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Magie et réception d’avenir ?

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 189-200)

On avançait au chapitre 3 un cosmos médiateur, véhiculé notamment par les ondes Martenot. Or, l’exotérisme a intégré cette thématique dans son système plus général. Un jargon frôle couramment aujourd’hui l’orbe de ce dernier, d’ailleurs, en disant « cosmique » ou « space ». Pour donner un exemple, un ouvrage en principe autobio- graphique, Récit d’un voyageur de l’astral (1992) 177, est ainsi doublement cosmique ou

space : mystique et science-fictionnel 178. De même, le martien se réconcilie avec l’ange,

173 Turangalîla Symphonie, VIII.

174 355-356, cité par Simeone, 1998 (« Bien cher Félix… »), 8.

175 Lorsque le chanteur « Frédéric François », déjà soupçonné de porter ce sobriquet esthétisant, mensonger, et dans une chanson au titre déjà sémantiquement saturé en soi de façon suspecte, L’amour s’en va, l’amour revient (1988), prétend : « Aujourd’hui je t’aime, plus qu’hier et bien moins que demain », on peut le suspecter encore davantage de mentir. Mais Messiaen, moins, en tant qu’ambassadeur d’une « culture difficile », de même qu’un texte ésotérique, hermétique, typiquement l’Apocalypse, dévoile plus légitimement « l’Amour » précisément après un décryptage initiatique.

176 « Chanter l’amour », Musique et émotion, Terrain, n° 37, septembre 2001, 103.

177 Op. cit., Paris, Arista, 1992.

178 Les auteurs en sont Daniel Meurois et Anne Givaudan. Le « voyage astral » est ainsi défini par ces

derniers comme expérience New Age de « sortie du corps », qui aboutit au « monde astral », sorte de purgatoire, d’anti-chambre du paradis chrétien (ou du nirvana indien) qui intègre aussi la notion de cosmos (multi-planétaire), et finalement d’un Christ régnant sur l’univers et pas seulement sur la Terre.

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sans doute, dans l’espace onirique de Messiaen tel que rétrospectivement avancé dès

Turangalîla Symphonie, plus encore que dans Rencontre du troisième type de Spielberg

(1977). Philippe Langlois avance d’ailleurs que l’extra-terrestre, également dans The

day the Earth stood still (1951, mais ce ne sera plus le cas dans la plupart des films

ultérieurs du genre où il redeviendra généralement un prédateur), en la personne de Klaatu, est un « Christ 179 » qui sera d’ailleurs crucifié (mis à mort) par les hommes

mais rédimé par sa propre technologie, dans sa soucoupe volante.

On pourrait voir deux degrés à l’exotérisme, tous deux consuméristes. Le premier, exposé en début de chapitre, permet déjà une « facilitation » individuelle du rapport au sacré par sa dé-ritualisation en phénomène de consommation, en librairie. Mais il implique encore une foi, en des récits présentés comme des témoignages (Conversations

avec dieu, Récits d’un voyageur de l’astral, La vie des maîtres), à l’instar des textes sacrés

anciens. Un second degré « libère » même le consommateur de cette foi et propose un exotérisme plus large encore, romanesque, récréatif, plus consumériste car prospectant un lectorat potentiellement universel, renvoyant la pensée magique (on le re-précisera) aussi loin – mais précisément profond – qu’à sa racine infantile. Il y a adéquation entre ce « Messiaen cosmique 180 », même faiblement esquissé, et « l’horizon d’attente » d’un

public très large, qui trahit ses centres d’intérêt (ou ses consommations dictées par le marché ?) à la fin du xxe siècle. Ce n’est pas seulement un esprit fin de siècle 181.

