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Critique de l’oiseau orchestré

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 89-101)

Selon nous, les grands tutti d’oiseaux des débuts et jusqu’à celui d’« Épôde » sont encore des ébauches. « Épôde » ne concerne que les cordes divisées. Or, celles-ci peinent à

73 On relate ainsi la première de Réveil des oiseaux, le 11 octobre 1953 à Donaueschingen : « La réception déçut. L’auditoire parut indifférent et les chants d’oiseaux ne rencontrèrent qu’incompréhension ». (Hill et Simeone, 2005, 209.) Messiaen pense que pour le public, les chants d’oiseaux ne sont pas de l’art, ou qu’ils sont impossibles à noter. Pour le milieu musical, ils ne satisfont pas davantage un bord esthétique que la rive opposée : « Les néoclassiques attendent de claires cadences tonales, tandis que les dodécaphonistes de la vieille école se languissent de la grisaille des séries ». Halbreich, 244.

74 « Les cris animaux sont particulièrement intéressants en ce qu’ils échappent aux lois humaines ». 20. 75 À l’instar des jouets mécaniques que Ravel rassemblait dans sa maison de Montfort-l’Amaury, ce défilé

de plumes rappelle les collections communes à bien des enfances et dont le caractère obsessionnel, nimbé d’innocence, a l’air de s’ignorer lui-même.

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rappeler la précision d’attaque de leurs modèles. Et leur indistinction de timbres est également trompeuse. La nature est alors perdue 76. Mais plus tard, l’oiseau, pour être

égalé dans sa prodigieuse « énergie vocale », fut finalement mieux réinventé par des instruments plus distanciés encore, finalement, que les cordes, mais aux attaques plus vives et « puissantes », les bois (beaucoup plus souvent que les cuivres, sans parler de l’orgue aussi épisodiquement oiseleur 77, aux attaques plus « lentes » encore que celles

des cordes) et surtout les percussions.

Il y a bien sûr le piano. Mais à l’orchestre, se dessine peu à peu un archétype d’ins- trumentation qui deviendra un élément de style instrumental : l’association marimba/ xylophone. Ce complexe percussif devient bientôt comme la plus sûre « stylisation » (et non transcription) du chant de créatures très diverses. Dans Sept Haïkaï (1962), précise le musicien dans la nomenclature de l’œuvre, il doit être placé au centre de l’orchestre. Dès le début, il incarne le micra varna, puis le sanköchö au début des « Oiseaux de Karuizawa » (mouvement VI) 78. Il prend encore une place centrale dans

Couleurs de la cité céleste (1963) 79, La transfiguration de notre seigneur Jésus-Christ (1965-

1969) 80 puis de façon variée dans Des Canyons aux étoiles (1971-1974) 81. Dans Saint

François d’Assise (1975-1983), le prêche aux oiseaux commence directement avec lui

pour figurer l’alouette des champs (et plus tard le pinson) 82, de même qu’Un vitrail et des

oiseaux (1986) va lui aussi à l’essentiel, dès l’amorce, pour magnifier d’emblée le rossi-

gnol. Il figure encore le dernier oiseau 83 d’Un sourire (1989). Dans l’inachevé Concert

76 Dans le prêche de Saint François d’Assise déjà évoqué, le style poly-ornithologique, plus mûr de vingt

ans, atteint enfin son acmé : l’évocation musicale de la vitalité, re-naturalisation du contrepoint de Bach. Pour ce faire, Messiaen choisit une instrumentation plus percussive, nette, bien individualisée, dont les personnages ne fusionnent pas (comme les cordes de Chronochromie), pour que l’ensemble reste un théâtre brillant de ses nombreux personnages.

77 Mais l’orgue, comme le piano, ne modélise qu’un oiseau à la fois. Le modèle se retrouve plus facilement ainsi et la distanciation oiseau/orgue peut alors surprendre (et charmer) l’oreille de tout auditeur, ainsi pour la figuration, dans le Livre du saint Sacrement, de l’hypolaïs polyglotte (101-103) ou de la rousserolle turdoïde d’Égypte (109).

