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Une notion de sauvegarde assez récente

CHAPITRE 5 L’EVOLUTION DE LA NOTION DU PATRIMOINE EN CHINE

III. Une notion de sauvegarde assez récente

Par rapport à l’histoire millénaire de la conservation de patrimoine, patrimoine mobile en particulier d’ailleurs, celle de la sauvegarde du patrimoine, bâti spécialement, est beaucoup plus récente. Malgré de brillants traités techniques tels que le Yingzao fashi62 et le Qing gongbu gongcheng zuofa zeli63, au cours de la longue histoire chinoise, l’architecture était méprisée comme un petit talent et ce mépris s’étendait aux architectes et à leurs oeuvres. En effet, en Chine impériale, comme l’évoque un vieux dicton : « Wanban jie xiaping, weiyou dushu gao » (Toutes les occupations sont viles, seule l’étude est noble », et l’étude en question ici ne concerne que les classiques confucéens.

61Jocelyne Fresnaais, Cinquante ans de gestion du patrimoine architectural en République populaire de Chine :

1949-1999, dans Maria Gravari-Barbas et Sylvie Guichard-Anguis (dir.), Regards croisés sur le patrimoine dans le monde à l’aube du XXIe siècle, p 78.

62Le Yingzao fashi (Traité de méthodes architecturales) est un traité thecnique d’architecture et d’artisanat écrit

par Li Jie (1065-1110), membre du onsiel des Constructions durant le milieu de la dynastie Song. Architecte prometteur, il révise plusieurs anciens traités d’architecture entre 1097 et 1110. En 1100, il termine son propre travail architectural qu’il présente à l’emprereur Zhezong (1085-1100), Le successeur de l’emprereur, Huizong (1100-1126), fait publier le livre en 1103 afin de fournir un ensemble unifié de standards architecturaux pour les constructeurs, les architectes et les artisans, mais aussi pour les agences de génie civil du gouvernement central.

63Le Qing gongbu gongcheng zuofa zeli (Calculs exemplaires du Ministère des Travaux publics des Qing), publié

en 1734 sous le règne de l’emprereur Yongzheng (1723-1735), est un guide officiel pour contrôler le budget, l’exécution ainsi que la consommation de matériaux des travaux publics.

Il est vrai que les Chinois ont un incroyable goût du passé, mais comme nous l’ont soigneusement montré Stephen Owen (1986) 64

ou Zhang Liang (2003), il s’agit plutôt d’un goût de la ruine qui résulte d’un culte du souvenir : « [Pour les

Chinois],le passé n’est pas logé dans des bâtiments mais dans des écrits qui constamment en raniment l’esprit. [...] L’éternité habite les gens plutôt que les pierres, l’architecte mais non l’architecture. La destruction et la reconstruction continuelle d’un bâtiment sur le même site est la matérialisation de cette conception. L’ignorance des matériaux durables, en effet ne peut être invoquée comme la cause réelle de la carence technique des constructions puisque, même chez les Chinois, les pierres et la technique de voûte ont figuré dans l’édification des tombeaux dès les premiers siècles. »65 Il ne faut oublier non plus que, pour les bâtiments, « la valeur

de nouveauté a longtemps prévalu avant que les valeurs d’historicité et d’ancienneté ne prennent le dessus, notamment au XIXe siècle »66.

Le tournant des Qing à la République de Chine, accentué ci-dessus, est avant tout une période où l’affaiblissement du pays s’est accompagné de la montée de la conscience nationale chez les Chinois. Cette montée de la conscience nationale engendra des efforts pour la recherche et la sauvegarde de l’identité culturelle chinoise, de la part de l’Etat comme de la part des intellectuels. Ainsi, « plusieurs

faits historiques (le mouvement visant à restaurer l’essence nationaliste, la création d’un musée national), des innovations intellectuelles (l’histoire de l’art, l’archéologie, l’histoire de l’architecture, notamment chinoise) ont favorisé l’émergence du concept de monument historique. »67

Il y a un siècle, l’Etat chinois a commencé à légiférer pour la sauvegarde du patrimoine culturel. En 1906, cinq ans avant sa disparition, le gouvernement Qing fonda le Ministère des Affaires civiles. Celui-ci promulgua et mit en vigueur les « Dispositions pour la sauvegarde des objets anciens » . Deux ans plus tard, dans le « Statut d’autonomie locale pour les villes, les bourgs et les cantons», la sauvegarde des monuments historiques s’inscrit dans les affaires autonomes des collectivités. En 1909, le gouvernement procéda à l’inventaire national des monuments historiques comprenant stèles, statues, peintures, tombeaux, temples, etc. Résultat de toutes ces entreprises : « la quasi-totalité des vieux ponts et temples qui est conservée encore en Chine d’aujourd’hui, a connu communément des restaurations sous les Qing. »68 Ensuite, avec l’avènement de la République de Chine en 1912, des expériences

64 Stephen Owen, Remembrances, the experience of the past in classical Chinese literature, Cambridge,

Massachusetts, 1986.

65Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe-XXe sicèles, p. 11.

66Ibid., P.13. 67Ibid., P.65.

68Xie Chensheng, Wenwu (Patrimoine culturel) dans Zhongguo da baike quanshu (la Grande encyclopédie de

ponctuelles de sauvegarde nationale du patrimoine se font jour, dont la première restauration du Palais impérial de Pékin entre 1912 et 1914, et la deuxième entre 1928 et 1932.

Cependant, ce sont les années 1920 et 1930 qui « témoignent d’une évolution significative : l’apparition d’études savantes sur les chefs-d’oeuvre de l’architecture. Le cadre bâti est ainsi associé à une forme d’art, susceptible d’être admirée, analysée et éventuellement, conservée et restaurée. […] La création d’une association autonome de recherche sur la construction chinoise, Zhongguo yingzao xueshe (Société d’études sur la construction chinoise)69

, a joué un rôle fondamental et déterminant dans cette évolution des mentalités. Cette association a permis de dégager deux notions clés : la première est celle qui concerne l’authenticité du bâtiment ancien qui rompt avec la conception chinoise de la tradition. La seconde, tout aussi importante, est le monument national»70.

Fondée par Zhu Qiqian71 en 1930, l’association a trouvé la voie de son évolution principale après l’arrivée des deux architectes. « En 1931, Liang Sicheng fut nommé au poste de directeur du département de fashi (forme réglemantée), et en 1933, Liu Dunzhen fut nommé directeur du département wenxian

(documentation) .»72 Assistés de leurs étudiants, ces deux pionniers jetèrent les bases de la recherche scientifique sur l’architecture et le monument historique chinois. Les enquêtes et les relevés devinrent les principaux travaux de la Société. Durant cinq ans, entre 1932 et 1937, les membres de la Société avaient réalisé une série d’enquêtes dans les régions de la Chine du Nord, la Chine centrale et la Chine de l’Ouest, soit les provinces des Hebei, Shandong, Shanxi et Shaanxi. Les résultats furent publiés pour la plupart dans la revue de la Société, avec une riche documentation iconographique de plans et de photographies. Puis, pendant les huit années de la guerre sino-japonaise [1937-1945], les membres de la Sociétépoursuivirent leurs enquêtes sur les monuments des provinces de Sichuan, Tibet, Yunnan. Un nouvel intérêt pour l’architecture vernaculaire était apparu. Liu Dunzhen commença à étudier les habitats au cours de son voyage d’exil depuis Pékin jusqu’au Sichuan. Liu Zhiping, élève de Liang Sicheng, se consacra aux habitats traditionnels chinois, particulièrement au Sichuan. Les recherches de Liu

69Existée entre 1930-1946.

70Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe-XXe sicèles, p. 66.

71Zhu Qiqian (1871-1964), homme politique, industriel et architecte chinois. Il a occupé plusieurs postes

importants dont ministre du transport (juillet 1912 – septembre 1913, puis février – mai 1914), premier ministre par intérim (juillet 1913), ministre des affaires civiles (septembre 1913 – avril 1916). En 1914, il a dirigé la création du premier parc en Chine, Beiping zhongyang gongyuan, (Parc central de Beiping, connu aujourd’hui sous le nom du Parc Sun Yat-sen de Beijing), et celle du premier musée en Chine, gugong guwu chenliesuo (Centre d’exposition des objets anciens de la Cité interdite). En 1930, il a fondé la Société d’études sur la construction chinoise.

72Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe

Dunzhen aboutirent, en 1953, à la publication de son livre Zhongguo zhuzhai

gaishuo73. Les recherches et une partie des relevés de plans de Liu Zhiping furent publiés tardivement dans les années 1980. »74 Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, ce nouvel intérêt a été poursuivi sous la forme d’inventaires par les universitaires (dont Liu Dunzhen et ses élèves de l’Institut des Sciences appliquées de Nankin) comme par les techniciens et chercheurs des autorités compétentes et a engendré une série de monographies régionales. Toutes ces actions ont favorisé la patrimonialisation de l’architecture vernaculaire d’abord et celle des vieux villages ensuite.

73Liu Dunzhen, Zhongguo zhuzhai gaishuo (Introduction sur les maisons chinoises), Zhongguo jianzhu

chubanshe, Pékin, 1957. Traduction et adaptation françaises par G. et M. – H. Métailie, S. et P. Clément, sous le titre français La maison chinoise, Paris, Berger-Levrault, 1980. Note de Zhang Liang , La naissance du concept

de patrimoine en Chine XIXe

-XXe sicèles, p. 77.

74Zhang Liang , La naissance du concept de patrimoine en Chine XIXe

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