Ceci se poursuivra durant les années 2000. Ces synthèses astronomiques/spiritualistes résonnent dans nombre d’œuvres populaires atteignant, pour certaines, des records de diffusion (de « second niveau d’exotérisme », au-delà du « premier niveau » des rayons ésotériques des librairies postmodernes, cette fois) qui se sont développées dès les années 1990. Citons par exemple l’hollywoodien Contact de Robert Zemeckis (1997) 182 puis Matrix (1999) qui inspireront quantité de séries télévisées anglo-

saxonnes actuelles (hybridations postmodernes d’univers de sorcelleries, de vampires et de science-fiction) ou en France, la plupart des romans populaires de Bernard Werber à partir des Thanatonautes (1994) jusqu’à Troisième humanité (2012), en passant par

L’empire des anges (2000) ou Nous les dieux (2004). Ce sont elles, peut-être (ces fictions

séductrices qui peuplent le cosmos d’une foule enchanteresse), que les ondes de

179 Les cloches d’Atlantis. Musique électroacoustique et cinéma, Paris, mf, 2012, 126.

180 Note 124, p. 180.

181 Rappelons que les dernières décennies du xixe siècle développaient l’art fantastique ou symboliste, s’adonnaient parfois à un spiritisme en vogue (comme on peut déjà en voir un symptôme en 1861 dans Spirite de Théophile Gautier).

182 La fin du film touche à la fois à la science-fiction et à la fable spiritualiste, lorsque l’héroïne, au bout de

son voyage dans l’espace, retrouve l’épure – « l’âme » – de son père mort. Le cosmos s’identifie alors à l’eschatologie spirituelle.

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Turangalîla Symphonie pourraient avoir promis à un « public universel 183 », très tôt, et

qui se confirmeraient à la fin du siècle, dans « La constellation du Sagittaire 184 » (1988-

1991), songe musical à la fois astronomique et astrologique, donc lisible pour une réception New Age. Christopher Dingle note que de tels « symbolismes de planètes et signes zodiacaux », d’une part, outrepassent ce que le catholicisme tolère, d’autre part et malgré cela, sont présents dès la guerre, dans Vingt regards…, Visions de l’Amen, et plus tard dans Des canyons aux étoiles 185.

« L’exotérisme » de Messiaen lui-même (associé à sa foi donc de « premier niveau »), parcourt discrètement mais régulièrement son œuvre, avec pudeur, comme il se doit pour l’ésotérisme au sens de l’après-guerre (et sans pudeur au sens de l’ésoté- risme ancien, mais crypté dans l’officiel, l’alchimique, l’immense grimoire – Traité 186

– de Messiaen). Le musicien, au centre – notamment entre passé et futur 187 – récon-

cilie ésotérismes ancien et nouveau. On évoquait plus haut la sensualité des Cinq

rechants (1948). Pascal Arnault remarque plutôt l’« ésotérisme foncier 188 » de cette

pièce, comme de juste. Il juge aussi que le christianisme proclamé de Saint François

d’Assise ne peut effacer le syncrétisme d’Et exspecto resurrectionem mortuorum (1965) 189.

Et il y a la phrase relativiste de la Conférence de Notre-Dame 190, qui semble légitimer le

pouvoir spirituel des trompes du Tibet (de même que Messiaen qualifiait « d’extraor- dinaire 191 » Le voyage de Pierre Henry, d’après le Livre des morts tibétain). Or, syncré-

tisme et relativisme (jusqu’à risquer une « étonnante confusion 192 » selon Vernette)

sont encore deux canevas de la magie fin de siècle. Elles préparent l’unification, puis la mondialisation de la spiritualité, c’est-à-dire la colonisation de cette dernière par un Occident mené par le Christ. Pour la littérature Nouvel Âge, le Christ est au moins le plus abouti des bodhisattvas indiens. Dans La vie des maîtres, ouvrage d’avant-guerre précurseur de cette spiritualité globalisée, rapidement vendu aux États-Unis à plusieurs

183 C’est en ceci qu’elles apparaissent « à la fois postmodernes et modernes » (voir note 123, p. 180). 184 Éclairs sur l’au-delà, II.

185 Messiaen’s final works, 171. 186 Voir bibliographie.

187 Revoir le chapitre 0 dès son amorce.

188 Arnault et Darbon, 171.

189 Idem.

190 « Qui oserait dire que le Gagaku japonais, les résonances des cymbales et les sons graves des grandes trompes du Tibet ne sont pas, eux aussi, une extraordinaire expression de la Majesté Divine ? » (Op. cit., 6.)

