaen, l’ornithologue, peut d’un coup se passionner pour un chant d’hypo- laïs ictérine et donc brusquement se focaliser sur le seul piano jouant même pianis- simo, cela même après de grands tutti de chœurs et orchestre. C’est singulier. Du point de vue de l’orchestre, c’est littéralement irrégulier 50 et finalement personnel.

L’ornithologue a-t-il partiellement pris le dessus, peu à peu, sur l’orchestrateur ?

47 Le « puissant gosier » de l’oiseau produit des timbres riches en harmoniques, formalisés par des agrégats. Voir chapitre 2 (« e. Clusters »).

48 Notamment dans La Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ (1965-1969) ou Des canyons aux étoiles (1971-1974).

49 Les percées étudiées au chapitre 3 s’inscrivent dans la même problématique.

50 La tradition de l’orchestration, notamment française (initiée par Berlioz, relayée par Ravel) impose

des relais continus en terme de puissance. Par exemple, le hautbois (dit « petite trompette »), serait le seul bois capable de relayer seul un cuivre. C’est à cette tradition de l’homogénéité, par exemple, que s’opposait l’autodidacte Dusapin quand il disait que l’orchestre jouait ce qu’on écrivait pour lui, en tout état de cause, et que dès lors, peu importait son écriture précise puisque, celle-ci, finalement, « était » (communication personnelle en 1998).

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Le « style oiseau soliste » – il est temps d’y revenir – procède d’une monorythmie beaucoup plus dynamique que le style choral. Voici des schémas de célérité. La monorythmie chorale engendre un accord par noire entre 40 et 70 pulsations par minute – dans la plupart des cas. L’homorythmie stravinskienne sera deux à trois fois plus rapide en ordre de grandeur. La monorythmie du mono-style oiseau sera encore plus véloce et jusqu’aux limites permises par la virtuosité instrumentale. Messiaen ainsi, par ses deux styles synchronisateurs séparés (choral et mono-oiseau, comme peut-être futur et passé) 51, encadre Stravinsky sans empiéter sur les tempi du Russe. « C’est vrai »,

avoue partiellement Messiaen, « je peux écrire des tempi très rapides, mais aussi et plus souvent très lents, très très lents même 52 ». Il embrasse, enveloppe à défaut d’imiter

Stravinsky. Il atteint ainsi son originalité, tout en gardant une clarté comparable, par ce partage d’une populaire licence homorythmique. C’est là une prouesse à l’échelle de l’histoire de la musique du xxe siècle en entier. En ce sens, Messiaen est le seul fils de

Stravinsky. Il est le seul à avoir pu augmenter, littéralement prolonger le Russe « des deux côtés ».

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 139-141)