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Vingt regards sur Messiaen

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)Vingt regards sur Messiaen Une étiologie de la médiation Jacques Amblard. ARTS.

(2) MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 1. 29/09/2015 16:47:58.

(3) ARTS série Histoire, théorie et pratique des arts dirigée par Sylvie Coëllier. Barbara Denis-Morel, dir., Corps recomposés. Greffe et art contemporain, 160 p., 2015 Amélie Bonnet Balazut, Portrait de l'homme en animal. De la duplicité de la figure humaine dans l'art pariétal paléolithique, 144 p., 2014 Michel Guérin, dir., Le geste entre émergence et apparence. Éthologie, éthique, esthétique, 234 p., 2014 Caroline Renard, dir., coordonné avec Isabelle Anselme et François Amy de la Bretèque, Wang Bing. Un cinéaste en Chine aujourd’hui, 226 p., 2014 Li Shiyan, Le vide dans l’art du xxe siècle. Occident/Extrême-Orient, 344 p., 2014 Caroline Renard, dir., Images numériques ? Leurs effets sur le cinéma et les autres arts, 284 p., 2014 Yves Chevrefils Desbiolles, Les revues d’art à Paris 1905-1940, nouvelle édition mise à jour, 364 p., 2014 Jean Arnaud, L’espace feuilleté dans l’art moderne et contemporain, 180 p., 2014 Jacques Sapiega, Scènes de croisades. Cabaret Crusades. The path to Cairo de Wael Shawky, 158 p., 2013 Jean Arrouye, Éloquence de la peinture. Figures seules et en couple, 214 p., 2013 Patrick Lhot, L’indifférence créatrice de Raoul Hausmann. Aux sources du dadaïsme, 382 p., 2013 Pascal Julien, dir., Marbres de Rois, 348 p., 2013 Jean Arrouye et Michel Guérin, dir., Le photographiable, 224 p., 2013 Charlotte Serrus, Glissades. Instabilité, indistinction et postures humoristiques à l’ère dite postmoderne, 286 p., 2012 Jacques Amblard et Sylvie Coëllier, dir., L’art des années 2000. Quelles émergences ?, 296 p., 2012 Chantal Zheng et Zheng Shun-De, dir., Art nouveau et céramique architecturale asiatique, 178 p., 2012 Étienne Jollet, Claude Massu, dir., Les images du monument de la Renaissance à nos jours, 316 p., 2012 Natacha Pugnet, dir., Les doubles je[ux] de l'artiste. Identité, fiction et représentation de soi dans les pratiques contemporaines, 266 p., 2012 Gérard Monnier, Artistes, société, territoire. Les arts en Provence et sur la Côte d’Azur aux xxe siècles, 192 p., 2012. xixe. et. Odile Billoret-Bourdy et Michel Guérin, dir., Picasso Cézanne. Quelle filiation ?, 188 p., 2011 Sylvie Coëllier et Louis Dieuzayde, dir., Art, transversalités et questions politiques, 254 p., 2011 Jean-Claude Le Gouic, Le dessin dans la peinture. La griffe de Georges Noël, 188 p., 2010 Céline Aubertin et Alain Chareyre-Méjan, dir., Esthétiques de l’arbre, 230 p., 2010 Michel Guérin, dir., La cause de la peinture, études en hommage à Jean-Claude Le Gouic, 214 p., 2008 (Autres titres de la collection  : voir page 341). MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 2. 29/09/2015 16:47:58.

(4) ARTS Histoire, théorie et pratique des arts. Vingt regards sur Messiaen Une étiologie de la médiation. Jacques Amblard. 2015 Presses Universitaires de Provence. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 3. 29/09/2015 16:47:58.

(5) © Presses. Universitaires de Provence Aix-Marseille Université. 29, avenue Robert-Schuman – F – 13621 Aix-en-Provence cedex 1 Tél. 33 (0)4 13 55 31 91 pup@univ-amu.fr – Catalogue complet sur http://presses-universitaires.univ-amu.fr/ diffusion librairies  : afpu diffusion – distribution sodis. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 4. 29/09/2015 16:47:58.

(6) Avertissement. Dans la bibliographie ne figurent qu’une sélection des près de 2000 textes concernant Messiaen, déjà écrits à ce jour (sources primaires), que le RILM est loin d’avoir tous référencés. Quand ceux-ci apparaissent en note, et suivant en ceci l’exemple d’économie des sciences « dures », nous nous bornons à donner le nom de l’auteur et la page (parfois seulement un nombre, c’est alors la page : cas où l’auteur est cité dans le corps du texte). Quand l’auteur a écrit plusieurs textes concernant Messiaen, nous ajoutons l’année de parution (ou le titre si l’auteur, comme Christopher Dingle en 2013, a publié deux ouvrages la même année). Les autres textes (sources secondaires) sont cités en note de façon ordinaire (détaillée), mais, trop divers, ne sont pas rassemblés dans la bibliographie. Dans le cas contraire, cette dernière n’eût rien montré d’autre que son caractère postmoderne, hybridateur, comparatiste sans borne, ce qu’il nous faut bien assumer par ailleurs avec notre époque. Quant à la musique, nous ne mentionnons pas l’éditeur, mais directement la page ou les mesures. La majorité des partitions citées ici (surtout celles de l’après-guerre) sont parues chez Alphonse Leduc. Ceci est sous-entendu. L’éditeur est précisé dans un autre cas (Durand ou Lemoine).. 5. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 5. 29/09/2015 16:47:58.

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(8) Avant-propos. Qu’est-ce qui rend héroïque ? Aller au-devant de sa suprême espérance Nietzsche, Le gai savoir.. Ce livre, comme tous mes autres textes de musicologie, n’aurait probablement pas existé sans les impulsions mystérieuses données, parfois à son insu, parfois de loin, par François Decarsin. Ce dernier ne fut pas exactement un modèle mais quelque chose de plus, de difficile à cerner : une force solaire qui rappelle sous certains aspects, d’ailleurs, celle de Messiaen telle que décrite en appendice. Decarsin, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un curieux soleil, d’une originalité qui surprend toujours, à la pensée et au verbe rapides, ignés, parfois brutaux ou aveugles mais/car toujours dans cette violente espérance que je n’ai connue que chez lui. C’est comme un démiurge aux yeux d’« enfant » (encore comme Messiaen), au regard émerveillé, sémillant de « gai savoir », en quelque sorte. Qu’il soit remercié pour tout ce qu’il m’a donné et qu’il me donne encore, chaque fois que je pense à lui – régulièrement.. 7. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 7. 29/09/2015 16:47:58.