191 Cité par Boivin, 1995, 120.

192 Le New Age, Paris, PUF, 1992, 123. « Ce bouillonnement spirituel est enfin marqué par une étonnante

confusion. Quand on identifie physique quantique et mystique orientale, ou quand on picore à toutes les spiritualités sans aucune rigueur. […] Mais le désir d’authenticité qu’exprime cette quête parfois maladroite est aussi à prendre en compte. »

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millions d’exemplaires selon les éditions Laffont (ce qui les décida à le publier, traduit par un Polytechnicien 193, en 1946) 194, une équipe de scientifiques se rend en Inde à

la fin du xixe siècle pour y vérifier certains mystiques prodiges. Or, le narrateur, après

avoir rencontré divers maîtres, tous accomplissant des prouesses, marchant sur l’eau, lévitant, guérissant à tout va, rencontre au Tibet la Vierge Marie et finalement son divin Fils, tous deux s’incarnant à toute époque et à l’envi. Un discours de ce dernier conclut l’ouvrage sans qu’il ne soit plus question du narrateur, disparu, selon une trans- textualité intéressante : le roman s’efface pour devenir évangile modernisé. Le Christ prend possession de l’ouvrage et, au passage, de l’Inde 195. La spiritualité est globalisée

sous le haut commandement christique, par le biais d’un auteur américain, comme si le plan Marshall avait trouvé ici un exécutant spirituel dès avant-guerre. L’Ascension, celle du Christ, mais aussi de la carrière américaine puis mondiale de Messiaen en 1947, suit un trajet discrètement parallèle : elle est encore une nouvelle ascension du Christ : dans la spiritualité mondialisée du futur exotérisme. Si « La constellation du Sagittaire » est la seconde partie de l’œuvre testamentaire achevée en 1991, la dernière, décisive, restera « Le Christ, lumière du paradis », pour le catholique Messiaen bien sûr, mais tout autant pour son exotérisme potentiel.

Rappelons que sur les près de 1200 articles ou ouvrages musicologiques, à ce jour, contenant Messiaen dans leur titre, un tiers affichent, dans leur résumé, les termes « religion », « religieux », « religiosité », « spirituel », « spiritualité », « amour » ou l’une de leurs diverses traductions 196. La France, face à cette réception, s’est souvent

située en porte-à-faux. Turangalîla Symphonie y fut jouée, pour la première fois, en 1954, donc cinq ans après sa création américaine (1949) 197. À propos de l’œuvre testa-

mentaire (1988-1991), la Photo 1 montre que même lorsque Messiaen est très célèbre en France, à la fin de sa vie, le monde continue de le ravir à son pays : les créations nationales successives d’Éclairs sur l’au-delà sont encore américaine (New York, 6 novembre 1992), puis italienne (Florence, 19 juin 1993), polonaise (Katowice, 23 septembre 1993), et enfin française, presque un an après la création new-yorkaise (7 octobre 1993). La république fut toujours – relativement – ambiguë face à son fleuron comme s’il était suspecté d’appartenir à l’ancien régime, au roi, et notamment à son pouvoir dit « de droit divin ».

193 Jacques Weiss, sous le pseudonyme de Louis Colombelle.

194 Baird Thomas Spalding, op. cit.

195 Ceci est une reconquête. Quand les sociétés de théosophie et d’anthroposophie (initialement réunies), un peu plus tôt avant-guerre, voyaient en le jeune Indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986) la « réincarnation de Jésus-Christ », l’Inde semblait en ceci prendre un ascendant certain sur l’Occident.

