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Les contributions des universitaires à la patrimonialisation des vieux villages

CHAPITRE 7 LE CLASSEMENT DES VIEUX VILLAGES EN CHINE

III. Les contributions des universitaires à la patrimonialisation des vieux villages

En effet, l’établissement de ces labels résulte des longues années d’appels lancés par de nombreuses élites culturelles qui sont majoritairement universitaires, architectes en particulier, surtout pour les labels qui ont une forte dimension historique et culturelle. Les provinces ayant de bons résultats aux classements nationaux les doivent beaucoup aux excellents relevés et enquêtes communément réalisés précédemment par les universitaires. Elles engagent d’ailleurs dans telle ou telle commission des experts pour l’évaluation des vieux villages comme pour la protection de ceux-ci. Certains de ces experts accumulent des fonctions dans les commissions nationales. La haute qualité du travail de ces universitaires plus ce chevauchement favorisent davantage le classement national des bourgs et villages proposés par ces provinces à l’Etat.

Parmi les universitaires, Professeur Chen Zhihua et son équipe sont sans doute les plus remarquables.

Né à Ningbo en 1929, Chen Zhihua s’est inscrit d’abord au département de sociologie de l’Université Tsinghua à Pékin en 1947. Deux ans après, ayant le pressentiment que les principes de la recherche sociologique ne seront pas tolérés par la nouvelle république populaire, il s’est réorienté vers des études d’architecture et a eu Liang Sicheng et son épouse Lin Huiyin parmi ses professeurs. Après avoir terminé ses études universitaires en 1952, il a été recruté par son département pour lequel il a travaillé plus de quatre décennies jusqu’à sa retraite en 1994148. Au début de sa carrière, il enseignait l’histoire de l’architecture de l’Union soviétique, puis celle du monde (de l’Antiquité à la fin du 19e siècle). Parmi les manuels qu’il a rédigés, « A history of world architecture (before the end of 19th century)»(voir la photo 7-1 ci-dessous) est le plus répandu parmi les manuels portant sur le même sujet et a influencé les architectes chinois de plusieurs générations.

148Voir « Cancun de jianzhu zai shenyin » (Le gémissement des anciennes constructions restantes). L’interview de Chen

Zhihua par le journaliste Hou Hongbin du journal Nanfang doushi bao (Journal de la métropole médionale), disponible en ligne http://ent.sina.com.cn/x/2005-11-30/0945912511.html.

Photo 7-1: Couverture de l’ouvrage A history of world architecture (before the end of 19th century)

Au début des années 1980, Chen Zhihua a effectué un long séjour d’études en Italie où il a côtoyé plusieurs architectes italiens et a pu visiter de très nombreux sites patrimoniaux soigneusement conservés. Cette expérience a renouvelé sa notion du patrimoine architectural ainsi que celle de sa protection. De retour en Chine en 1983, il a ouvert un cours intitulé « Protection du patrimoine architectural » à l’Université Tsinghua. Originaire de la campagne et nourrissant un sentiment très profond envers celle-ci, son intérêt s’est tourné vers l’architecture vernaculaire vers la fin des années 1980. En 1989, Chen Zhihua et ses deux collègues, dont Lou Qingxi, né en 1930, son camarade de la même promotion du département d’architecture et originaire aussi de la province du Zhejiang, et Li Qiuxiang, née en 1955, élève des deux premiers, ont créé le trio de recherche de l’architecture vernaculaire et commencé leurs enquêtes et relevés minutieux et laborieux. Dès lors, deux fois par an, au printemps et à l’automne en général, ils amenaient des étudiants et parcouraient sous de cruelles conditions les vieux villages dispersés dans l’immense territoire chinois. Dans le fin fond de la campagne chinoise et sans le moindre financement, ils étaient souvent obligés de s’entasser dans les véhicules agricoles rudimentaires qui faisaient voler au passage un nuage de poussière, ou de marcher à pied dans des chemins raboteux et boueux. Manger froid, manger des légumes salés ou du formage de soja fermenté était monnaie courante pour eux. Il leur arrivait aussi de dormir dans un grenier poussiéreux ou un temple des ancêtres moisi, ou encore de passer la nuit avec les animaux d’élevage ou les mendiants. En se servant de plus simples outils, ils ont réussi à faire des dessins raffinés. Durant deux bonnes décennies, ils ont inventorié une centaine de villages éparpillés dans 15 provinces : Zhejiang, Anhui, Fujian, Jiangxi, Guangdong, Shaanxi, Shanxi, Hebei, Sichuan, etc. Résultat direct :

plusieurs collections d’ouvrage des vieux villages publiées sur la Chine continentale comme sur l’île de Taïwan, généralement un ouvrage pour un village, tous bien illustrés.