78 Ils tiennent ainsi tête à l’ensemble des bois et à la trompette qui, à eux tous, ne figurent que le seul uguisu.

79 Xylophone, marimba et xylorimba s’associent parfois aux maracas pour peindre le râle takahé ou d’autres oiseaux (notamment le gaja), dès la mesure 4. Ils sont placés devant, juste derrière trois clarinettes, à l’instar de solistes.

80 Par exemple, le xylorimba oiseleur est le seul instrument singulièrement souligné sur le conducteur (1966, 66).

81 Dans cette œuvre monumentale, Messiaen fait l’expérience, cette fois, de l’association glockenspiel/ xylorimba, plus cristalline. Le complexe est placé derrière le chef, à la place d’un véritable soliste et à l’instar du piano. Il résonne dès le début, à la mesure 2, pour figurer la pie-grièche à plastron noir d’Afrique du Sud.

82 Sixième tableau, « Le prêche aux oiseaux », partition, 1983, 183 et suivantes. 83 Oiseau non précisé (partition, 22).

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à quatre (1990), il entre rapidement en scène avec le mohoua de Nouvelle-Zélande 84,

enfin dans Éclairs sur l’au-delà (1988-1991), il incarne l’oiseau-lyre, soit la supposée muse du compositeur : c’est un fer de lance pour l’instrumentation du style oiseau.

Dans ces œuvres diverses de 1962 à 1991, ce timbre composite, par exemple lorsque des notes sont répétées rapidement (ainsi au début de l’intervention de l’oiseau-lyre) 85,

a l’air de transcrire le bruit percussif – bec contre tronc – du pic-vert 86. Pourtant

l’auditeur décode cela, précisément de façon distanciée, comme un chant d’oiseau, ou un bruissement d’oiseau (chant + bruit de bec « mélangés »). Ce timbre sec et répété, est perçu, en quelque sorte, comme un concentré d’énergie, de précision, de virtuosité animale. Le gosier des volatiles, surtout en rapport à leur taille, semble en effet surhu- main de puissance 87. Xylophone et marimba (xylophone grave), venant s’agréger l’un

sur l’autre en clusters mouvants et rapides traduisent ceci mieux que les autres instru- ments de l’orchestre, mieux que le piano sans doute aussi, ce qui explique peut-être, en partie, l’absence notoire de celui-ci dans Éclairs sur l’au-delà.

Les derniers tutti d’oiseaux, à partir de ceux de Saint François, jusqu’à ceux de « Plusieurs oiseaux des Arbres de Vie » (extraits d’Éclairs, 1988-1991), n’ont pu que séduire leur auditoire. Car « Épôde » et sa difficulté (son abstraction quant aux chants d’oiseaux) accusée par la mollesse des attaques de cordes y est définitivement sublimée. Messiaen touche alors comme la racine vivace, la « nature » (dans les deux sens du terme) de toute polyphonie. Bach est révélé, si l’on veut, dans l’intéressante singu- larité de son principe primitif. Le truisme du printemps donc de la vie, immédiat, évident, en renaît alors, pour tous, car l’évocation ne demande aucune initiation (elle est figurative) et se montre fidèle au modèle tout en le dépassant – bien entendu – dans l’art (notamment de l’orchestration). Certes donc un vague tableau vient aider ceci. Mais les distanciations oiseau/timbre de l’orchestre sont alors à la fois efficaces et manifestes d’invention (et facilement perceptibles comme telles). Ainsi, l’idée d’assi- gner au jeu ruban des ondes Martenot le glissando bien connu de certains volatiles est un succès objectif, une percée 88. Pierre Henry, dans Le voyage (1966), où semble

84 Partition, 9.

85 Voir III, dès les mesures 8-12. Xylophone, marimba et xylorimba répètent rapidement (en triples croches) 35 fois (do fa fa#).