196 Note 111, p. 31.

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Or, depuis, la réception française elle-même a déjà pu – ou pourra – s’harmoniser avec celle du reste du monde. Car l’exotérisme, au tournant du siècle, s’accompagne d’une flambée dépassant les spécificités culturelles, rappelant sémantiquement les réactions exothermiques en thermodynamique (c’est pourquoi nous avons finalement préféré le terme à « New Age »). On peut en croire, par exemple, certains succès litté- raires inattendus. L’alchimiste (1988) du Brésilien Paulo Coelho, « au cœur du Nouvel Âge chrétien 198 » selon Guy Renotte ou « monstrueuse assomption de l’ego 199 » pour la

théologienne Michèle Martin-Grunewald, comptait une quête mystique syncrétique, tenant à la fois du Coran, de la Bible, de la Tora, actualisant le concept de destin, du « tout est écrit » (Mektoub dans le livre, traduit en « c’est écrit »). Cet alchimiste illustre parfaitement le glissement du terme « ésotérique », montré en début de chapitre, glissement vers son sens non plus hermétique, lié à une pensée de numerus closus, mais, tout au contraire, exotérique postmoderne, indexé au nombre et à la marchandise : ce bref roman initiatique engendra des ventes approchant ce qu’on pourrait appeler un phénomène de mode, y compris en France (peu après sa parution en 1994). Il fut traduit en 56 langues et vendu à plus de 65 millions d’exemplaires 200.

Ceci faisait suite à d’autres succès littéraires sud-américains, déjà importants et parfois même autoritaires pour la culture, brandissant « réalisme magique » (quant au Colombien Gabriel Garcia Marquez, lui Prix Nobel de littérature dès 1981 201 et dans

la lignée de Borgès, Asturias et Carpentier) ou, dans un registre plus controversé 202,

inspiration chamanique (pour le Péruvien Carlos Castaneda dont l’influence trouva précisément un nouvel élan durant les années 1990) 203. Ces succès remarquables, pour

ne pas dire extraordinaires, que d’aucuns pourraient appeler « fin de siècle » (rappelant la vogue du symbolisme, également spiritualiste, à la fin du xixe siècle), engendrèrent

cependant de plus récents épigones, notamment français, appartenant eux à un exoté-

198 Etude sur L’Alchimiste, Paris, Ellipses, 2004, 3.

199 Cité par Renotte, idem, 18.

200 Chiffres de 2008.

201 Cent ans de solitude (1967), jusqu’à 2014, fut vendu à plus de 30 millions d’exemplaires et traduit en 35 langues. Son auteur obtint le Prix Nobel de littérature en 1982.

202 La controverse, au sujet de Castaneda, procédait précisément d’une ambivalence de genre. L’auteur

faisait passer (ou laissait une ambiguïté à ce sujet) ses récits pour des rapports d’initiations chamaniques, autobiograhiques et anthropologiques, quand certains (notamment Fikes, Jodorowsky, Bourseiller) n’y voyaient « que » des fictions se faisant passer pour des récits scientifiques. Fikes dénonce notamment, au passage, le « marketing des chamans Huichol ». Jay Courtney Fikes, Carlos Castaneda. Academic opportunism and the psychedelic sixties, Victoria (Canada), Millenia Press, 1993, 129.

203 Les récits de Castaneda, de L’herbe du diable et la petite fumée (1968) jusqu’à L’art de rêver (1993), Passes

magiques (1998) et Le voyage définitif (2000) furent tous des succès mondiaux. Or, c’est en 1996 que le magazine Paris Match notait : « Castaneda caracole en tête des bestsellers, aussi bien aux États-Unis qu’en Amérique latine ou en Europe (Russie comprise) ». Voir nos 2441-2444.

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risme de second degré (récréatif) 204, et sans grandes prétentions littéraires. Citons la

série de bestsellers de Marc Lévy, commençant par Et si c’était vrai (2000), publié dans 32 pays et dont 5 millions d’exemplaires seront vendus.

