• Aucun résultat trouvé

Zone historiquement défrichée par les troupes des Ming en garnison dans le Guizhou

CHAPITRE 4 LA DIVERSITE DES VIEUX VILLAGES CHINOIS

I. Une diversité au niveau architectural

6. Zone historiquement défrichée par les troupes des Ming en garnison dans le Guizhou

En Chine impériale, pratiquement toutes les dynasties perpétuaient la tradition de cantonner d’importantes troupes dans les zones frontières en leur faisant y défricher des landes. C’est ce que l’on appelle « tun-ken » (tun, cantonner des troupes ; ken, défricher des landes) ou « tun-tian » (tian, des champs). D’ailleurs, l’Etat envoyait de temps en temps de nombreux criminels renforcer ces entreprises. Parfois des hommes d’affaires étaient aussi encouragés à s’y engager.

En 1381, l’emprereur Hongwu, fondateur de la dynastie Ming (1368-1644), envoya une troupe de 300 000 personnes pour anéantir les restes des forces de la dynastie mongole Yuan (1271-1368) qui occupaient encore le Yunnan. Etant donné que le Sud-Ouest, dont le Yunnan faisait partie, était une région traditionnellement peuplée par des ethnies révoltées et que l’influence de l’Empire du Milieu y restait faible, une fois la guerre finie, il y cantonna le reste de la troupe et lui fit défricher des landes sur place. Le Guizhou, étant la porte de l’Empire vers le Yunnan, constituait une aire cruciale de cette stratégie avec près de 200 000 soldats en garnison, soit un dixième de la totalité de l’Empire. Essentiellement originaire de la région capitale, soit Nankin et les provinces environnantes du Jiangsu, du Anhui et du Jiangxi, ces soldats furent accompagnés par leurs familles selon la loi des Ming

et disposés avec celles-ci pour la plupart le long de la grande voie est-ouest traversant toute la province. L’actuelle préfecture d’Anshun, étant située au centre- ouest de la province tout près de la capitale Guiyang et riche en terres fertiles et peu accidentées, rares dans cette province très montagneuse, concentra une partie considérable de ces migrants militaires. Durant les Ming et les Qing, ces pionniers étaitent de temps en temps complétés ou rejoints par de nouvelles populations militaires ou civiles. Règle générale, le mot tun désigne les villages fortifiés abritant les migrants militaires, alors que bu désigne ceux qui abritaient les migrants civils. Pendant que leurs homologues se banalisaient au cours de la longue histoire dans d’autres régions, les habitants des tun-bu d’Anshun gardaient opiniatrement leur identité archaïque en se prenant fièrement pour les vrais descendants des Ming. Par conséquent, de nos jours, ils paraissent singuliers, distincts à la fois des ethnies aborigènes et des Han d’au-dehors de leurs communautés. Ils habitent encore les villages fortifiés, parlent un dialecte qui leur est propre et pratiquent des cultes particuliers. Ils s’identifient et se marient entre eux. Les hommes dansent le dixi50

et

les femmes s’habillent comme si on était encore sous les Ming... Après six siècles, ils comptent aujourd’hui plus de 200 000 âmes, vivant dans près de 300 tun-bu aux environs de la ville d’Anshun, sur une aire d’environ 1340 km2

. (Zhou Yaoming 2002, Geng Hong 2009)

Photo 4-7 :La performance de dixi dans le tunpu de Tianlong

50Le dixi est un est un « théâtre » rural d’origine rituelle qui a lieu deux fois par an dans les environs d’Anshun.

Il a été forgé par les soldats laboureurs établis dans le Guizhou sous le règne de l’emprereur Hongwu (1328- 1398). En effet, le dixi entretient des liens étroits le nuoxi, théâtre d’exorcisme, dont le Rituel des Zhou (Zhou Li) de l’époque confucéenne ou les Entretiens de Confucius (Lun Yu) nous ont légué quelques descriptions. Dans les rituels de nuoxi comme dans les représentations de dixi, l’accent est mis sur les déplacements et la gestuelle des acteurs-paysans, la puissance des chants et de la musique d’accompagnement ainsi que sur le port des masques. L’énergie dégagée doit alors expulser les pestilences (zhuyi) et ouvrir la porte des richesses (kai caimen) afin d’aborder la saison à venir sous des auspices favorables. Cf.Laurence QUICHAUD,le dixi du Guizhou, théâtre

chinois, un spectacle magique, thèse de doctoratsoutenue le 8 avril 2002 sous la direction conjointe de M.