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(10) Préface. Voici un ouvrage d’une grande richesse : les « vingt regards sur Messiaen » de Jacques Amblard cernent l’importance de ce compositeur, qui est considérable. Convoquant de nombreuses problématiques de la pensée, comme la musique d’hier et d’aujourd’hui, l’auteur apporte des perspectives nouvelles sur l’œuvre de Messiaen, ce compositeur « solaire ». Même si l’ouvrage propose dès son exorde un « panégyrique » qui assoit le musicien à une place centrale, Vingt regards sur Messiaen n’est nullement une hagiographie. L’argumentation est documentée, rigoureuse. Elle s’appuie sur des statistiques et des renvois. La propre pensée critique de Jacques Amblard lui fait répondre aux appréciations négatives qui dévalorisent ou caricaturent un créateur hors normes. Le livre s’attache à analyser la réception de l’œuvre, en distinguant les « étiologies » possibles (je regrette personnellement ce terme un peu clinique) – les causes esthétiques, techniques, historiques, sociologiques, qui contribuent à son image. Messiaen pourrait être « de tous les récits » (chapitre 1), y compris des siens propres, entre « le professeur, l’acteur ou le personnage légendaire ». Théâtre culturel d’une « vie-œuvre », habillage médiateur ? Cette médiologie sera déconstruite dans l’ouvrage. Quand viennent les oiseaux (convolés au chapitre 2), il ne s’agit peut-être déjà « plus de musique pure ». L’atonalité « semble acceptée et même promulguée, absoute par l’oiseau ». Pour ma part, il m’a toujours semblé que la modalité travaillée de Messiaen a été sauvée de la suavité harmonique (une « suavité sacrée » trop sucrée) par l’insertion des chants d’oiseaux, certes stylisés, mais imités de façon beaucoup plus véridique que chez les compositeurs antérieurs. En citant « ce que la nature contient d’absolu musical : le chant de l’oiseau » (l’oiseau qui selon Messiaen « chante la gloire de Dieu sur la terre »), Messiaen donne la main, selon moi, à la musique concrète, territoire sonore qu’il a expérimenté et loué sans y pénétrer. Et pourtant le style oiseau a pu être considéré comme une « quasi-preuve d’imbécillité ». Ainsi, selon Bernard Flavigny, Dupré disait au jeune Messiaen : « oubliez vos oiseaux, faites de la musique ». Elie During, cité pour ouvrir le chapitre 3, craint que le romantisme soit resté « la norme esthétique, tenace, de l’art de notre xxie siècle ». Je convoquerai à mon tour Varèse, au préalable, lui déjà pour qui même s’il devient classique, tout créateur reste romantique. Pour Jacques Amblard, le romantisme apparaît chez Messiaen par l’écho, 9. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 9. 29/09/2015 16:47:58.

(11) Vingt regards sur Messiaen. la résonance et notamment l’onde Martenot qui « électrifie cette diffusion romantique pour le nouveau siècle ». Lenteur, extase, cordes : cette idée est longuement développée. Le chapitre 4, « Cristal », place Messiaen sous le signe de la verticalité et de l’homorythmie, voire de la monorythmie – ce qui peut paraître paradoxal pour quelqu’un qui se qualifiait de « compositeur et rythmicien ». Le rôle de la synchronisation dans la médiation fait l’objet d’une discussion longue mais pertinente, détaillant le contexte d’une logique consumériste « de réception mondialisée » créant des valeurs sûres dignes de starifications culturelles. N’y sont pas oubliés des archétypes fondamentaux : « La voix unique s’approche des grands fondamentaux de la relation humaine. C’est la voix de la mère entendue par l’enfant. Pour Messiaen, ce sera aussi la voix du Père entendue par Moïse ». Le chapitre 5, « Exotérisme et réception » explore – selon moi avec discernement – les thèmes de la magie et du merveilleux, de la philosophie, de l’enfance, de la foi, de la religion, de l’ésotérisme, de la sexualité, et leur rôle dans l’exceptionnel « coefficient d’émergence » de Messiaen. « Violences, caricatures » : ce chapitre 6 révèle le rôle des oppositions tranchantes et des archétypes dans la clarté de l’image et la portée de la réputation de Messiaen, qui ne craint pas le poncif. On peut trouver – c’est mon cas – que « le primat d’une parfaite intelligibilité vocale » n’évite pas, dans Saint François d’Assise, l’écueil d’une grande banalité (selon Jacques Amblard, « un rythme gourd et régulier » à l’effet hypnotique) : mais le contraste fait ressortir la richesse du texte orchestral, « aboutissement » du style oiseau selon l’auteur. Sous la forme anodine d’une note de bas de page (26 p. 204) relative à des « caricatures de forme », l’auteur avance une hypothèse qui n’a rien d’anodin concernant trois catégories d’une réception sommaire, hypothèse qui pourrait expliquer la grande renommée de Messiaen, analyste, professeur, « espion de la musique contemporaine », et « médiateur professionnel » – « pour le bénéfice du public et pour le nôtre ». Le chapitre 7, « synesthétique », aborde la question de l’art total, son rapport avec le politique, le culturel et le cultuel, puis la synesthésie de Messiaen, phénomène perceptif exceptionnel dont les caractéristiques, rappelons-le, varient considérablement d’un synesthète à l’autre. Le goût intense de Messiaen pour la littérature et le théâtre ouvre le « medium musique » et justifie un rapprochement avec Cage. L’image, chez ce Messiaen synesthète, reste au service de la musique qui tente de « re-civiliser le monde » en le rendant à la nature. Jacques Amblard prédit pour le xxie siècle, en conclusion, une émergence croissante de Messiaen dans les articles musicologiques et sans doute dans les succès à venir. Une nouvelle série de « regards » est alors proposée dans cette perspective futurologique. Commentons-en ici quelques uns. 10. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 10. 29/09/2015 16:47:58.

(12) Préface. « Regards du centre » : l’auteur avance l’idée convaincante que Messiaen « a trouvé par avance une possible synthèse entre modernisme et postmodernisme ». J’ajouterai que György Ligeti, qui avait pour Messiaen une très grande admiration, a été lui aussi, après sa période avant-gardiste, à la recherche d’une telle synthèse – une préoccupation reconnaissable chez nombre de compositeurs plus jeunes, soucieux du « dépassement tonalité/atonalité ». Chez Messiaen ce dépassement s’était opéré de façon naturelle, à une époque où il ne faisait pas consensus. « Regard de l’enfant ; de l’interdisciplinarité ». « Regard de l’ergonomie ». La dilection de Messiaen pour le grand orchestre pourra se heurter aux problèmes économiques qui menacent leur survie, même si le musicien instrumente à l’occasion de façon économe. Si l’on excepte le recours aux ondes Martenot, Messiaen n’a pas eu recours à la technologie, qui permet à peu de frais d’obtenir « une facile et infinie profondeur de champ... ou encore une polyphonie proliférante ». Cependant on trouve chez lui certaines logiques concrètes transposées aux instruments traditionnels, et aussi l’irruption « rousseauiste » de la nature, si valorisée aujourd’hui. « Regard du monde » : Messiaen était « un alter-mondialiste précurseur », déjà altermoderne, « globalisé » et « globalisable » par excellence ». « Regard du rock » : dichotomie ou fusion des genres savant et populaire ? Messiaen était réticent vis-àvis de cette fusion, qui est à l’œuvre dans plusieurs tendances récentes de la musique savante comme la saturation : n’en sera peut-être que plus claire son image « comme le plus important compositeur de musique écrite du second xxe siècle ». Et « Regard de la fin du temps » : le grand récit de Messiaen serait la fin du monde (ou en tout cas, selon Jean-François Lyotard, « la fin des grands récits » – annoncée selon moi dès le premier xxe siècle par la démonstration mathématique de Gödel de l’incapacité des mathématiques à élaborer sans aporie des systèmes complexes). Une profonde discussion, des philosophes allemands à Deleuze, nous ramène à cette fin du temps guettée par Messiaen : une téléologie pour notre siècle ? Au cours de cette fin, Jacques Amblard aura évoqué la dimension « subtilement nietzschéenne » de la théologie personnelle (atypique) de Messiaen, « proposant un Gai savoir de l’au-delà ». Il insiste justement sur la force de ce personnage, manifeste dès la publication précoce de son Technique du langage musical, un « auto-bilan » qui a pu apparaître naïf et narcissique. J’ai un vif souvenir d’une exécution récente à Marseille de l’œuvre Des canyons aux étoiles, dans laquelle la sonorité, le timbre qu’évoque Makis Solomos (souvent cité au chapitre 3), apparaissent comme catégorie centrale, et de l’emprise sur le public de cette fresque sonnante et colorée de près de deux heures. Après une très substantielle « bibliographie restreinte » consacrée au seul sujet Messiaen (« sources primaires » déjà considérables, à l’échelle internationale, dans le cas de ce compositeur), Jacques Amblard insère un appendice revenant sur le Quatuor pour la fin du temps, puis sur un « Messiaen solaire », enfin qui juxtapose Six remarques 11. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 11. 29/09/2015 16:47:58.

