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Ecce echo : le Messiaen romantique

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 101-108)

On évoquera plus tard le coefficient d’émergence de Messiaen, supérieur encore à celui de Chopin, pour des raisons certes composites, mais peut-être en partie parallèles. Et néanmoins, quel réconfort Messiaen aurait-il pu apporter à cette inquiétude, celle de la perte de l’objet identifié comme « expressif » (voire plus précisément comme « romantique »), exprimée durant le xxe siècle et plus tard ? Presque aucun pourtant.

Il n’écrit pas généralement de façon tonale 36. À ceci certaines exceptions sont préci-

sément célèbres 37. En général, l’harmonie s’affiche 38, s’expose, mais elle n’est certes

plus celle du xixe siècle. Elle n’instille pas « d’atmosphère mineure, tragique ou nostal-

gique ». Elle est particulièrement peu susceptible de dégénérer, quant à une réception très lointaine, en quelque pathos que ce soit, bien au contraire 39. Certes, au moins

l’organiste, comme figure historique, engendre-t-il une consolation gothique ramenant à la fin du xixe siècle 40 (lui-même renvoyant à la fin du Moyen Âge), on l’a vu 41.

Mais si l’on admet cette avidité singulière du côté de la réception, on comprendra que le moindre soupçon de romantisme d’écriture sera immédiatement connoté, même de façon subliminale. Il sera entendu de façon singulièrement favorable. Or, ce que Messiaen a gardé du xixe siècle, de temps à autre, ce ne sont guère parfois –

rarement – que ses textures. Le public, également les spécialistes, si l’on en croit notre

36 On verra plusieurs fois que, selon Christopher Dingle, le dernier style approcherait – idée globale audacieuse – une « tonalité modifiée » (Messiaen’s final works, 313).

37 Voir chapitre 6, « Tonalité signalétique » et juste avant.

38 Notamment dans Technique de mon langage musical.

39 L’appendice documente ceci quelque peu (« Messiaen solaire »).

40 C’est l’époque où se multiplient les œuvres pour orgue « gothiques », particulièrement l’année 1895

qui voit la naissance de la Suite gothique de Boëllmann et de la Symphonie gothique de Widor. Et l’organiste Messiaen, on l’a mentionné au chapitre 1 (voir note suivante), de son vivant même, rappelle subtilement un personnage de roman historique donc, en un sens, comme typique des années 1840. Rappelons que les grandes sagas romanesques « historiques », celles d’Alexandre Dumas père, sont nées au xixe siècle (Les trois mousquetaires, premier succès de cette ampleur, date de 1844), à une époque où les arts se tournaient vers leur histoire, vers le passé, pour la première fois avec une telle passion depuis la Renaissance peut-être (et son examen systématique de l’Antiquité gréco-latine).

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propos ci-dessus, même si ces occurrences furent rares, ne peut que les avoir immédia- tement saisies – avec avidité. Il y aurait perçu des percées.

« Le timbre est le réel de la musique 42 », écrit Antoine Bonnet. Les timbres sont un

critère de la musique que la réception, selon nous, a détectés et isolés, sélectionnés peut- être avant les créateurs eux-mêmes, surtout les avant-gardes sérielles qui longtemps, malgré l’essor progressif de l’orchestration, se sont d’abord souciées des hauteurs, puis des durées et intensités. Les timbres autorisent une typologie populaire. Ils organisent même une zoologie ludique dans le Carnaval des animaux (1886) ou Pierre et le loup (1936). Ces deux œuvres, comme de juste, sont d’ailleurs les plus célèbres de leurs auteurs respectifs. Le timbre est le critère qui intéresse l’enfant, avant le rythme. C’est ce que notre expérience d’enseignant – notamment auprès de débutants – nous a confirmé. Au-delà de la réception, Makis Solomos montre que le nouveau paradigme de la musique du xxe siècle (et qui se poursuivrait sans doute aujourd’hui) eût été sans

doute davantage, en fin de compte, le son que la note 43. Cette thèse aurait certes plu à

Varèse qui, dès l’aube des années 1920, avait déjà fait de cette idée son propre projet, puis celui de toute sa carrière de compositeur. Or, ceci le plaçait, à l’époque, en secrète opposition 44 à l’esthétique moderniste dominante, celle du dodécaphonisme devenant

sérialisme à Darmstadt après la seconde guerre mondiale. Mais ce porte-à-faux n’a plus lieu d’être, nous dit Solomos implicitement 45.