86 Il ne s’agit pas du chant du pic-vert (ou plutôt, note Messiaen dans la partition, de son « rire ») que des violons solistes se chargent d’ailleurs d’entonner dans Réveil des oiseaux (Paris, Durand, 1955, 11). Robert Sherlaw Johnson croit entendre « le battement d’un pic-vert » dans l’œuvre (121), nous ne l’avons pas remarqué nous-même.

87 On y reviendra, en détail (quant à la stylisation de ceci par l’orchestre), au chapitre 6, « Slogans de

timbre ».

88 Voir acte II, VIe tableau (1983, 8 ou 23). Certes, on croit peut-être entendre un whip bird tropical plutôt qu’une grive musicienne (comme le prévoit Messiaen). C’est qu’on sous-estime la grive musicienne. Le

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résonner certains gazouillis évocateurs, aurait pu rêver faire vivre aussi bien un instru- ment électronique.

La médiation du dernier Messiaen, en cela, pourrait s’améliorer avec le temps, à mesure, par exemple, que certains extraits oiseleurs du vaste Saint François seront, peut-être, donnés seuls en concert (malgré l’interdiction du maître lui-même et ce « droit moral » que les éditions Leduc tentent de faire respecter) 89. À mesure aussi

que se développera hypothétiquement, en chacun, la conscience écologique. Le public aura su gré, confusément, au musicien d’avoir été parmi les moins scientistes des modernes de son temps. Ou l’on parle d’une science plus envisageable pour notre siècle, d’épistémologie plus subtile, plus soucieuse de respecter son objet d’étude que de s’en distancier absolument par crainte de « subjectivité » (comme si l’objectivité était possible, ce que même la physique quantique récuse et érige même en principe) 90.

Cette science écologique d’avenir ressemble à l’ornithologie de Messiaen qui s’interdi- rait, bien entendu, par exemple, toute vivisection. « Messiaen est encore le précurseur de cette conception écologique de la musique », remarque Halbreich, déjà dans son ouvrage publié en 1980 91.

L’écologie de Messiaen est traditionnelle, finalement méfiante envers toute produc- tion de la « civilisation moderne », remarque Stefan Drees 92. Mais cette méfiance est

pondérée par la foi illuminée et par le modernisme. Voici le résultat formulé, sinon paradoxal, du moins nuancé : « Les surréalistes électronistes pourront “écrire des nuits, fixer des vertiges”, comme disait Rimbaud – les dodécaphonistes sériels pourront aligner des changements de registres, des sons isolés, des intensités et des densités multiformes, des mélodies de timbres, des mélodies d’attaques – les stéréophonistes pourront déplacer les foyers sonores et créer des contrepoints d’espace absolument inouïs au sens propre du terme. Il y a mille façons de lancer la sonde vers l’avenir… Je leur souhaite seulement de ne pas oublier que la musique fait partie du Temps, qu’elle est un découpage du Temps comme notre propre vie – et que la Nature, toujours belle, toujours grande, toujours nouvelle, la Nature, trésor inépuisable des couleurs et des sons, des formes et des rythmes, modèle inégalé de développement total et de variation perpétuelle, la Nature est la suprême ressource 93 ! »

succès de ces pages, s’il n’avait pas été circonscrit par celui – plus difficile – d’un très long opéra au lyrisme incertain, eût été logique. Il faudrait donc extraire une suite orchestrale de l’opéra.

89 Revoir la fin de l’introduction à ce sujet.

90 Ce qu’on avançait en introduction. En effet la physique quantique admet, comme l’un de ses principes fondateurs, qu’il est impossible de mesurer une grandeur physique sans interférer avec elle.

91 496.

