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L’analyse glisse à travers le cristal

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 131-138)

Or, Messiaen ne s’ouvre guère de tels procédés dans ses entretiens ou traités. Il y aurait là un secret ou du moins, un implicite propre à la personnalité du maître. Est-ce un processus inconscient 9 ? Et quand bien même, « le vrai code est inconscient 10 »,

écrit Pierre Schaeffer. Ce secret de la monorythmie est comparable à celui des fables évoquées dans le premier chapitre. De la même façon qu’un mythe, cette monorythmie passe inaperçue par sa transparence, son évidence, son cristal. (L’idée précise du cristal n’est pas étrangère à Messiaen lui-même. Ainsi débute-t-il son Quatuor pour la fin du

temps par « Liturgie de cristal ».) La monorythmie est cristalline par essence puisque

elle ne complique précisément pas les rapports rythmiques et n’attire donc jamais

6 Et éventuellement « irréguliers » – impairs et non multiples de 3.

7 Au départ, il s’agissait de suivre les intonations de la parole (dont les accents sont irréguliers puisque inféodés au nombre de syllabes de chaque mot). Le résultat est un récitatif particulièrement efficace et en tout cas « original », selon Rimski-Korsakov (Journal de ma vie musicale, Paris, Gallimard, 1938, 79-80). Le procédé innervera immédiatement Mariage (1869), les Enfantines (1870), contribuera à permettre la vitalité singulière de Boris Godounov (1869).

8 Et d’autant moins dans l’invention de concepts horizontaux tels les « rythmes non rétrogradables », aussi peu repérables que les séries du Boulez des années 1950.

9 Si l’on pouvait se permettre cette spéculation, on oserait penser que les inventions rythmiques ont eu

surtout cette importance : celle de conduire Messiaen à les exposer fièrement, c’est-à-dire clairement, de façon volontiers chorale.

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l’attention sur elle. Elle fait glisser l’analyse, qui ne la voit pas, à travers elle. Elle est d’autant plus remarquable, finalement, qu’on ne la remarque pas. Ce qu’on pourrait appeler « cristal » est cette curiosité récurrente : des structures chorales systématiques et souvent très lentes, trop lentes pour que le caractère « choral », en réalité, demeure. Cette monorythmie n’est certes pas systématique mais reste d’autant plus fréquente que singulière à chaque apparition. C’est un élément de style. Il est intéressant que ce fait n’ait pourtant guère été souligné. On reste à sa lisière. On a remarqué l’inverse 11,

ou une occasionnelle isorythmie 12. Tout de même, Nicolas Darbon mentionne que

dans Éclairs sur l’au-delà, « la netteté [des thèmes] est frappante : souvent ils sont nus (no 9, 10), joués à l’unisson (no 6) ou en blocs homorythmiques (no 8) 13 ». On parle

encore rapidement, ici de « gigantesques blocs de sons verticaux 14 », là de « traite-

ments presque sculpturaux de la forme rythmique 15 ». Christopher Dingle décrira le

finale de cette œuvre d’un discret adjectif (« choral ») : « La méditation finale est un lent mouvement choral pour cordes 16 ». Encore une fois, cette verticalité, pendant

musical de la lettre volée d’Edgar Poe, semble trop évidente pour être soulignée, voire remarquée. Elle ressemble à un « anti-concept », un concept par défaut : elle souligne. Elle laisse alors l’impression que quelque chose « d’agréable, de cohérent » s’est passé, mais dans ce qu’elle a souligné et non en elle-même. Il n’est pas question de chercher l’étiologie, pour l’auditeur, de cette cohérence, puisque le processus permet justement à son attention de se concentrer sur « le reste », les agrégats, les lignes, le timbre. L’oreille admet aussitôt sans discuter ni analyser qu’il n’y a qu’un plan rythmique, sans demander son reste, comme s’il y avait là l’écoute familière d’une voix unique primor- diale, évidente, celle d’un « locuteur fondamental » pour l’enfant se nichant en chaque auditeur ou analyste (celle de la mère, du père ?). Le synchronisme, à l’oreille, n’est

11 Ainsi Louis-Marc Suter consacre-t-il un article aux mesures 12-20 du premier mouvement de Turangalîla Symphonie, qui contiennent ce qui peut se concevoir de plus éloigné d’une homorythmie, une polyrythmie, basée sur la superposition de subdivisions du temps en nombres premiers (3, 5, 7, 11, 13, 17 et 19). Notons alors que pour courtes ou peu caractéristiques que ces mesures puissent paraître, la polyrythmie, en général, semble précisément un phénomène plus remarquable à tous les sens du terme. Cependant, à l’opposé de ce que souligne l’auteur involontairement par son sujet, elle deviendra l’apanage de Ligeti, et rien moins celui de Messiaen, selon nous. Voir « La polyrythmie d’Olivier Messiaen dans un fragment de la Turangalîla Symphonie ».