S’il faut prolonger Solomos, pour ce qui est d’un éventuel néoromantisme, il s’agirait donc surtout de néo-diffusion, de néo-résonance. On n’en proposera pas de définition originaire précise, ici. Il s’agit typiquement, cependant, à la fois du piano « humidifié » par la pédale de résonance qui voit son essor autour de 1800, et

42 « La part de l’insaisissable », Le timbre : métaphore pour la composition, Paris, Ircam/Christian Bourgois, 1991, 351.

43 Voir De la musique au son, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

44 Schönberg confiait ainsi son amertume à Varèse : « Schönberg me dit un jour qu’il se demandait

parfois s’il avait été sage de rendre public son système de douze sons parce que de si nombreux musiciens qui n’avaient jamais rêvé de composer auparavant, se croyaient compositeurs lorsqu’ils avaient mécaniquement appris, plus ou moins, comment manipuler une série dans ses différentes formes, et pouvaient écrire des canons pédants qui nous reportaient aux clichés galvaudés des traités de composition surannés ». Varèse confia à son tour à Xenakis que cette déconvenue était fatale dans la mesure où Schönberg se confinait dans le système tempéré et se condamnait à utiliser une logique « fausse au départ » en « confondant dièses et bémols ». Et surtout en se focalisant sur le degré plutôt que sur le son. Mind over music, entretien radiodiffusé de Fred Grunfeld avec Varèse, New York, W.Q.X.R., 13 décembre 1953, cité par Odile Vivier, dans Varèse, Paris, Seuil, 1973, 24.

45 Et même : à l’examen approfondi des fruits respectifs portés par les diverses esthétiques « modernes »

du premier xxe siècle, Varèse semblerait finalement l’avoir « emporté » par contumace, quand bien même Adorno aurait méconnu le Français dans Philosophie de la nouvelle musique, écrit vers 1940, qui n’opposait guère Schoenberg qu’à Stravinsky, et finalement atonalisme à néoclassicisme, « révolution » à « restauration ».

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de diverses tenues orchestrales, bois, cors 46, ou surtout cordes, potentiellement plus

diffuses, fantomatiques quand traitées en masse, pianissimo, et selon un temps lisse. Il s’agit de « l’écho », de ce que le siècle de Chopin a inventé en tant que « son de la profondeur » et que Messiaen, de fait, n’a pas toujours dédaigné 47.

Charles Rosen commence judicieusement son ouvrage consacré aux romantiques par la question du « nouveau son » et de la nouvelle pédale 48, dont l’usage est déjà

indiqué dans la dernière Sonate de Haydn (publiée en 1791) 49. Mais l’Américain

sous-estime peut-être encore l’effet de cette dernière, dans laquelle il voit une tenue plutôt qu’une mort progressive, lascive, velléitaire (romantique), du volume sonore. Nous tentions de souligner dans un autre texte 50 ce que Beethoven avait dégagé, à

ce titre, dans la Sonate op. 27 no 2 dite « Clair de lune » (1801), simple « œuvre de

jeunesse » selon Rosen 51. Bien davantage, le premier mouvement, selon nous, y est

entièrement aménagé, voire conçu pour mettre en valeur la résonance permise par les nouveaux pianoforte 52. (C’est déjà le fait d’en commencer – étrangeté dans une sonate

classique – par un mouvement lent, mais lent car dédié à la résonance, ce que Fritz Winckel confirme par un principe général de la musique qu’il théorise 53.) L’écho vaut

46 Les cors traités par quatre, en tenues, engendrent cependant des archétypes d’échos romantiques.

L’orchestration de Mozart prévoit déjà de légères proto-résonances par des tenues hautbois+cor à l’octave inférieur.