(13) Vingt regards sur Messiaen. sur le postmodernisme et la magie à un important article en anglais qui résume (ou plutôt annonce) le chapitre 4, « Messiaen or the French clarity ». Viennent enfin des statistiques significatives (voir la page 335). Finalement, dans cette étiologie clinique, exhaustive et lucide menée par Jacques Amblard, nul aveuglement, nulle indulgence, et nul réductionnisme : une explicitation perspicace des causes du succès planétaire de Messiaen, et un hommage éclairé à cette réussite publique du musicien, qui a intégré modernité, postmodernité et classicisme en une puissante transfiguration musicale. Jean-Claude Risset.. 12. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 12. 29/09/2015 16:47:58.

(14) Introduction – Regard du xxe siècle. L’avant-garde, par définition minoritaire et subversive, se dissoudrait dans la subvention, pour disparaître ou pour s’y identifier. Olivier Roueff 1 Les quelques 600 compositeurs français (de musique symphonique, musique de chambre ou musique électroacoustique) exercent dans la grande majorité des cas leur activité dans des conditions précaires. Très peu d’entre eux parviennent en effet à vivre de leur activité. Rapport Moreau (ex-responsable CGT à la SNCF), fin 1980 2.. Trouver un titre à ce texte était délicat. À défaut de bien intituler, expliquons. Il s’agit d’examiner ce kaléidoscope que la culture occidentale appelle « Messiaen ». Peut-on délimiter ce que la musique, d’une part, le personnage d’autre part (1908-1992) ont pu laisser dans l’esprit des différents publics ? On se place, d’emblée, du côté de la réception de l’œuvre, du côté de Jauss 3. Toutefois, le lecteur épris de sociologie ne trouvera guère ici d’enquêtes fouillées concernant les avis des auditeurs. D’ailleurs, de ces enquêtes, il n’existe que peu en général, et presque pas du tout 4, à notre connaissance, concernant Messiaen. On raisonne donc en solitaire. On s’inscrit, pour peu qu’on l’ait compris, dans ce projet d’Esteban Buch : « Pour une sociologie des œuvres musicales telles qu’écoutées par quelqu’un 5 ». Si en soi « la musique est une sociologie 6 », comme le pense Antoine Hennion, toute approche d’analyse devra – ou sinon 1 2. 3 4 5. 6. « Le terrain de l’avant-garde. Tension structurale et formation de compromis en contexte d’économie subventionnée », in Terrains de la musique, textes réunis par marc Perrenoud, L’Harmattan, 2006, 165. Voir cette étude du Conseil économique et social sur les Perspectives de la musique et du théâtre lyrique en France, 135-139, cité par Anne Veitl et Noémi Duchemin, Maurice Fleuret : une politique démocratique de la musique, Paris, Comité d’histoire du Ministère de la Culture, 2000, 76. Nous faisons allusion à l’esthétique développée à l’École de Constance et notamment aux thèses de Hans Robert Jauss dans Pour une esthétique de la réception (Paris, Gallimard, 1978). Demeurent les textes – bientôt cités – de Balmer et Kasaba. C’est le titre de son article et sa dernière phrase aussi, 25 ans de sociologie de la musique en France, tome 1, sous la direction d’Emmanuel Brandl, Cécile Prévost-Thomas et Hyacinthe Ravet, Paris, L’Harmattan, 2012, 133-142. Antoine Hennion, La passion musicale, Paris, Métailié, 2007, 357. 13. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 13. 29/09/2015 16:47:58.

(15) Vingt regards sur Messiaen. trouvera avantage à – prendre en compte ce que ce dernier appelle la « médiation » des œuvres. Mais cela peut être mené seul, selon une sorte de logique, si la musique en soi est une logique sociologique. Ce terme de « médiation » a l’avantage d’évoquer à la fois celle puissamment initiée par Messiaen lui-même, souvent excellent médiateur, mais aussi la « réception » de l’œuvre, et encore, entre les deux, de l’une à l’autre, les canaux sociétaux, historiques ou anthropologiques qui ont permis que l’ensemble fût fluide. Il vaut aussi pour médian, le centre que Messiaen occupe (chapitre 0, « Médiatrice »). On aurait pu titrer Vains regards... « Vains », au-delà du calembour initial 7, eût d’emblée avoué les limites idéologiques de notre démarche. Ecrire sur Messiaen, autrefois, consistait en France à se placer du côté des discours d’un compositeur moderniste (et/ou, pour certains, chrétien) 8. C’était idéologique (pour la musique contemporaine et/ou même parfois pour la foi voire l’Église). C’était l’esthétique de la « création » dans le premier cas, une rêverie esthétique cachant une éthique (voire une morale prosélyte) dans le second. Postmodernes 9, nous croyons aujourd’hui échapper à de telles idéologies, à de tels « grands récits » au sens de Lyotard 10, en considérant aussi « réception » ou « médiation », indiquées cependant de façon bien théorique et lointaine par Jauss et Hennion, lesquels ne prennent que peu d’exemples. Mais ces dernières, finalement, sont encore affaire d’idéologie. À l’automne 1962, un colloque affichait cette politique persistante (qui combat pour) dans son titre : Pour une sociologie de la musique contemporaine. Une table ronde, le 20 novembre, pensait étudier « Le public devant certains aspects de la musique contemporaine ». Or, certains comme Jacques Feschotte ne voyaient presque aucun public 11. Et Antoine Goléa, lui, en remarquait un conséquent, capable de réserver un triomphe à une œuvre de Boulez 12. Médiation et réception sont Avec Vingt regards sur l’Enfant Jésus. Cette idéologie semblait défendue de façon moins dissimulée à l’étranger, notamment par les musicologues anglais et allemands. On y reviendra largement sous divers angles d’approche. 9 Nous justifierons plus loin et plusieurs fois cette position historique implicite, passive, qui n’est donc pas une idéologie active a priori. 10 Voir La condition postmoderne (Paris, Minuit, 1979, 8), qui commence par écrire la rubrique nécrologique des principaux « grands récits », notamment ceux du christianisme ou du marxisme. 11 Feschotte cite Fürtwangler. « Il y a la musique que l’on écoute et la musique dont on parle ». Ensuite il remarque que partout, les publics sont sceptiques de la même façon, que ce n’est pas une question de culture, de groupes différents d’un pays à l’autre. Op. cit., Pour une sociologie de la musique contemporaine, Semaines Musicales Internationales de Paris, 1962, 5. 12 Goléa qualifie la citation de Fürtwangler de pessimiste, réactionnaire. Il cite ensuite l’exemple de deux concerts. Pli selon pli (1957-1962) de Boulez, est donné en juin 1962 au Théâtre de l’Odéon. « Que voilà un temple de la réaction et du romantisme au sens le plus frappant du mot ! Eh bien cette œuvre a été jouée dans cette salle absolument comble, avec un succès énorme. » Il convoque alors Le visage nuptial (1946), du même Boulez, donné au Festival de Strasbourg en 1959, sous la direction de Charles Brück : « Donc la ville de Strasbourg, où le culte de Bach, de Beethoven est beaucoup plus vivant que le culte 7 8. 14. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 14. 29/09/2015 16:47:58.