12 La seconde Pièce en trio du Livre d’orgue est analysée par le compositeur dans une note introductive. Messiaen explique qu’il emploie une technique isorythmique. Voir Seidel.

13 4.

14 Arnault et Darbon, 145 : « La musique de Messiaen est anti-directionnelle. Les conflits et la dialectique ne la concernent pas. […] Son harmonie n’entend ni résolution, ni cadence, mais se meut dans d’iridescentes séquences de modes exotiques et de gigantesques blocs de sons verticaux ».

15 Lechner-Reydellet, 15.

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rien, il est l’absence de polyphonie et en ce sens, même agréable, il reste une « absence de problème » et donc d’aspérité propre à attirer l’attention.

Ne pas souligner, encore moins catégoriser cette clarté chorale, dans le cas de Messiaen, reste pourtant curieux. Autant presque ne pas la noter chez Stravinsky. Certes, du Russe la fréquente verticalité du premier style inauguré par le Sacre du

printemps (1913), qui perdure dans le néoclassicisme et qui disparaît finalement

dans le style sériel, se montre plus dynamique 17, c’est-à-dire plus rapide et ainsi plus

perceptible comme si, encourageant à la danse, le corps de l’auditeur mis alors en branle attirait au passage son attention. Elle se met au service de l’ostinato qu’elle clarifie alors de façon singulière. Mais alors, là encore, l’analyste ne remarquera pas tant l’homorythmie que l’ostinato dont elle force le trait. Elle reste un éternel implicite, un « pré-processus » ou « sous-processus », un catalyseur, un piédestal pour d’autres procédés musicaux. Pourtant, elle aida certainement le succès de Stravinsky. Quant à ça, il faudrait écrire un autre livre 18. Dans le cas des deux compositeurs, il se peut que

ces structures purement verticales aient été la conséquence d’une conscience aiguë et partagée de la nécessité, pour le musicien, « d’organiser le temps » avant tout. L’opinion est célèbre sous la plume de Stravinsky 19. Elle l’est moins, bien que présente, sous celle

de Messiaen 20.

Or, les styles de ces deux compositeurs exceptés, la monorythmie nous semble plutôt marginale au sein des techniques les plus habituelles des avant-gardes. Elle serait même esthétiquement opposée à ces dernières. On est généralement polypho- nique au xxe siècle. L’impressionnisme lui-même ne présentait ses harmonies enrichies

que sous couvert d’un flou rythmique par essence « micro-polyrythmique ». Tous les néo-impressionnismes de texture, notamment celui de Dutilleux, reconduiront alors le flou/flux polyrythmique. L’exigence de complexité appliquée à tous les critères musicaux – dont le rythme – proposée par l’esthétique viennoise sera puissamment relayée par la tradition sérielle généralisée de l’après-guerre. Or, le dodécaphonisme,

17 Exceptons les œuvres religieuses inaugurées par Otche Nash (1926).

18 Contentons-nous de remarquer ici que si la musique atonale s’est affranchie du thème, de la polarité et de la pulsation, celle de Stravinsky a non seulement conservé la pulsation, même bancale, mais l’a même magnifiée : d’autant plus dans les passages verticaux alors particulièrement caractéristiques. Or, les Viennois auront eu tendance, eux, à s’interdire de tels procédés « simplistes », de même que les impressionnistes et leur suite, lesquels privilégiaient l’inverse (un temps lisse polyrythmique noyant résolument la pulsation au profit de la résonance), Varèse, enfin, ne se résolvant jamais non plus à de telles clartés rythmiques univoques.

19 Le rôle pensé crucial autant qu’exclusif de la musique serait en effet, selon Stravinsky, d’engendrer « un

ordre entre l’homme et le temps [...]. La construction faite, l’ordre atteint, tout est dit ». Chroniques de ma vie, Paris, Denoël, 1935, 69-70.

20 Messiaen demande aux compositeurs modernes, dont il se dissocie ici implicitement de façon

intéressante, de ne pas oublier que la musique reste avant tout « un découpage du Temps comme notre propre vie » (1960, 6).