47 Messiaen, de ce très strict point de vue, se serait ainsi parfois, en 1991 (par exemple dans « Demeurer dans l’amour » dont il sera bientôt question) montré ni plus ni moins néoromantique que les célèbres postmodernistes européens. Au lecteur de juger quant à la médiation potentielle. Notons aussi que ceci a pu engendrer des incohérences esthétiques au sein d’une même œuvre comme Éclairs sur l’au- delà (dont « Demeurer dans l’amour », dédié aux seuls cordes, est extrait) : les mouvements successifs peuvent sélectionner des textures franchement perpendiculaires et apparaître ainsi, dans l’ensemble, poly-stylistes, voire poly-esthétiques ou même comme « poly-historiques ». Précisément, dans un tel panel de matériaux variés, bien présentés, bien opposés (formant d’ailleurs en ceci une œuvre subtilement hybride, presque postmoderne), il suffira alors que le public sélectionne le mouvement, donc le son et dès lors l’esthétique, voire l’époque qui lui sied le mieux, surtout à l’heure du « zapping » conjuguée à celle du CD ou du mp3, qui permet de n’écouter jamais qu’une « plage » favorite, donc un mouvement.

48 Le premier chapitre, de plus de 50 pages, s’intitule « Musique et son » (La génération romantique. Chopin, Schumann, Liszt et leurs contemporains, Paris, Gallimard, 2002, 19-71).

49 Idem, 36.

50 « Deux exemples de montage dans des œuvres musicales du xxe siècle – Prokofiev et Berio », Le montage dans les arts aux xxe et xxie siècles, Aix-en-Provence, PUP, 2008, 109-116.

51 Op. cit., 44.

52 Instrumetns élaborés par le facteur viennois Stein.

53 « Plus le temps de réverbération du son est long dans un espace donné, plus la musique qui doit y

être interprétée a tendance à ralentir son tempo. » L’auteur met ensuite ce principe en perspective, historiquement, en commençant par relier le développement de l’organum, au Moyen Âge, avec les longues acoustiques d’église. « Rekonstruktion historischer Klangstile unter dem Gesichtspunkt von Architektur und Raumakustik », Bericht über den siebenten internationalen musikwissenschaftlichen Kongress, Cologne, Bärenreiter, 1959, 295.

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en tant que révélation d’une profondeur. C’est celle de la caverne où il naît, certes, mais aussi du ciel nocturne. Le ciel ne dévoile son abysse étoilé, sa profondeur, que la nuit quand les nuages sont absents. Le genre du nocturne, chez son inventeur irlan- dais (John Field) puis chez Chopin, devient donc particulièrement lent et résonant. Cosmos, nuit, profondeur, résonance et romantisme sont donc liés depuis le début. Et les cordes romantiques, pourrait-on prétendre, auront été, dans les mouvements lents, la nouvelle résonance magnifiée, orchestrée, du piano. Insistons. Il y a dans ce son, ou plutôt sa mort (dans le cas du piano) ou son fantôme (dans le cas de l’orchestre), un mystère dont la musicologie est loin d’avoir encore cerné toute l’importance. Le caractère d’importance, lui, est davantage perçu, peut-être compris, selon nous, par la réception elle-même, à une échelle qui pourrait nous surprendre. Jean-Luc Nancy nous en donne une piste : « la pure résonance est encore une sonorité, ou si l’on préfère une archi-sonorité : aussi est-elle […], selon sa pureté (prise en valeur kantienne), un transcendantal non sensible de la sonorité signifiante 54 ». Ailleurs dans le texte,

Nancy retrouve même dans la profondeur de l’écho les enjeux ontologiques de l’allé- gorie de la caverne de Platon. Enfin, « la possibilité du sens (ou si l’on veut la condi- tion transcendantale de signifiance sans laquelle il n’y aurait aucun sens) se recouvre avec la possibilité résonnante du son : c’est-à-dire en définitive avec la possibilité d’un écho ou d’un renvoi du son à soi en soi 55. » C’est là le plus vibrant paradigme, selon

nous, du xixe siècle : ce retour, ce caractère réflexif au sens de la théorie algébrique

des groupes, introspectif mais non pas toujours narcissique ou mélancolique : cette

rétroaction ne se dévoie en pathos que quand elle devient, après caricature ou traves-

tissement, réaction ou rétrogradation. Ouvrons une dernière parenthèse. Ce retour du sens est donc emporté par un autre, celui du son vers lui-même. Selon nous le roman- tisme en général (également littéraire ou pictural) est surtout une affaire de musique, par ce truchement très particulier de l’écho. Mais l’industrie culturelle moderne puis postmoderne (peut-être même déjà Wagner, donc un second romantisme déjà dévoyé, selon le dernier Nietzsche) 56, associe ce réflexif sonore à des objets musicaux qui le

travestissent en nihilisme 57 (ce que Hollywood concentre, surtout à partir de Wagner,

54 « Être à l’écoute », L’écoute, textes réunis par Peter Szendy, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Pompidou, 2000, 298.