(16) Introduction – Regard du xxe siècle. particulièrement des affaires politiques. Leur interprétation est chaotique (donc politisable à l’envi) car elles-mêmes sont incommensurables. Alfred Willener nomme autrement ce problème relevé par Adorno : « il est possible, et impossible de comprendre la société 13 ». Ou encore : « l’art est autonome et il ne l’est pas 14 ». Il faudra donc se résigner un jour à conclure que le public, à force d’être protéiforme et, en même temps, mu par des jugements de goûts subjectifs et paradoxalement universels (esthétiques kantiens), socialement multiple et pourtant parfois mystérieusement unanime, que le public n’existe pas 15. On ne pourra toujours que conjecturer à son sujet, s’identifier à lui : voilà l’idéologie (je suis le public). Mais il faut bien aujourd’hui tenter de se placer au centre nécessaire entre, d’une part, une sociologie de la musique purement théorique, peu exemplifiée et, d’autre part, des analyses pures, structuralistes, tout aussi arides en l’état, ne se justifiant que de leur auctoritas solfégique. Nos analyses techniques se montreront donc discrètes et occasionnelles : on ne scrutera techniquement que ce qui d’après nous permit une émergence de diverses médiations singulières. Mais notre auctoritas s’en déploie d’autant plus difficilement (peu d’analyses). Tant pis. On revendiquerait même parfois, avec le physicien Edmond Bouty, une certaine subjectivité nécessaire à travers cette opinion de 1908 citée par Bachelard : « La science est un produit de l’esprit humain, produit conforme aux lois de notre pensée et adapté au monde extérieur. Elle offre donc deux aspects, l’un subjectif, l’autre objectif, tous deux également nécessaires, car il nous est aussi impossible de changer quoi que ce soit aux lois de notre esprit qu’à celles du monde 16 ». Et Popper, de son côté, ajoute de façon plus pessimiste que « l’objectivité des propositions scientifiques consiste en ce qu’elles doivent être intersubjectivement contrôlables 17 ».. 13 14 15. 16 17. des jeunes musiciens, a fait à cette œuvre un triomphe ». Idem, 16. Il évoque encore, ce qui paraît plus prévisible, les Thrènes… de Penderecki (1959), données salle Pleyel par l’Orchestre de la Radiodiffusion de Varsovie, peu avant la table ronde : « ces auditeurs l’ont tellement bien supporté qu’ils l’ont bissé ; c’était le véritable grand public ». Ibidem, 15. « Musique-sociologie : pratiquer Adorno ? », Musique et sociologie, sous la direction d’Anne-Marie Green, Paris, L’Harmattan, 2000, 51. Idem, 41. Chaos, il échappe à la connaissance presque par essence, sauf dans certains cas finalement rares : « Même si l’on considère un public originel au moment de la naissance d’un genre ou d’un style populaire, on peut s’apercevoir que le public est souvent des plus mêlé, allant de la prostituée à des nobles encanaillés comme ce fut le cas du Fado ou du Magyar nota. De plus, les musiciens et le public ne proviennent pas nécessairement du même milieu social ». Michel Demeuldre, « Approche génétique des processus musico-sociaux », Musique et sociologie, sous la direction d’Anne-Marie Green, Paris, L’Harmattan, 2000, 151. Que peut connaître le sociologue, dès lors, si le public est intra-divisé, et inter-divisé (ou non) par rapport au compositeur ? Il peut collecter les avis, les témoignages « objectifs » au sujet de publics, mais témoignages qui eux-mêmes sont idéologiques et donc non nécessairement représentatifs. Voir Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, Paris, Quadrige/PUF (1934), 1991, 5-6. Karl Popper, « Problèmes fondamentaux de la logique de la connaissance », Philosophie des sciences, tome II (Naturalismes et réalismes), textes réunis par Sandra Laugier et Pierre Wagner, Paris, Vrin, 2004, 261. 15. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 15. 29/09/2015 16:47:58.

(17) Vingt regards sur Messiaen. Au demeurant, les analystes, notamment anglais, ont déjà haché quantité d’œuvres en tous sens, sans réellement dégager ce qui d’après nous fut crucial et notamment le « cristal » : les structures homorythmiques dominantes. Notre texte, au pire, pourrait ne valoir que pour le chapitre 4 qui les concerne. Nous le recommandons au lecteur musicien. Nous en avons reporté les grands traits, traduits en anglais, en appendice 18. Notre carrière entière de musicologue, compte tenu de l’importance de Messiaen, n’aura jamais souligné détail plus important. Par ailleurs, si les hypothèses d’explication de la médiation peuvent paraître, souvent, conjonctures, c’est précisément que nous tentons des sociologies esthétiques pratiques, exemplifiées, et que la chose est toujours périlleuse : faire de l’esthétique pratique approche dangereusement le jugement de goût et plus seulement sa théorie kantienne abstraite. Mais on a tenté d’étayer le propos tant que faire se pouvait. Ce fut notre travail le plus long et difficile à ce jour. Et le résultat n’est pas toujours satisfaisant. Mais le lecteur se souviendra, espérons-le, qu’on a tenté d’être clair et que l’objectivité se cherchait elle-même aussi là. Penser des textes contournés moins subjectifs car moins compréhensibles serait dommage. « Deux caractéristiques, selon Poincaré, font d’un fait un “fait objectif” : il doit être commun à plusieurs esprits et doit être transmissible, communicable. Poincaré écrit dans La valeur de la science : “pas de discours, pas d’objectivité 19” ». Et Jacques Bouveresse rappelle qu’également pour Wittgenstein, « le but de l’analyse logique ou conceptuelle est “la clarté complète”, ce n’est ni la recherche de la signification réelle (au sens de l’essentialisme) ni la précision ou l’exactitude 20 ». En tout état de cause, quelle que soit l’objectivité du propos et l’exactitude de la démonstration horizontale, une croyance (ou non) en ce propos lui sera sur-imprimée par le lecteur de façon verticale. C’est ce qu’indique Willard Van Orman Quine dans « L’épistémologie naturalisée » : « comment distinguer entre l’information qui contribue à l’intelligence d’une phrase et celle qui va plus loin que cela ? C’est le problème de distinguer entre vérité analytique, ou qui découle des seules significations des mots, et vérité synthétique, ou qui dépend d‘autre chose que de ces significations 21 ». Nous appelons ces « vérités synthétiques » croyances au sens le plus large possible, surtout en tant que convictions non discutables, non transmissibles d’un individu à l’autre, implicites durs. On sait que Messiaen est croyant (ici dans le sens particulier de dévot). Qui l’est autant par voie de conséquence ? Et même davantage : si je suis « cartésien » au sens « d’athée », je le demeurerai facilement même si Descartes en personne, en 1637, augure du pari de Pascal (1670) sous mes yeux, d’autant plus s’il. Voir § 4, « Messiaen or the French clarity » Cité par Françoise Balibar et Raffaela Toncelli dans Einstein, Newton, Poincaré. Une histoire de principes, Paris, Belin, 2008, 206. 20 Voir « Essentialisme, réduction et explication ultime », Philosophie des sciences, op. cit., tome I, 178. 21 Op. cit, idem, tome I, 55. 18 19. 16. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 16. 29/09/2015 16:47:58.