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par essence différenciateur, est profondément contrapuntique (quand l’ascète Webern ne décide pas de le réduire à une monodie). L’École de Vienne l’est donc aussi, entraî- nant Bartók avec elle (dans une moindre mesure) dans la prolifération variée des lignes. Varèse pense davantage en termes de « blocs de timbre » (voilà l’influence de Stravinsky), mais ceux-ci, rarement seuls à un instant donné, entrent précisément en conflit, en dialectique rythmique les uns par rapport aux autres 21. Darmstadt recon-

duira ces spéculations de l’horizontalité discursive. Les grands axes français, italien, allemand de la seconde modernité que traceront Boulez, Berio, Stockhausen tisse- ront donc peu ou prou une dentelle de contrepoint atonal. Les micro-polyphonies de Ligeti, par l’intensification même du concept, finiront par l’affaiblir (par un phéno- mène d’augmentation d’entropie), mais les principes de polyphonie et de polyrythmie, n’en restent pas moins magnifiés chez le Hongrois. Autour de 1960, les approches « globales » de Scelsi, Xenakis, du premier Ligeti, des modernes polonais, tout en devenant gestuelles, ou « de texture », restent cependant des contrepoints de gestes. Les plans rythmiques se raréfient moins qu’ils ne se brouillent dans la continuité générale, moins pour s’unifier que pour s’annuler dans un magma « non rythmique ». La musique contemporaine en général est dentellière. Encore plus tard, la musique spectrale, puis sa suite durant les années 1980-1990, même si elle affirmera une verti- calité de principe (l’analyse du spectre du timbre), multipliera en fait les couches sonores, fera s’interpénétrer les spectres et donc multipliera les strates simultanées, dans la lignée des écritures globales. Ce n’est pas une clarté chorale qui sera engendrée mais une globalité confusément sémillante, comme dans ces néo-impressionnismes de texture susdits. Cage, en libérant les interprètes à partir des années 1950, rendra à chacun son libre-arbitre donc son rythme propre et fera rien moins que les synchro- niser. L’Américain créera une polyphonie aléatoire davantage, bien entendu, qu’une verticalité spontanée.

Tous ces prestigieux exemples engendreront, également, chez un nombre consi- dérable de compositeurs épigones, ce qu’on pourrait appeler un maniérisme ordinaire, perceptible notamment par le nombre automatiquement important de plans tempo- rels. Ces compositeurs, s’abîmant parfois dans chaque détail d’écriture, s’interdiront toute « évidence grossière » selon chaque critère d’écriture, quant au timbre, à la ligne, aux rapports de hauteurs, aux modes de jeux (brusquement alternés) et aux rythmes

21 « Dans mon œuvre on trouve à la place de l’ancien contrepoint linéaire fixe, le mouvement de plans et

de masses sonores variant en intensité et en densité. Quand ces sons rentrent en collision, il en résulte des phénomènes de pénétration, ou de répulsion (certaines transmutations prennent place sur un plan. En les projetant sur d’autres plans, l’on créerait une impression auditive de déformation prismatique). » Voir « Varèse », histoire de la musique occidentale, sous la direction de Brigitte et Jean Massin, Paris, Fayard, 1985, 1101.

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ou rapports rythmiques verticaux. Pour reprendre le concept de Boulez, le temps du xxe siècle fut bien plus « lisse » que « strié 22 » (du moins strié de façon synchrone).

Or, de cette singulière majorité de pièces poly-horizontales, de ces forêts rythmiques, de ces proliférantes entropies se distinguent curieusement, parmi d’autres œuvres 23, de nombreuses de Stravinsky et de Messiaen, ne serait-ce, donc, que par

leur verticalité aérée, leur succession – fatalement perçue comme ordonnée – de raides statues de timbres. Harry Halbreich pouvait alors résumer à la fin des années 1970 : « qu’il s’agisse de l’homme, de sa pensée, de son langage, de son évolution, de son œuvre enfin, tout se présente avec une grande netteté, une clarté sans doute unique pour un compositeur encore vivant 24 ». Quant à nous, nous avons souligné cet aspect

dans un texte en anglais figurant en appendice 25 : Messiaen or the French clarity.