55 Idem, 299.

56 « Il n’est, dans les choses de l’esprit, rien de las, d’exténué, rien qui représente un danger mortel et

dénigre le monde, que Wagner ne défende en secret. C’est le plus sombre obscurantisme qu’il cache dans les voiles lumineux de l’Idéal. Il flatte tous les instincts nihilistes (bouddhistes) et les travestit en musique. » Le cas Wagner, Paris, Gallimard, 1974, 47.

57 Selon Nietzsche (voir note précédente) mais bien davantage encore que dans le cas de Wagner.

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dès les années 1940/50, d’après Elisabeth Bronfen) 58. Corruptrice, elle s’est servie, et

se sert encore avidement du soi-disant romantisme pour en inverser le paradigme 59, en

utilisant ses truchements (dont l’écho) de façon trop courante à des objets esthétique- ment indéterminés (à force d’être surdéterminés par des post-post-romantismes). Elle fait ainsi croire, à l’aide des truismes du xxe siècle (nécessité expressive, psychanalyse

mal comprise, « catharsis » dévoyée, proliférante mais inopérante car sans théâtre), qu’il s’agit de revenir sur quelque prétendu mauvais sanglot intérieur (qu’elle crée elle- même) pour « l’exorciser » alors que ce n’est pas sur lui que l’écho doit nécessairement revenir et qu’il s’agit peut-être moins d’exorciser quoi que ce soit que d’accoucher de sa nature. Le romantisme, pas plus que la musique en général, n’est particulière- ment une thérapie cathartique. C’est peut-être, davantage, une initiation, une maïeu- tique, ou une récapitulation ontologique rituelle. Et quant à l’expression industrielle et financière du pathos, elle n’engendre probablement que le pathos et c’est son rôle sans doute. C’est à elle que répond le mieux le 4’33 de Cage, selon Johannes Bauer, une opposition nietzschéenne dynamique, « technique du blanc contre le pouvoir de la programmation sensorielle du monde 60 ». Contrairement à ce qu’elle prétend par

l’exemple de ses innombrables objets mécaniquement reproduits (donc « sans aura », remarquerait Walter Benjamin) 61, la réelle nuit romantique est certes profonde, mais

c’est ainsi qu’elle s’illumine (d’étoiles). Croire le romantique noir est aussi hâtif que de penser qu’on n’est joyeux que le jour. Ce sont les célèbres nocturnes lumineux, recueillis, de Chopin, qu’on re-évoquera plus bas. Romantique ne se résume plus, décidément, à Sturm und Drang.

Or, voici deux mises au point. La première est une anticipation. L’écho est parfois re-convoqué par Messiaen. Mais – on le verra d’ailleurs davantage dans les chapitres ultérieurs et jusqu’en conclusion – il est presque toujours libéré de toute pesanteur tragique (et encore davantage de tout pathos), ne serait-ce que parce qu’il transporte systématiquement, à notre connaissance, des voyageurs atonaux ou majeurs. (Nous ne

58 Encore que l’Américaine parle déjà de « pathos » dans le Wagner de Tristan et Isolde. Le dernier Nieztsche (celui du Cas Wagner ou de Nietzsche contre Wagner) ne lui donnerait pas tort. Hollywood opérerait alors, au moins, une sélection. Ceci serait le cas s’il achetait les droits de Wagner au lieu de l’imiter de façon toujours plus ou moins décadente. Voir Elisabeth Bronfen, « Nocturnal Wagner: The cultural survival of Tristan und Isolde in Hollywood », Wagner & cinema, Indiana University Press, 2010, 315.

59 Elle annule subtilement l’introspection en y promettant, après qu’on s’y est abreuvé de quelques émotions devenues trop communes et d’ailleurs pathologiques, la découverte, au mieux, d’une méfiance logique face à ce qui se trouverait en soi (soi-disant le marasme, le magma du noyau). Les plus dociles en concluent qu’ils ne doivent plus s’interroger et c’est l’industrie culturelle qui leur a donné, à force de long repassage sonore, cette anti-leçon.

60 « Die Stille und das Weiße : John Cages 4’33’’ », Positionen : Beiträge zur Neuen Musik, no 52, août 2002, 45.