(18) Introduction – Regard du xxe siècle. se passe de la finesse ludique du pari : « Enfin, s’il y a encore des hommes qui ne soient pas assez persuadés de l’existence de Dieu et de leur âme, par les raisons que j’ai apportées, je veux bien qu’ils sachent que toutes les autres choses, dont ils se pensent peutêtre plus assurés, comme d’avoir un corps, et qu’il y a des astres et une terre, et choses semblables, sont moins certaines 22 ». Mais en fait, il peut s’avérer fructueux, même pour les sciences, d’épouser de façon intermittente une pensée magique (notamment celle de Messiaen), pensée non pas si spécifique ou aisément contournable, si l’on suit la définition de Freud 23. Ce n’est pas seulement pour appliquer le « Principe du Bénéfice du Doute 24 » que l’épistémologue Hilary Putnam propose d’ailleurs d’appeler « Principe de Charité 25 ». Au-delà, c’est pour, le plus loin possible, « garder ouvert le corps d’explication 26 » (ce que préconise Bachelard comme « caractéristique d’une psychologie scientifique réceptive 27 »). Cette ouverture, pour nous, consiste même à croire à tout mais précisément ceci permet dialectiquement de douter de tout 28. Et notre posture intime en devient en ceci mieux – plus littéralement – cartésienne (le premier principe du suscité Discours de la méthode est de douter absolument 29 et quant à la pensée « magique 30 » de Descartes, il n’est qu’à relire les propos cités ci-dessus). 22 23. 24 25 26 27 28. 29. 30. Discours de la méthode, Paris, Flammarion, 1966, 63. Cette pensée magique, pour « immature » qu’elle soit selon Freud (ou archaïque selon Levy-Bruhl dans La mentalité primitive, Paris, Alcan, 1922), ou rejetable en tant que superstition inférieure par l’Église, de façon très discutable dans ce cas (on y revient ci-dessous), est universelle dans l’inconscient selon le même Freud (car dans la petite enfance de chacun). La placer sur le plan conscient, éventuellement par intermittence, est donc en un sens l’assumer et n’est pas nécessairement y demeurer. Par ailleurs, un certain niveau de mysticisme, selon nous, confine au même point que le matérialisme le plus rigoureux : dans l’abandon précis de toute croyance qui déclenche l’accès paradoxal à une transcendance réelle pour les uns (notamment les mystiques bouddhistes ou soufis), au néant (en soi transcendance absolue du réel) pour les autres. Pour la pensée chrétienne, ce point est encore sensiblement atteint par le Christ dans son ultime « doute », euphémisme de noirceur paroxystique : « Eli, Eli, lama asabachthani ? ». « Langage et réalité », Philosophie des sciences, op. cit., tome I, 76. Idem. Le nouvel esprit scientifique, Paris, Quadrige/PUF (1934), 1991, 168. Idem. En effet les croyances partielles ou inconscientes (même matérialistes, même scientistes, comme Latour le montre – voir ci-après), douteront plus volontiers, et cette fois de façon éventuellement durable, du seul horizon de croyances opposé. Rappelons en les quatre principes méthodologiques : « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention […]. Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. […] Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusque à la connaissance des plus composés […]. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. », op. cit., 46. Revoir note 23. Certes la pensée catholique, plus particulièrement celle, officielle, de l’Église, a toujours tenu à se distinguer de la « pensée magique » mais pour éloigner, selon elle (et selon son anthropologie 17. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 17. 29/09/2015 16:47:58.

(19) Vingt regards sur Messiaen. Il faut en discuter ici, sérieusement, car dans le cas de notre sujet (Messiaen, qui développe parfois très loin une pensée alchimique), la question du positionnement de l’auteur, à certains moments, devient incontournable, pour ces raisons que soulève le problème d’observation quantique 31. Or, si l’on se doit de développer une pensée magique – cartésienne – par intermittence (entre deux doutes également cartésiens), c’est pour trouver plus de rigueur à terme : moins de permanence, plus de pensée nomade au sens de Deleuze 32. Car la posture scientiste (pas nécessairement celle des sciences et par exemple, non pas celle d’Eisntein qui tisse des liens entre science et « religiosité 33 »), consensus devenu sédentaire, qui concerne peut-être plus le monde non scientifique qui croit aveuglément (car de l’extérieur) en une rationalité absolue, doute moins aujourd’hui de ces « faits » que le croyant de sa transcendance. Dès lors, la pensée magique serait de façon plus permanente, et parfois moins cartésienne (car inconsciente), la position fantasmée des sciences, de ses « faitiches 34 », selon une théorie du sociologue Bruno Latour. On aboutit à des erreurs. Les « lois » physiques elles-mêmes, pour l’épistémologue Nancy Cartwright, sont discutables car inféodées à de prétendus « faits » jamais connus dans leur ensemble 35.. 31 32 33. 34 35. colonialiste implicite) les dérives animistes et les connotations archaïsantes des « superstitions » que ses multiples missionnaires se proposaient de juguler. La physique quantique nous rappelle, dans l’un de ses principes fondamentaux, notamment plusieurs fois sous la plume de Bohr, que mesurer un phénomène consiste à interférer avec lui. On y reviendra en fin de conclusion. « La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment fondamental qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritables. Celui qui ne le connaît pas et ne peut plus éprouver ni étonnement ni surprise, est pour ainsi dire mort et ses yeux sont éteints. L’expérience intime du mystérieux – même mêlé de crainte – a aussi créé la religion. Savoir qu’il existe quelque chose qui nous est impénétrable, connaître les manifestations de la raison la plus profonde et de la beauté la plus éclatante, qui ne sont accessibles à notre entendement que sous dans leurs formes les plus primitives, cette connaissance et ce sentiment constituent la vraie religiosité. » Comment je vois le monde (1934), Paris, Flammarion, 1958, 9. « Vous trouverez difficilement un esprit scientifique fouillant profondément la science, qui ne possède pas une religiosité caractéristique. Mais cette religiosité se distingue de celle de l’homme simple. Pour ce dernier, Dieu est un être dont on espère la sollicitude et dont on craint le châtiment […]. Mais le savant est pénétré du sentiment de la causalité de tout ce qui arrive. Sa religiosité réside dans l’étonnement extatique en face de l’harmonie des lois de la nature, dans laquelle se révèle une raison si supérieure que toutes les pensées ingénieuses des hommes et leur agencement ne sont, en comparaison, qu’un reflet tout à fait futile. » Idem, 20-21. Latour va plus loin et débusque la pensée magique des scientifiques eux-mêmes. Voir Petite réflexion sur le culte des dieux faitiches, Paris, Synthélabo, 1996. Cartwright se met à distance d’une « conception selon laquelle les lois de la nature décrivent des faits à propos de la réalité. Si nous pensons que les faits décrits par la loi ont cours, ou au moins que les faits qui ont cours sont suffisamment semblables à ceux décrits par la loi, nous comptons la loi comme vraie, ou comme vraie-pour-le-moment, jusqu’à ce que d’autres faits soient découverts. Je propose d’appeler cette doctrine la théorie de la factualité des lois ». Voir « Les lois de la physique énoncent-elles les faits ? », Philosophie des sciences, op. cit., tome I, 209.. 18. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 18. 29/09/2015 16:47:58.