92 Voir 97-98 ou 109-110. 93 Messiaen, 1960, 6.

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Le climat de rêverie contemplative très statique s’enracine du début à la fin dans le ton de fa# majeur. La mélodie chante doucement aux cordes et aux ondes. […] Mais ici encore et surtout, au-delà de la technique et de la science, ce sont la poésie et le rêve qui dominent 1.

Elie During, en 2009, considère le romantisme demeuré la norme esthétique, tenace, de l’art de notre siècle 2. Justin Clemens, en 2003, appelait même « romantique » toute

théorie contemporaine 3. Au-delà de l’idéalisme musical 4 non clairement assumé,

logiquement, par le marxisme (d’origine nécessairement matérialiste) d’Adorno, le système philosophique d’Alain Badiou, pourtant lui aussi matérialiste en tant que marxiste, ne donne pas même à la philosophie le pouvoir d’énoncer des vérités quand il en donne notablement à l’art 5. Kant, peu avant le xixe siècle, n’aurait pas encore

pu concevoir un tel sacrifice – étrangement affiché – de sa pensée. Schopenhauer, trente ans plus tard, l’eût pu bien davantage, au moins quant à la musique. C’est une position implicitement romantique, selon le critère de Jean-Marie Schaeffer 6, mais

ceci, notons bien, jusqu’au sein même, donc, d’un possible matérialisme persistant, dans le cas d’Alain Badiou.

Et le public ? Certes, il pourra bien comprendre et apprécier, parfois en masse, les

nouvelles émotions permises par la musique savante après le romantisme. Les archives

de la Sacem confirment que Bolero de Ravel (1928) est l’œuvre de musique française

1 Halbreich, à propos de « Jardin du sommeil d’Amour », 385-386.

2 Certaines œuvres pensées comme « prototypes », cependant, commenceraient à se libérer de ce joug ancien. Voir « Prototypes : un nouveau statut de l’œuvre d’art », Esthétique et société, sous la direction de Colette Tron, Paris, L’Harmattan, 2009, 20.

3 Le penseur voyait le signe de cette persistance et de cette ubiquité dans sa définition du romantisme, toujours valide et donc même devenue universelle aujourd’hui selon lui : « capacity to turn its limits into the power for its own self overcoming ». Voir The romanticism of contemporary theory, Aldershot, Ashgate, 2003, 10.

4 C’est celui qui consiste, par exemple, dès l’amorce de la Théorie esthétique, à employer le concept de « grande musique ».

5 Ainsi qu’aux mathématiques, à la politique et à l’amour, mais point à la philosophie. 6 Note 15, p. 53.

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qu’on a le plus diffusée sur les radios du monde. Jusqu’à 1993, la pièce rapportait à la Sacem plus de droits qu’aucune autre, musiques populaires comprises. Entre 1970 et 2006, elle aurait engendré des recettes dépassant 46 millions d’euros. Or, les affects qu’elle engendre par des rythmes et une puissance orchestrale réinventés, bien qu’ineffables, ne sont probablement plus liés au seul romantisme 7. Ceci n’exclut pas

que le public puisse regretter en même temps, par ailleurs, la légitimité d’esthétiques musicales plus anciennes dont les avant-gardes, en ceci tranchantes, lui ont souvent affirmé l’obsolescence. En particulier, il semble logique qu’une nostalgie s’applique à la nostalgie elle-même. Or, pour notre époque, c’est le langage et le son roman- tiques qui persistent à le mieux parler de Sehnsucht. Par l’attirance des semblables, une position « esthétiquement nostalgique » sera peut-être plus encline à regretter le romantisme précisément, plutôt que la musique tonale en général quitte à « roman- tiser » celle-ci de façon rétrospective : de Mozart, que sélectionne, que re-fabrique l’herméneutique industrielle aujourd’hui ? Il s’agirait moins d’Une petite musique de

nuit, du 21e Concerto pour piano ou du grand air de la Reine de la nuit, qu’en tout

premier lieu, désormais, de sa Messe des morts 8. On ne peut définir ici le roman-