Les tun-bu sont communément bien localisés, ayant des champs fertiles traversés par des cours d’eau devant et des montagnes boisées derrière.

Photo 4-8 : le chef-tun-bu des 8 tun-bu de Yunfeng, département de Anshun, province du Guizhou A l’égard de l’architecture, les constructeurs des tun-bu avaient évidemment implanté les villages de leur pays natal dans cette nouvelle terre. On le déchiffre facilement : l’application du feng-shui, l’arrangement de différents composants, l’assemblage des sanheyuan et siheyuan, ainsi que la réalisation de la sculpture sur la pierre et le bois, etc. Tous ces éléments distinguent les tun-bu des villages des ethnies aborigènes envoisinants. Cependant, sont visibles aussi l’adaptation aux conditions locales et l’adoption des techniques aborigènes. Par exemple, étant donné que le Guizhou est dominé par un climat très humide tout au long de l’année et que la pierre y est abondante, les bâtiments de tun-bu ont une charpente en bois revêtue de pierres de taille et une toiture à deux ou quatre pentes couverte de lauzes d’environ 2 cm d’épaisseur, le rez-de-chaussée de l’habitation est souvent utilisé pour l’élevage des animaux domestiques et les étages en haut servent de salle de séjour et de stockage des réserves. Tout cela est différent de leur pays natal mais identique à l’architecture de leur voisins buyi51. Toujours résultant du climat très humide mais sans jamais de vent très violent, par rapport à la maison du bas Yangtsé, dans les maison des tun-bu, les cours sont relativement grandes (mais toujours plus petites que celles du Nord) et les auvents sont moins allongés, pour que les pièces puissent recevoir plus de soleil et être mieux aérées.

51

Les Buyiou Bouyei ou Puzhong ou Burao ou Puman (en pinyin Bùyī zú) sont un groupe ethnique vivant en Chine du sud-ouest, dans le sud et le sud-ouest du Guizhou en particulier. Au nombre de 2 971 460 en 20001, ils sont le onzième plus grand groupe des nationalités de Chine officiellement reconnues par la République populaire de Chine. Ils parlent une langue taï. Traditionnellement ils sont animistes, bien que quelques uns se soient convertis au christianisme.

Photo 4-9 : Le tun-bu de Tianlong (dragon), département de Anshun, province du Guizhou

Dans un environnement hostile, la sécurité était la principale préoccupation. Ceci explique que les tun-bu étaient presque entièrement en pierre. Tous les tun-bu étaient protégés par un mur d’enceinte en pierre, certains étaient même bordés d’abord d’un cercle de fossé. A l’intérieur de chaque village, il était indispensable d’avoir un approvisionnement d’eau fiable, des réserves de vivres abondantes ainsi que quelques tours de guet. Toute habitation s’éloigne du mur d’enceinte afin de laisser un certain espace pour la défense. Toutes les ruelles sont étroites et pavées de galets ou de dalles. Elles se jointent en formant de nombreux « T » ou « Y ». Aucune d’entre elles n’est toute droite. Marchant dans le village, les visiteurs ont l’impression d’entrer dans un vrai labyrinthe, mais il n’y a aucun coin pour se cacher car avec une conception ingénieuse, il n’y a pas d’angle mort dans les ruelles. Tous les angles sont arrondis. La rue principale et certaines ruelles importantes sont munies d’une porte fortifiée à un bout ou aux deux.

Au coeur du village s’étend la place centrale qui est vraiment multifonctionnelle en servant d’aire de séchage, de marché et de lieu de rassembelment. C’est aussi là que l’on danse le dixi.

Les pratiques des cultes occupent une place importante dans la vie de tun-bu de sorte qu’il n’y a pas de tun ou bu sans temple, en revanche, de grands tun-bu peuvent en avoir plusieurs. Au travers d’une abondance de cultes et de rites, les villageois s’organisent, s’indentifient et se réunissent.

Bien qu’ils soient très rares en Chine d’aujourd’hui, de tels « îlots ethniques » ne se trouvent pas uniquement dans la préfecture d’Anshun. On lit occasionellement mais continuellement des nouvelles qui annoncent la redécouverte de villages ayant conservé une langue considérée comme disparue et avec des traditions très différentes de à ses voisins. Comme de vrais « fossiles culturels » oubliés par la marche du temps, ces villages reculés mènent une existence obscure depuis des sciècles avant que les touristes curieux n’y mettent les pieds.

Villages représentatifs : Tianlongbu, Yunshantun, Benzhaiet Jiuxi.

Outline

Documents relatifs