(20) Introduction – Regard du xxe siècle. Nous pensons finalement que les sciences doivent surveiller leur langage. Ce n’est pas pour développer une pure rhétorique, mais pour affiner ces croyances inévitables (et l’on ne parle pas ici de pensée magique nécessairement mais bien plus généralement d’implicites durs en le lecteur comme en l’auteur) à défaut de jamais pouvoir les « tuer 36 ». Cet affinage passe subtilement par le choix des termes. Les sèmes galvaudés portent de trop lourds implicites collectifs. « Appliqué au vocabulaire conceptuel qui se déploie à l’intérieur et autour d’une théorie scientifique, le terme “incommensurabilité” fonctionne métaphoriquement 37 », remarque Thomas Kuhn, mais on pourrait en dire autant de bien des concepts. Si les sciences fonctionnent ainsi comme la poésie, avec des métaphores, alors surveillons nos sèmes pour aboutir à des récits scientifiques beaux ou « bons », s’ils ne peuvent être « vrais » : l’épistémologue Bas van Fraassen rappelle que les années 1970 étaient possédées par un illusoire « réalisme scientifique ». Or, deux positions anti-réalistes seraient désormais possibles et « la seconde soutient que le langage de la science devrait être interprété de manière littérale [d’où la nécessité de surveiller son langage], mais que ses théories n’ont pas à être vraies pour être bonnes 38 ». En fait, il s’agirait de défendre, plus encore qu’une étude de la « réception », ou de la « médiation » (toujours difficile à quantifier), une étiologie de ces dernières, globalement vues comme succès relatif (on y revient ci-dessous), ce qui revient à une esthétique de l’audition des émergences frappantes, et bien peu en tout cas qui se déduise des discours musicologiques du maître lui-même. Il semble qu’on ait suffisamment écouté le célèbre professeur, si marquant fût-il pour ses élèves – selon plusieurs témoignages, dont ceux de Boivin, Louvier, Boulez, Goléa – lors de ses près de quatre décennies d’enseignement au Conservatoire. Peter Hill et Nigel Simeone remarquaient au début des années 2000 que « plus d’une décennie après sa mort, notre connaissance [de Messiaen était] toujours largement conditionnée par ce qu’il dit de lui-même 39 ». On en est presque au même point encore dix ans plus tard, à quelques très récentes exceptions près, conduites par Christopher Dingle 40. Et de fait, 36. 37 38. 39 40. « Vous pouvez réfuter et tuer une théorie scientifique ; une philosophie ne meurt jamais que de sa belle mort. » Car elle procède précisément d’une croyance dont la vie, comme la mort, sont incommensurables. Friedrich Waismann, « La vérifiabilité », idem, tome II, 360. « Commensurabilité, comparabilité, communicabilité », ibidem, tome I, 289. « Sauver les phénomènes », ibidem, tome I, 147-163. Arthur Fine confirme le lemme de Fraassen : « Le réalisme est mort ». Voir « L’attitude ontologique naturelle », ibid., 331. Fine explique à la page suivante : « Sa mort fut accélérée par les débats sur l’interprétation de la mécanique quantique, qui firent triompher la philosophie non-réaliste de Bohr sur le réalisme passionné d’Einstein. Sa mort, enfin, a été certifiée depuis que les deux dernières générations de physiciens se sont détournées du réalisme et ont néanmoins rencontré des succès scientifiques manifestes ». 2005, 1. L’ouvrage en deux tomes Messiaen perspectives (2013), sous la direction de Dingle et Fallon, initie cette distanciation « au-delà de la valeur frontale des remarques de Messiaen » (beyond the face value of Messiaen’s remarks), selon la formule légitime des auteurs en introduction (3). 19. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 19. 29/09/2015 16:47:58.

(21) Vingt regards sur Messiaen. sont encore reconduits les discours concernant l’ornithologie, les rythmes non rétrogradables, les couleurs, les modes à transpositions limitées, les valeurs ajoutées, etc. Pourtant, Messiaen lui-même, quand il se penchait sur les pièces de ses contemporains, parfois même de ses amis, ne se contentait pas de prolonger leurs discours, bien au contraire (il les jugeait d’ailleurs souvent artificiels), ainsi quand il commenta le Mana de son camarade Jolivet 41. Il écoutait le son. C’est ce que nous tenterons aussi. Finalement, de Messiaen il s’agit d’exposer d’abord brièvement le succès singulier, exceptionnel, quoique relatif (au sein de la musique contemporaine). Que le lecteur, notamment moderniste, ne sursaute pas à ce terme avant d’avoir terminé cette introduction, où nous montrerons suffisamment, nous semble-t-il, sa légitimité dans ce cas particulier (celui de Messiaen). Ceci étant vu, nos chapitres lanceront chacun une nouvelle hypothèse d’explication esthétique, technique, parfois historique ou sociétale. Il s’agira encore souvent d’analyse musicale, mais d’analyse validée au sens de Delalande 42 par cette fluide réception/médiation. « Les relations entre analyses musicale et sociologique demeurent rares encore 43 », constate Danièle Pistone. Et ce fossé « entre les deux extrémités du savoir 44 », de façon plus générale, était déjà pointé par Bachelard en 1940, fossé épistémologique entre « l’étude des principes trop généraux par les philosophes [pour nous les sociologues], et l’étude des résultats trop particuliers par les savants [pour nous les analystes] 45 ». Mais tentons d’y remédier. Cet essai propose donc des analyses ponctuelles et « critiques » : l’adjectif ne remet nullement en cause l’envergure du compositeur, au contraire. Il faut l’entendre au sens de Kant : discussion. « L’analyse est critique », explique d’ailleurs Adorno, « en tant que destruction de cette illusion » qui consisterait à espérer que l’œuvre serait « pure Gestalt 46 ». Si donc Adorno lui-même, moderniste s’il en est, ne croit pas aux. 41. 42. 43 44 45 46. Dans le texte d’introduction à Mana de Jolivet, Messiaen attire notre attention sur la réception des œuvres plutôt que sur leur politique de création affichée : « Quand son auteur nous parlera de “transmutation de la matière sonore”, avouera son admiration pour Alban Berg et ses travaux d’acoustique avec Edgar Varèse, nous nous sentirons encore très loin du lieu mystérieux où il balança son envoûtement ». (BnF, microfilm, NLA46, 1). Delalande montre que l’analyse musicale en soi ne suffit pas. Elle doit, pour être « validée », sélectionner les faits de l’œuvre transmissibles à l’auditeur et ceci de façon « reproductible », c’est-à-dire objective. En quelque sorte, l’analyse ne se fait pas de la partition pure, mais de celle-ci en tant que future médiation d’elle-même. Voir « Épistémologie de l’objet/épistémologie du fait reproductif : Discussion sur la validation en analyse musicale », Musurgia, vol. II/4, 1995, 103-111. « De l’histoire sociale de la musique à la sociologie musicale : bilans et perspectives », Musique et sociologie, sous la direction d’Anne-Marie Green, Paris, L’Harmattan, 2000, 87. Gaston Bachelard, La philosophie du non, Paris, Quadrige/PUF (1940), 1988, 4. Idem. Theodor W. Adorno, Alban Berg. Le maître de la variation infime (traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz), Paris, Gallimard, 1989, 73.. 20. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 20. 29/09/2015 16:47:58.

(22) Introduction – Regard du xxe siècle. pures Gestalten, qui devrait encore les défendre ? On se demandera donc comment Messiaen, sans avoir composé d’œuvres absolues, parfaites (« pures Gestalten ») obtint malgré tout cette place singulière, celle d’un musicien contemporain parfois connu au-delà du milieu musical, ce qui, aux yeux d’un Pierre-Michel Menger 47, eût déjà constitué un cas pour un compositeur somme toute avant-gardiste (d’avant-guerre et surtout) d’après-guerre. On parle de « réussite ». Ce terme révèle déjà que notre démarche générale, en soi, n’est plus moderniste, mais implicitement postmoderne, comme l’est aussi, au fond, le fait de tenir compte de la médiation de l’œuvre. Considérer la réception, position de Jauss, cherchait d’ailleurs en partie, par essence, dès 1972, une sortie du modernisme pour lequel le geste créateur, transcendant, n’a pas à justifier sa légitimité auprès d’un « horizon d’attente du public », concept jaussien. Et cette postmodernité, que nous assumons, ou disons plutôt « acceptons » (sans en brandir l’étendard fièrement pour autant, il s’agit certes d’un truisme à notre époque), se retrouve dans les hybridations diverses auxquelles on se livrera dans nos analyses. On mélangera les catégories, « sans respect » (mais seulement a priori) pour la catégorie plus ou moins admise de Messiaen lui-même. Par exemple, on le confrontera (pour ce qui concerne la fin de sa carrière, synchrone) aux idées du postmodernisme, ou à celles, périphériques, sociétales, de l’engouement mondial pour certains films hollywoodiens des années 1970, ou encore au retour d’une « pensée magique populaire » au cours des années 1990, donc après la mort du compositeur (mais quand bien même : au début d’une nouvelle médiation pour son œuvre). Par ailleurs, Judith Lochhead remarque en 2002 que le terme « postmoderne » est de plus en plus employé pour qualifier le nouveau siècle 48. Nous reconduirons couramment cette terminologie, en qualifiant de postmodernistes certaines œuvres des années 1970-1980, mais de postmodernes, au-delà des arts, l’ensemble des instances sociétales des années 1990 et plus encore 2000 (ou au-delà), typiquement représentées par un internet hybridateur, « pluriel », mondialiste, consumériste.. Dans le rapport impitoyable de celui-ci figure notamment ce témoignage anonyme d’un « Compositeur né en 1945 » : « ce qui m’ennuie dans ma position de compositeur, c’est que les concerts de musique contemporaine comme ceux de l’Itinéraire n’intéressent que les gens du métier. Les ¾ de la salle sont constitués de gens que vous connaissez, des compositeurs, des interprètes, c’est la société autophage, ce sont des circuits fermés ; ce qui est regrettable, c’est que cette musique n’est pas… en fait une certaine esthétique n’est pas essentielle, les gens n’en ont pas besoin. […] Je me sens agacé par cette tribu de gens qui s’entendent, qui n’ont pas la franchise de dire que la musique qu’ils entendent de leurs collègues ne leur plaît pas, parce que chacun n’aime que sa musique dans cette sorte de communauté d’auto-consommation ». Pierre-Michel Menger, La condition du compositeur et le marché de la musique contemporaine, Paris, La documentation Française, 1980, 101. 48 Postmodern music. Postmodern thought, New York, London, Routledge, 2002, 4.. 47. 21. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 21. 29/09/2015 16:47:59.