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souhaitons pas ostraciser le mode mineur mais son dévoiement, associé à des post- post-esthétiques inutiles.) Une seconde mise au point entend lever, à ce stade, tout malentendu. Loin de nous l’idée que le public, même le plus large, désire le pathos, du moins a priori : les enfants le souhaitent-ils ? Mais le « pouvoir tutélaire » au sens de Tocqueville 62 pourrait le vouloir pour lui. Or, c’est le romantisme dans le sens le plus

fin et paradigmatique qui intéresse le public, selon nous, l’écho avant tout. Ce n’est pas si naïf de le penser. Car si l’écho est le sens révélé (selon Nancy), il ne l’est pas seulement à une élite : à tous immédiatement, car selon le critère musical demandant le moins d’initiation (le timbre) et selon la séduction d’un mystère à divers degrés qui contient d’ailleurs sa levée partielle – en soi mystérieuse à elle seule – promise par le retour, sur lui, du mystère initial profond. Quel vertige ! Et ce sens du mystère, ou mystère du sens, ressemble à l’origine commune de la science – au sens d’Einstein 63 – et de la

poésie sans doute. Bref, Messiaen a tout avantage à développer, occasionnellement, un néoromantisme mozartien, c’est-à-dire un éthos développant la joie (notamment le majeur, non par dégoût du mineur mais pour rétablir un équilibre face au pathos qui dévoie ce dernier), éthos qui se munit de l’écho comme un moteur s’arme d’un turbo (retour des gaz dans la chambre de combustion), si l’on veut.

Dans « Jardin du sommeil d’amour » (Turangalîla Symphonie, VI, 1946-1948), les archets sont tirés lentement, engendrent une diffusion évanescente, qui ressemble à un écho. Pour les raisons citées ci-dessus, ils créent la nuit tranquille (égayée par le rossignol) suggérée par le « sommeil » du titre, à la façon d’un nocturne (également couramment majeur et tranquille chez Chopin) 64 : par la résonance d’une ancienne

texture. La célèbre symphonie contient cependant d’autres passages caractéristiques

62 « Au-dessus de ceux-là [les citoyens américains comme désormais les citoyens occidentaux] s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. Les grands thèmes, Paris, Gallimard, 1968, 348.

63 Revoir note 33, p. 18.

64 11 des 21 nocturnes (1833-1846) sont en majeur. C’est une petite majorité, certes. Mais nous pensons

que les deux plus célèbres en font partie : le second (1833, op. 9, no 2) et surtout le huitième (1837, op. 27, n° 2), suivis peut-être alors par le premier, en mineur (1833, op. 9, no 1). Le RILM consacre un article au premier, deux aux second et trois au huitième (chiffres d’avril 2014). Au lecteur de juger si d’autres, parmi les 18 restants, lui semblent mieux connus. Le RILM consacre 3 articles au septième, en do# mineur (1837, op. 27, no 1) mais selon nous, cette pièce légèrement moins célèbre intéresse surtout les spécialistes pour ses curiosités chromatiques initiales.

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de ces textures sonores et qui dès lors, engendrent une percée dia-esthétique ou dia-historique, sinon une incohérence, mais profitable – pour la réception très privi- légiée de telles percées séductrices. Par ailleurs, le jeu ruban (glissé, lent) des ondes Martenot, du moins parfois dans l’emploi de Messiaen, électrifie cette diffusion ultra continue pour le nouveau siècle. Au chiffre 5 de « Chant d’amour 1 », soit environ une minute après le début du second mouvement, un an après le Concerto pour ondes de Jolivet (1947), ce jeu séraphique émerge historiquement, selon nous, de façon défini- tive. Ce n’était sans doute pas encore le cas en 1937 65 ni vraiment dans les Trois

petites liturgies de la présence divine (1943-1944). Dès lors perçues comme solistes, car

soutenues par les cordes comme dans une mélodie accompagnée, c’est probablement ici que les ondes déploient définitivement le jeu ruban et son pouvoir de continuité de timbre hypnotique 66. Elles sont épaulées par la résonance des cordes, disions-nous, à

l’unisson ou à l’octave inférieure. En fait, les cordes, l’ancienne lutherie, leur passent logiquement le relais, d’ailleurs sur un « accord de résonance » des vents en pédale.

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