tisme musical, ni même adopter la définition d’un musicologue en particulier, jamais suffisante. Peut-être ce dernier appesantit-il l’affect. D’un point de vue technique aussi, il a tendance à appesantir, les dissonances expressives (vers des résolutions plus lointaines), les registres (vers les extrêmes, notamment les graves), l’écho (vers l’infini), et les modes mineurs à nouveau (après leur relatif retrait durant la période classique). Il semble maladroit, cependant, de corréler trop particulièrement mode mineur et romantisme. Olaf Post remarque que le mineur romantique est simplement « plus rapide 9 ». Mais ce mode incombe autant au baroque, d’ailleurs féru de l’expres-

sion des « passions » et de l’esprit tragique dans les deux sens du terme (théâtral et pathétique) qu’il charrie par essence en inventant l’opéra. Il paraît plus légitime, en revanche, de corréler le mode majeur au style classique 10, ce qui conduit à remarquer

7 L’exaltation pourrait naître ici du rythme inexorable, de l’évocation hispanisante éventuellement hédoniste (Carmen – 1875 – de ceci constituant un intermédiaire), probablement libératrice pour les oreilles d’un Occident majoritairement plus nordique, et d’une puissance orchestrale à l’essor irrésistible. (Certes, ce type d’émotions n’était plus nouveau depuis le Sacre du printemps, 1913, mais Ravel, en quelque sorte, a réussi à l’associer aux « affects modaux », ce qui a sans doute permis davantage encore d’accessibilité.)

8 Voir la très populaire compilation de musique savante Harmony – Le chant des rêves (EMI, 1999) qui affiche en couverture une photographie astronomique de la lune. De Mozart, le « succès standard » sélectionné y est le « Requiem ».

9 Voir « Western classical music in the minor mode is slower (except in the Romantic period) », Empirical

musicology review, vol. 4, n° 1, 2009.

10 L’accord parfait majeur est le « corps sonore » selon Rameau dans Le traité de l’harmonie réduite à ses

principes naturels (1722) : il est dans la nature (celle du son et de ses six premières harmoniques). Et le mode majeur, lumineux, épouse bien les idées de la seconde partie du Siècle des Lumières.

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en corollaire, avec Katelyn Horn, que le xixe siècle opère un retour, relatif, de ce

point de vue 11, retour certes non fortuit. Or, des 41 symphonies de Mozart, on peut

donner des indications quantitatives quant aux postérités respectives, sélectionnant la 25e et les deux dernières 12. Et de fait, parmi ces trois, deux affichent une tonalité

mineure 13, sol mineur. Curieusement, la 25e (1773) et la 40e (1788), sont précisé-

ment les deux seules symphonies « en mineur » de Mozart. Notons bien, à ce sujet, le porte-à-faux, d’ailleurs problématique (comme on le verra plus bas) entre Mozart et sa réception actuelle. Mozart sélectionne singulièrement peu le mineur, c’est décidé- ment un homme des Lumières. Mais sa réception le sélectionne avidement, tout au contraire, selon une inclination opposée et tout aussi singulière. Elle folklorise, donc assimile – se nourrit mieux ainsi de – ce caractère : elle surnomme ces deux sympho- nies « petite » et « grande sol mineur ». Leurs débuts respectifs résonnent aujourd’hui comme des slogans. L’amorce de la petite, dont il existe – parataxe forgeronne – une « version metal », est citée plusieurs fois dans diverses œuvres des « mass-media », sans doute avec profit, notamment dans un spot publicitaire en 1990 14. Celle de la

grande, la plus célèbre symphonie du Salzbourgeois selon plusieurs sources statistiques (RILM compris) 15, l’est dans plusieurs chansons dont une récente 16. En fait, même

si H.C. Robbins Landon parle déjà – hâtivement – de « crise romantique 17 » pour

qualifier l’orbe de la petite, il rappelle bientôt l’influence, plus ancienne et plus précise, du courant Sturm und drang (littéralement plus tempétueux et notamment diligent

11 « Major and minor : An empirical study of the transition between Classicism and Romanticism » , 12th Biennial International Conference for Music Perception and Cognition; 8th Triennial Conference of the European Society for the Cognitive Sciences of Music, Salonique, Aristoteleio Panepistīmio, 2012, 456-464.