(23) Vingt regards sur Messiaen. Quant au terme de « succès », cité plus haut, il pourra décidément étonner, voire engendrer un malaise. Nous le défendons pourtant mais pas tant, cette fois, au nom d’une position « postmoderne » (qui cacherait une attirance pour les réussites sociétales en tout genre), mais aux côtés de Charles Rosen, pour souligner un geste créateur, oui, mais qui plus est : efficace, efficient, validé par l’histoire, celle-là même d’ailleurs qui intéresse le modernisme. Rosen explique, dans Aux confins du sens, que la réflexion du musicologue peut avantageusement se concentrer, non sur tout signe de la partition – alors jugé aussi important qu’un autre dans l’ensemble imaginé « pure Gestalt » – mais sur ce qui a fait l’éventuel succès et qui, d’après Rosen, est plus signifiant 49.. Panégyrique Succès ? Disons une place centrale. C’est là où le terme de « centre », au chapitre 0, prendra son sens. Messiaen fut sans doute au « milieu ». Cette position en partie inconsciente (mais selon quelles proportions ?) engendra, voire organisa le spectacle d’une relative réussite. Après son passage à Jeune France puis à Darmstadt, Messiaen ne fut plus d’une école particulière et parfois, il en quitta les devants de la scène, notamment entre 1951 et 1964. Mais comme un personnage de l’importance d’un candidat présidentiable, il se plaçait ainsi souvent hors du monde politique (de la tribune esthétique ou « musico-scientifique », comme ne le note pas Anne Veitl) 50, caché derrière ses orgues, mais se montrait à la fois fédérateur, paradoxe que confirme Boulez 51. Les qualificatifs des commentateurs, à son sujet, se déchaînent, voire s’opposent, comme si chaque musicographe souhaitait s’inscrire dans une victoire politique collective, historique. Dans l’univers de ce musicien, imaginé comme un monde en soi, on ne craint pas de se plonger, dans le détail. On publie un Guide pour la répétition « L’analyse est donc l’explication de ce qui est évident : elle nous raconte ce que nous avons su depuis le début. Elle met en relief les relations que nous avons toujours entendues d’une manière ou d’une autre. Celles que personne n’a jamais perçues, y compris inconsciemment ou de façon subliminale, avant que le critique ne les découvre et ne les fasse remarquer, sont nécessairement moins importantes que celles qui ont été des éléments essentiels du succès de l’œuvre, depuis sa création. » Charles Rosen, op. cit., Paris, Seuil, 1998, 116. 50 Messiaen (lequel ne préside aucun laboratoire comme Pierre Schaeffer le GRM, Boulez l’Ircam ou Xenakis le CEMAMu) fait figure de grand absent dans l’ouvrage d’Anne Veitl, Politiques de la musique contemporaine. Le compositeur, la « recherche musicale » et l’État en France de 1958 à 1991, Paris, L’Harmattan, 1997. C’est littéralement remarquable. 51 Boulez précise : « Dans son profil de compositeur, l’organiste est un élément essentiel, ne serait-ce que par l’isolement d’une tribune : on ne voit pas l’exécutant, on l’entend. Telle serait peut-être l’image symbolique d’un Messiaen intervenant peu, ou pas, dans la vie musicale quotidienne, mais nous offrant le monde sonore qu’il ne cesse d’inventer » (Messiaen, t. I, 1994, préface de Boulez, V). Déjà, avec ses collègues de Jeune France, il rejetait cette idée de Cocteau que la musique se dût d’être dans « l’air du temps » (Broad, 2007, 4). 49. 22. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 22. 29/09/2015 16:47:59.

(24) Introduction – Regard du xxe siècle. de ses œuvres 52. On devient emphatique, superlatif. L’académicien François Cheng donne un ordre de grandeur : « La beauté des œuvres de Messiaen […] est planétaire 53 ». Comme Alain Louvier qui parle d’« esprit universel 54 », Almut Rossler titre « l’universalité » du musicien 55. C’est un « communicateur extraordinaire » d’après Theo Hirsbrunner 56, ou « le plus représentatif [des musiciens] du xxe » pour Frank Schneider, ou au contraire, il s’avérerait « très dur à classifier 57 ». Il est un « géant 58 » pour l’une, le « père glorieux de la nouvelle musique 59 » pour l’autre, « le maître des maîtres 60 » pour George Benjamin. Mais déjà de son vivant, surtout, et selon plusieurs avis, Messiaen eût été un « classique 61 ». Comment un musicien moderniste de l’après-guerre (ce qu’on appelle « contemporain ») aurait pu, de son vivant même, être dit classique ? Ohana (1913-1992), compositeur à peine plus jeune et mort la même année, était probablement sous l’influence 62 de ce camarade « classique ». Dutilleux, de huit années seulement son cadet (et souvent, on le verra, son « challenger » dans certaines classifications implicites de « popularité » des compositeurs contemporains opérée par Menger, à partir d’arguments de vente), employait ses modes à transpositions limitées comme on use d’un outil bien connu de son époque, classique 63. On peut noter précisément les mêmes emprunts dans certaines lignes de Britten 64 et de bien d’autres musiciens moins célèbres 65. Takemitsu s’ins52 53 54 55 56 57 58 59 60 61. 62 63 64 65. Voir Holcomb. Cité par Olivier, 180-181. Messiaen, t. I, 1994, préface, VIII. « Über die Universalität der Musik Olivier Messiaens (10.12.1908 - 27.4.1992) : Gedanken zum Bachfest 1992 in Braunschweig ». Voir « Strategien…», 1989. Hirsbrunner, « Olivier Messiaen : „...sehr schwer einzuordnen!“ ». Lechner-Reydellet, Messiaen. L’empreinte d’un géant. Borris, « Olivier Messiaen. Der pater gloriosus der neuen Musik ». Voir « Olivier Messiaen. Le maître des maîtres ». Voir Scedrin. Voir aussi Pierre-Michel Menger, dans une formulation implicite, qui parle de « contemporains déjà classiques, tels Messiaen [premier cité], Dutilleux, Boulez, Xenakis et quelques autres ». Le paradoxe du musicien. Le compositeur, le mélomane et l’État dans la société contemporaine, Paris, Flammarion, 1983, 204. Ailleurs (322), Messiaen est encore qualifié (cette fois avec Dutilleux) de « contemporain classique ». Caroline Rae s’interroge récemment (2013) à ce sujet dans « Messiaen and Ohana : Parallel preoccupations or anxiety of influence? ». Voir à ce sujet Dutilleux, « Parcours de l’œuvre » (que nous avons imaginé) dans l’encyclopédie en ligne de l’Ircam. Idem pour Britten. Et notamment chez les compositeurs organistes, pas seulement les Français. Le mode II de Messiaen serait ainsi ré-employé au moins chez Anton Heiller (1923-1979), Hans Haselböck (1928), et Peter Planyavsky (1947). Voir Stoiber. Que dire de l’influence des modes à transpositions limitées sur les 23. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 23. 29/09/2015 16:47:59.