De tous ces « éclairs sur l’au-delà », le pendant ombrageux pourrait être vu dans la montée mondiale des divers islamismes. Ils semblent confirmer, en tout cas, la légen- daire prophétie de Malraux 205. Faut-il encore parler des divers tomes des aventures

de Harry Potter (1997-2007), hybridations postmodernes des univers d’Oliver Twist de Dickens (1837, relayé au xxe siècle par Roald Dahl) 206 et de Tolkien ? La magie

vient au secours de la société désenchantée par la révolution industrielle (Dickens) avant d’être rendue à la dite industrie par le succès de librairie. « Harry Potter est le marketing incarné », écrit Stephen Brown. « Et son histoire est édifiante pour tous les marketeurs, les chefs de produit et autres apprentis magiciens de la marque. Partie de zéro en 1997, la marque Harry Potter pèse aujourd’hui [donc avant 2005] autour de 4 milliards de dollars 207 ». Il serait naïf de penser que les plus de 65 millions d’acquéreurs,

en moyenne, de chaque tome 208, étaient des enfants, eux seuls pris dans la « pensée

magique » au sens de Freud : infantile (ou symétriquement pour Isabelle Smadja : « Harry n’est pas un enfant 209 »). Il serait également ingénu d’imaginer que ses records

de vitesse d’achat (on en détaillera un plus bas) furent liés à autre chose qu’à l’avidité décrite dans ce chapitre depuis son début, galvanisée par le marketing adressé aux « adulescents » (dont il sera question en conclusion). Les exégèses socio-historiques, dans un cas aussi vif, rougeoyant, prolifèrent. Mais pêle-mêle, que « l’histoire de Harry illustre les théories de Platon 210 » ou non, qu’elle engendre vraiment l’« enchantement

204 Voir ci-dessus (« Magie et réception d’avenir ? », § 2) quant à la définition des deux degrés d’exotérisme.

205 Une légende orale (source écrite introuvable) dit que Malraux aurait déclaré que « le xxe siècle serait religieux [ou « spirituel » selon les versions] ou ne serait pas ». Selon Jean Vernette, cette phrase n’aurait jamais été prononcée par l’auteur de La condition humaine, mais d’autres aphorismes prophétiques proches (au sujet de religions à nouveau, paradoxalement, montantes), l’eussent été. Le New Age, Paris, PUF, 1992, 3.

206 L’amorce du premier Harry Potter rappelle le départ de James et la grosse pêche de Roal Dahl (1961), lui- même inspiré d’Olivier Twist : l’orphelin vivant chez deux vilaines tantes acariâtres (chez Dahl), rêvant d’un ailleurs tolkiennien dans lequel il basculera bientôt.

207 Harry Potter. Comment le petit sorcier est devenu le roi du marketing, Paris, Dunod, 2005, 5. Les produits dérivés se distribueraient surtout entre les « fast-foods, les jeux vidéos et les objets divers ». Idem, 99.

208 On comptait, en juin 2011, 450 millions d’exemplaires vendus d’un tome quelconque, en 70 langues différentes.

209 « Harry n’est pas un enfant, c’est une fiction à l’intérieur d’un univers où les portraits des gens morts

vous font des clins d’œil et où vous pouvez, par le biais d’un simple instrument, le “retourneur du temps”, repartir pour quelques heures dans votre propre passé. » Harry Potter, les raisons d’un succès, Paris, PUF, 2001, 56.

210 Michael W. Austin, « Pourquoi Harry et Socrate ont-ils décidé de mourir », Harry Potter : mythologie

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de la philosophie 211 » ou non, souligne les « changements dans les codes sémiotiques

liés aux nouvelles technologies 212 » ou la mondialisation de la littérature autour du

modèle anglo-saxon 213, exemplifie l’humain postmoderne « coupable de vivre 214 » ou

non, que le personnage de Dumbledore fût « gay 215 » ou non, que la saga soit radica-

lement féministe ou l’inverse 216, la « Bonne Nouvelle » pour le kidult acheteur (ou

plus généralement âgé d’« entre sept et quarante ans environ 217 ») est qu’il (re)devient

l’enfant roi 218 (Harry), dont la royauté, de droit divin, est consacrée par une magie

précisément décrite, folklorique, pratique et vivante : quasi réelle, dans « un monde magico-réaliste 219 », selon la formule d’Isabelle Cani. (La thèse de cette dernière est

précisément l’inverse de la nôtre, mais c’est justement la même dialectique vue par une idéologie adverse : Potter serait « l’anti-Peter Pan », mais précisément comme un remède à une affection aiguë de notre temps) 220. La Bible, premier livre imprimé

par Gutenberg, reproduite environ 2,5 milliards de fois en cinq siècles, traduite en 2454 langues, pourrait concerner un processus réceptif non pas exactement compa- rable 221 (ce récit, spirituel au premier degré, ne se dit pas fiction, il suscite donc, à ce