Panorama

Dès les 26 premières mesures d’O sacrum convivium (1937), écrites par un jeune homme de 29 ans, l’homorythmie est claire, mais certes, objectera-t-on, il s’agit d’une œuvre pour chœurs qui se souvient des verticaux chorals de Bach. Mais déjà un an auparavant, Poèmes pour Mi (1936, il ne s’agit pas ici de chœurs) s’achève notamment par de tels édifices verticaux.

Or, un demi-siècle plus tard, Éclairs sur l’au-delà (1988-1991), œuvre testamentaire d’un Messiaen octogénaire, qui résume son art en reprenant la plupart de ses procédés d’écriture, neufs ou anciens, notamment commence 26 et s’achève très longuement avec

de telles structures verticales (de même, à l’époque, que l’inachevé Concert à quatre de 1990) 27. Et les 61 dernières mesures d’Un sourire (1989) sont également homoryth-

miques. Entre ces deux périodes – de jeunesse et de pleine maturité – bien des passages de Couleurs de la cité céleste (1963) sont synchrones. En ces temps, Et exspecto resur-

rectionem mortuorum (1964) a sa première partie presque intégralement chorale 28. En

réalité, les exemples sont si nombreux qu’il faudrait oser écrire que Messiaen compose de façon homorythmique la moitié du temps, peut-être davantage si l’on songe que les blocs chorals – l’un des trois grands piliers de son style 29 – sont associés à une lenteur

caractéristique. S’il s’agissait décidément pour le musicien d’ordonner le temps, la

22 Ou « pulsé ». Voir Pierre Boulez, Points de repère, Paris, Christian Bourgois, 1981, 81. 23 Précisément, celles-ci semblent avoir plus marqué l’histoire de la musique.

24 9.

25 § 4.

26 Le premier mouvement est strictement homorythmique durant 98 mesures.

27 Ceci concerne les 11 premières mesures et les 11 dernières.

28 Les 38 premières mesures le sont exactement.

29 Le second pilier serait le style « mono-oiseau » (également monorythmique) et le troisième un style

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grande décélération est d’autant mieux organisée, à la fin de « Chant d’Amour 1 », second mouvement de Turangalîla Symphonie (1946-1948), qu’elle est monoryth- mique. Le passage est mémorable, caractéristique. De fait, la verticalité, percutante, aide la mémorisation. La fin d’Oiseaux exotiques (1955), qui eût pu s’écrire en style oiseau polyphonique, « poly-ornithologique », est au contraire non seulement chorale mais isorythmique et prévoit même la répétition ostinato (non moins de 31 fois) du sec accord conclusif (on le signalait déjà au chapitre 2). Le rapport à Stravinsky, du moins à sa caricature (l’accord psalmodié qui l’a rendu si célèbre) n’aura jamais été si manifeste. C’est un hommage à l’accord 30 du Sacre du printemps que rendent ces

oiseaux exotiques de divers continents.

Soyons à nouveau plus catégorique car il le faut ici. L’écriture la plus habituelle du chant de saint François, durant les quatre heures de l’opéra éponyme (1975-1983), consiste en une succession, engourdie et presque monotone d’accords, un par syllabe du saint (sauf généralement pour la dernière qui vient s’ajouter sur le pénultième accord). De même, l’écriture typique des chœurs de la Transfiguration de notre Seigneur

Jésus-Christ (1965-1969) consiste en une stricte et lente succession d’accords appuyés

par l’orchestre synchrone, notamment dans les dix longues minutes du finale en entier. Ce pesant style choral, qu’on pourra appeler plus bas la « loi du Père », en fait, est

de plus en plus présent au cours de l’évolution du style. On verra que dans des œuvres

de la maturité, il pourra occuper la totalité de certains mouvements, phénomène très singulier. C’est ainsi dans la section XVII du Livre du Saint Sacrement (1984). Le dernier mouvement achevé par Messiaen au cours de sa vie, « Le Christ, lumière du paradis » (achevant Éclairs sur l’au-delà), aveu final de l’inclination du compositeur, est strictement homorythmique 31 de bout en bout durant ses non moins de 74 mesures,

lentes, soit plus de neuf longues minutes de musique.

Dans le troisième mouvement d’Et exspecto resurrectionem mortuorum, Messiaen prend son temps, ménageant de longs silences entre les structures verticales. Le souci

d’obédience parfois néo-impressionnistes ou polyphoniques/total-chromatiques (grands tutti d’oiseaux).