(25) Vingt regards sur Messiaen. pirait de sa « sonorité 66 » comme de celle d’un maître disparu, comme il l’eût fait de Debussy. Pourtant le Japonais n’est mort que quatre ans après Messiaen, en 1996. Comment un musicien contemporain est-il devenu cet « ancêtre respecté » par ses collègues à peine plus jeunes 67 ? Il y a ici une diachronie paradoxale qu’on re-pointera souvent et où se loge une médiation mystérieuse. Un mythe 68. Quels compositeurs contemporains sortirent du seul champ d’un milieu « autophage 69 » ? Xenakis ? Cage ? Stockhausen ? Boulez ? Ligeti, puissamment médiatisé (bien que de façon indirecte, donc dissimulée pour le très grand nombre), par les films de Stanley Kubrick 70 ? Comme les oiseaux, la foi, la montagne entretint avec Messiaen un rapport de médiation par décalage. Wagner avait son festival dès 1876, soit 7 ans avant sa mort. Quant à Messiaen, il eut le sien six ans après, bien qu’initié par bribes depuis 1977, donc 15 ans avant son trépas, pas dans un lieu de haute culture, mais plutôt de haute nature, à La Grave, ce hameau des Hautes Alpes perché à 1500 mètres d’altitude, célèbre dans le milieu de l’alpinisme plus que dans celui de la musique contemporaine. On n’a pas donné là-bas son nom à une montagne. Mais ceci survint pourtant aux États Unis : un mont de l’Utah, depuis le cinq août 1978, s’appelle « mont Messiaen 71 ». Des alpinistes, bien entendu, ont donné couramment leurs noms à des sommets (Whymper), des politiques aussi (le sénateur McKinley), des militaires (le colonel Everest). Mais on peut se demander quel autre artiste, dans quelle discipline et à quelle époque, put un jour regarder sa propre cime 72. Ceci est peut-être un symptôme : Messiaen, pour la « réception » (et notamment pour les instances politiques qui eurent l’idée de lui dédier un mont) n’est. 66 67 68 69 70 71 72. nombreux élèves du maître ? Cette dernière, sur le Canadien Clermont Pépin, serait ainsi claire. Voir White qui y consacre un article. La publication de Technique de mon langage musical, en 1944, démarche singulière, a engendré ces influences rapides aussi singulières, en proportion. « Quant à Takemitsu et Yuasa, il nous semble que l’influence de Messiaen se situe chez eux plutôt sur le plan de la sonorité, ainsi que sur le plan esthétique (au sens large). » Kasaba, 96. Comme le Christ, idéal du compositeur, Messiaen prit donc parfois la place paradoxale de « père de ses frères ». On traquera de tels récits au chapitre 1. Revoir ce constat désabusé d’un compositeur en note 47, p. 21. Atmosphères (1961) et Lux aeterna (1966) sont repris dans 2001. L’odyssée de l’espace (1968), Lontano (1967) dans Shining (1980), Musica ricercata, II (1951-1953) dans Eyes wide shut (1999). Voir Halbreich, 43. Un article entier se consacre à ce sujet (Fallon, 2013). Il s’agit davantage d’une « montagne dédicacée » que d’un nom officiel. « Mount Messiaen » ne se trouve, à ce jour, sur aucune carte (Fallon, 2013, 332). De plus, en réalité, le maître n’aura pu voir sa cime de son vivant (idem, 328). Voici les indications de Fallon pour découvrir le mont : « From the intersection of Center Street and South Canyon Road (Rt. 143) in Parowan, Utah, drive south on Rt. 143. The trailhead to the pinnacles of Mount Messiaen is 8.8 miles down the road on the left. The turn onto this dirt road is not marked and not easily seen ». Ibidem, 326.. 24. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 24. 29/09/2015 16:47:59.

(26) Introduction – Regard du xxe siècle. peut-être pas tant un musicien (voir chapitre 1, « Oreille : esprit de corps »), ni même simplement un « artiste » comme on le croit. Ceci sera surtout avancé au chapitre 7. Il est ardu – parfois impossible – d’obtenir des chiffres auprès des éditeurs, pour des problèmes d’archivage, de comptes 73, de discrétion, ou auprès de la Sacem pour des raisons de confidentialité, surtout quand l’auteur, comme ici, est encore très loin de tomber dans le domaine public. Considérons au moins trois critères pour lesquels Pierre-Michel Menger, lui, a réussi en son temps, avant 1980, à réunir quelques nombres ou, à défaut, témoignages : 1, la diffusion radiophonique, 2, le point de vue des éditeurs et 3, la vente de disques. Hélas, pour les deux premiers, on n’aura guère relevé d’échelonnages que « nationaux ». Quant au premier critère (radio), le sociologue, entre les lignes de ses études, et nous fournissant implicitement, ou pour ainsi dire à « contre-emploi », des preuves « par la contraposée 74 », notait en 1979, à propos de France Musique, que « les dix compositeurs français les plus programmés sur la chaîne musicale obtenaient près de la moitié (46,1 %) du temps d’antenne consacré à la musique française protégée : parmi eux l’on trouvait 9 compositeurs nés avant 1900, au premier rang desquels Ravel et Debussy qui bénéficiaient à eux seuls de 20,1 % du temps d’antenne, et Olivier Messiaen, le compositeur français vivant le plus joué en France et à l’étranger 75 ». Quant au second critère, un éditeur de musique, anonyme comme souvent dans les enquêtes sociologiques de Menger, interrogé à l’époque de ces enquêtes, donc à la fin des années 1970, au sujet de la crise qui ne faisait qu’empirer lentement depuis 1914 dans son domaine, dressait ce bref bilan historique : « En France, il y a eu cette formidable école lyrique, les Gounod, Massenet, Bizet, Ambroise Thomas, l’opéracomique, l’opérette, et puis tous les grands symphonistes, ça n’a pas arrêté jusqu’à Honegger : Saint-Saëns, Dukas, d’Indy, Fauré, Debussy, Ravel, Roussel, Schmitt, Milhaud, Poulenc, Jolivet, Honegger. Maintenant il y a Messiaen mais Messiaen est presque tout seul 76 ». Entendons « seul à engendrer des ventes » de façon suffisamment rentable pour les éditeurs. Aux yeux de Menger, qui précise le critère d’intéressement minimum de l’édition, Messiaen en sort implicitement de la catégorie des composi. C’est ainsi que les éditions Leduc, en janvier 2014, se sont dites incapables de nous fournir le moindre chiffre de vente concernant Messiaen. 74 Preuves « entre les lignes » car pointer un succès exceptionnel est l’inverse de son propos (qui est précisément de montrer l’impopularité, l’isolement de toute musique contemporaine, en 1980). Comme chacun, il ne considère l’exception Messiaen que d’un œil, comme un éternel implicite, évident, « inévitable ». 75 Le paradoxe du musicien. Le compositeur, le mélomane et l’État dans la société contemporaine. Paris, Flammarion, 1983, 173-174. 76 Idem, 289. 73. 25. MpVingtregardsMessiaen 2015 09 29 OK.indd 25. 29/09/2015 16:47:59.

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