12 Le RILM, mais aussi Google et Youtube (en avril 2014) sélectionnent surtout, selon le même ordre décroissant, respectivement la 40e, la 41e, puis la 25e. Mais à notre sens, la dernière des symphonies de Mozart (41e), vaut surtout en tant que telle, mythe de l’ultime, de l’aboutissement, du chef-d’œuvre testamentaire. Elle intéresse en premier lieu les spécialistes, chefs, musicologues, comme œuvre susceptible d’être la plus mûre et/ou ambitieuse (sous-titrée d’ailleurs « Jupiter »), « aboutie », donc fantasmée comme avantageusement interprétée ou étudiée. Mais nous doutons fort que ses thèmes soient aussi célèbres que ceux de la petite sol mineur. Et si Jupiter intéresse les musiciens, c’est peut- être aussi qu’elle s’approche davantage, précisément, historiquement, d’un xixe siècle fantasmé comme nœud expressif.

13 Voir la partie centrale de l’appendice (« Messiaen solaire »).

14 Pour le compte des pâtes Barilla. Elle était également claironnée dans le générique de début du film de Milos Forman, Amadeus (1984).

15 Parmi les symphonies de Mozart, elle apparaît dans le plus grand nombre de titres ou d’abstracts de textes selon le RILM (non moins de 84 articles sont concernés en avril 2014). Elle domine aussi les occurrences symphoniques mozartiennes selon Google et selon Youtube.

16 Il s’agit d’Una parte di me (2012) d’Amaury Vassili.

17 Voir « La crise romantique dans la musique autrichienne vers 1770 : Quelques précurseurs inconnus de

la symphonie en sol mineur (KV 183) de Mozart », Les influences étrangères dans l’œuvre de W.A. Mozart, CNRS, 1958, 27.

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qu’encore précisément « romantique »), typique de la Vienne au tournant des années 1760-1770 18. Enfin, si la réception de la 40e (KV 550) l’emporte finalement, c’est

au moins pour trois raisons. D’abord, elle est déjà presque la dernière et il s’en faut donc de peu qu’elle n’appartienne à ce xixe siècle fantasmé comme nœud expressif ;

ensuite, à l’instar de sa petite sœur (aînée) en sol mineur et du « requiem », elle est sans doute sélectionnée pour son mode dominant ; enfin et surtout, elle pourrait être considérée « presque » romantique pour une affaire non plus seulement modale mais, beaucoup plus précisément, sonore 19 : c’est ainsi qu’elle devient la « grande ». De

fait, la prétendue « grande musique », dont il sera question en conclusion, est surtout « musique profonde », mais du simple point de vue de l’écho. De même, si Leszek Polony considère déjà « romantique avant le romantisme 20 » la sonate en la mineur

K310 (1778), inspirée par la mort de la mère du musicien, c’est précisément moins par son furieux mineur initial (encore Sturm und Drang, sans doute) que par son mouve- ment lent, en majeur (fa) mais particulièrement appesanti et, selon les interprétations modernes qui usent de la pédale sur de longs Steinway de concert, résonant.

Une mise en scène sans doute consumériste relooke un Mozart pour lequel on organise aujourd’hui des « best of 21 ». Elle lui ôte sa perruque classique et le coiffe

donc d’un haut-de-forme « romantique ». C’est une opération tranchante qui ressemble à ces rationalisations d’entreprise, d’autant plus tranchantes – impitoyables – quand elles se légitiment par des sophismes de la « sélection naturelle » bio-généa-

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