211 Voir l’introduction de l’ouvrage par ceux qui le dirigèrent. Idem, 19.

212 Benoît Virole, L’enchantement Harry Potter. La psychologie de l’enfant nouveau, Paris, éditions des

Archives Contemporaines, 2001, 85.

213 Voir l’idée de « globalization of culture » dans Patricia M. Goff, « Producing Harry Potter : why the

medium is still the message », Harry Potter and international relations, sous la direction de Daniel H. Nexon et Iver B. Neumann, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2006, 27.

214 En tant que survivant, dans le cas de Potter (analyse freudienne). Voir Eric Auriacombe, Harry Potter,

L’enfant héros, Paris, PUF, 2005, 14.

215 Le 19 octobre 2007, devant le public de Carnegie Hall, l’auteur des romans déclare qu’elle aurait « toujours imaginé que Dumbledore était gay », déclenchant une retentissante polémique de genre bien de notre temps. Voir Tamar Szabó Gendler, « Dumbledore est-il gay ? Qui sait ? », Harry Potter : mythologie et univers secrets, op. cit., 149.

216 Anne Collins Smith présente en détail cette autre polémique dans « Harry Potter, le féminisme radical et le pouvoir de l’amour », idem, 91-103.

217 Isabelle Cani, Harry Potter ou l’anti-Peter Pan. Pour en finir avec la magie de l’enfance, Paris, Fayard, 2001, 12.

218 Revoir « L’enfant », au début. Il est logique que ce constat d’échec éducatif contemporain cache une jalousie de l’adulte face à sa progéniture souveraine, quand bien même il en consacrerait lui-même la souveraineté.

219 Op. cit. (Cani, avant dernière note), 25.

220 Le titre de l’ouvrage est explicite : Harry Potter ou l’anti-Peter Pan. Pour en finir avec la magie de l’enfance.

Il est d’emblée militant (qui souhaite « en finir » : Cani ou l’auteur de Potter ?). « Parce que la société est infantile, l’œuvre littéraire susceptible de nous parler le mieux aujourd’hui ne pouvait naître qu’au sein de la littérature de jeunesse. » Idem, 269. Dès lors, une prétendue leçon de réalisme édifiante dans un monde infantile, viendrait avec le « désenchantement progressif » des ouvrages selon Cani. Idem, 55.

221 La conquête de la Bible n’est pas consumériste/éditoriale. On ne prévoit pas pour cette dernière de

« suites », bien au contraire : une unicité. Cette conquête est corrélée au rite (qui prévoit son libre accès), rite détruit par la modernité avant même qu’il soit question de postmodernité.

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sujet, une problématique supplémentaire d’adhésion, de foi) mais parallèle. (La magie potterienne, libérée de la foi nécessaire, peut rester subliminale, ce qui est le comble de la pudeur, mais comme une réclame consumériste, retrouvant la pensée magique infantile au sens de Freud : inconsciente.) Le seul ouvrage presque aussi diffusé et qui ne concerne pas la « magie » au sens le plus large possible, d’ailleurs suivi par le Coran, serait le Petit livre rouge, dupliqué 2 milliards de fois (depuis 1964) 222, mais dont

l’avenir, dans un monde moins marxiste, voire moins politique, est questionnable 223.

Durant les années 1960, Minao Shibata se croyait tenu de défendre Messiaen contre la qualification de « mystique », alors qu’il était pour lui surtout le père glorieux

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 189-200)