30 C’est un hommage au traitement métronomique de celui-ci, plus précisément. Cet « accord », devenu

le plus célèbre du xxe siècle, est en réalité un collage polytonal de deux accords « classés » (un accord de fa b majeur + un accord de septième de dominante sur la note fondamentale mi b et dans son premier renversement). Cet édifice, juste après l’introduction du ballet, puissamment polyphonique (et la réexposition soliste du thème initial du basson, puis quelques brefs trilles ou pizzicati de cordes), organise l’orchestre soudain de façon monorythmique et isorythmique (et iso-phonique : ostinato), à l’instar d’un métronome en croches des cordes dont certains battements sont appuyés – de façon semble-t-il aléatoire – par les cuivres (interprétant le même agrégat et dans le même rythme que les cordes mais à des moments choisis par le maître russe). Mais doit-on décrire le symbole même du début sonore des temps modernes ?

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de clarté ne recule donc devant aucune raréfaction non seulement des diversifications d’un pupitre à l’autre, mais des occurrences rythmiques.

Enfin, on verra plus bas que même en l’absence de ce style choral, ainsi dans

Catalogue d’oiseaux, ce dernier est considérablement prolongé par de plus rapides – et

très courantes – figurations d’un volatile à la fois et la plupart du temps, figurations :

monorythmiques.

Unissons

Dans d’autres pages, Messiaen va plus loin. Il emploie de longues homophonies : unissons et octaves. Il y a là un fait très peu ordinaire (c’est un euphémisme). Ici Messiaen raréfie, clarifie plus encore que Stravinsky. Au-delà de l’exception du chant grégorien, peu de compositeurs, non seulement du xxe siècle, mais de toutes

époques confondues, se seront appesantis avec autant de complaisance – de confiance ou d’ingénuité – sur de telles réductions verticales non seulement des durées (et des intensités), mais aussi des hauteurs.

Ces passages, en fait, plus encore que les structures chorales ou les monorythmes rapides (les oiseaux), sont des jalons de la forme. Ils viennent aux encoignures. On les entend particulièrement à la fin des mouvements 32, plus typiquement encore à

leur début. On dirait à chaque fois une ouverture emblématique, les « gros titres », « l’abstract » de ce qui va suivre.

Signalons le début des « Deux guerriers » (extrait de Poèmes pour Mi, 1936), du second mouvement des Trois petites liturgies de la présence divine (1943-1944) 33, des

second et cinquième mouvements 34 de Visions de l’Amen (1943), du quatrième des

5 rechants (1948), du « Regard de l’Esprit de joie » (dixième mouvement des célèbres Vingt regards sur l’enfant Jésus, 1944), de l’Acte II de Saint François d’Assise (1975-

1983) 35, de non moins de sept sur les neuf mouvements de Méditations sur le mystère

de la sainte Trinité (1969) 36.

Et voici l’exemple type : l’intégralité du sixième mouvement du Quatuor pour la fin du

temps (1940-1941), soit près de sept minutes – durée musicale considérable – se permet

une homophonie pure et simple. L’Exemple 3 nous en montre quelques mesures (une

32 La fin du mouvement II-a du second « septénaire » de La Transfiguration de notre Seigneur Jésus-Christ frappe ainsi par ses grands unissons orchestraux et chorals qui durent près d’une minute.

33 Plus précisément, il s’agit d’un rare passage hétérophonique (monodie variée simultanément à certaines parties). Le piano répète chacun des appuis des chœurs, comme le ferait un orgue de barbarie. Messiaen s’inscrit ainsi dans la tradition hétérophonique du xxe siècle (de Debussy à José Evangelista en passant par Boulez et Britten), qui s’inspire généralement des gamelans indonésiens.

34 Second mouvement, mesures 1-48 (piano II seul) ; cinquième mouvement, mesures 1-11.

35 Ou de « Montre moi combien est grande… », dans le même acte.

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page) mais il faudrait donc qu’il puisse reproduire l’ensemble du mouvement. L’œuvre est devenue célèbre, sans doute, pour diverses raisons extramusicales déjà évoquées 37,

mais aussi grâce à la simplicité du 6e mouvement, imaginée par un compositeur qui

croyait suffisamment en l’intérêt de ses propres modes à transpositions limitées – manifestement – pour présenter ceux-ci en unissons. La sixième partie d’Éclairs sur

l’au-delà, « Les sept anges aux sept trompettes », serait aussi homophonique de bout

en bout, si un contrepoint – purement rythmique et bruitiste – de quelques percus-

Dans le document Vingt regards sur Messiaen (Page 131-138)