Photo 7-2 : Plusieurs collections d’ouvrage des vieux villages publiées sur la Chine

Aujourd’hui, Chen Zhihua et ses collègues sont membres de plusieurs commissions nationales de protection des vieux villages telles que celle des Bourgs et Villages d’histoire et de Culture, celle des Villages traditionnels ou celle de l’Habitat populaire traditionnel. Et l’architecture vernaculaire et les vieux villages font l’objet d’enseignement, d’enquête et de recherche dans de nombreuses universités chinoises, notamment dans les départements de l’architecture et ceux du tourisme. Les média en parlent beaucoup aussi.

Professeur Ruan Yisan, né en 1934 à Suzhou, directeur du Centre de recherche des Villes célèbres d’histoire et de Culture de Chine à l’Université Tongji à Shanghai, est un autre architecte important dans la protection des vieux villages chinois. Egalement membre de plusieurs commissions nationales de protection des vieux bourgs, villes et villages, ou du patrimoine architectural, il est nationalement et internationalement plus connu que Chen Zhihua et a reçu plusieurs titres honorifiques tels que Asia-Pacific Heritage Awards de l’UNESCO en 2003 et en 2005, l’ordre des Arts et des Lettres (le grade de chevalier) du Ministère de la Culture de France en 2004 ainsi que le Henry Hope Reed Award de l’Université de Notre-Dame des Etats-Unis en 2014. Depuis les années 1980, il a publié plus de 30 ouvrages et 70 articles sur la protection des vieux bourgs, villes et villages ou du patrimoine architectural et a dirigé la rédaction du plan de protection d’un tiers des Villes célèbres d’histoire et de culture de Chine ainsi que celle d’une centaine de bourgs et quartiers historiques. Grâce à ses efforts, et parfois au péril de sa vie au début de sa carrière, les villes de Pingyao et de Lijiang ainsi que les 6 bourgs du pays de Jiangnan (Zhouzhuang, Tongli, Luzhi dans le Jiangsu et Wuzhen, Xitang, Nanxun dans le Zhejiang) sont protégés et figurent dans la liste du patrimoine de l’humanité de l’UNESCO (pour les deux villes) ou celle d’attente (pour les six bourgs). Bien qu’il accorde son intérêt notamment aux villes et aux bourgs, sa contribution à la protection des vieux villages reste distinctive. Depuis une dizaine d’années, il effectue des enquêtes de terrain dans une centaine de vieux bourgs, villes et villages, en conduisant ses nombreux élèves de doctorat, de master et de licence. La revue City

Planning de Pékin a ouvert spécifiquement une rubrique pour publier les résultats de

leurs enquêtes. Alors que l’équipe de Chen Zhihua est réputée pour la haute qualité de ses enquêtes et relevés, celle de Ruan Yisan se distingue par ses plans de protection. Ces équipes sont les deux plus importantes pour la protection des vieux villages chinois. Elles insistent toutes sur une protection intégrale de ceux-ci, non seulement les bâtis, mais aussi le cadre de vie et de production ainsi que la tradition et la convivialité du village ; et s’opposent plus ou moins fermement à la mise en tourisme du village.

Né en 1942 à Tianjin, le fameux lettré, écrivain et peintre Feng Jicai est un autre personnage contribuant énormément à la patrimonialisation des vieux villages chinois. Accumulant plusieurs fonctions importantes telles que vice-président de l’Association chinoise pour le progrès de la démocratie149, membre du comité permanent de la Conférence consultative politique du peuple chinois, conseiller du Conseil des affaires d’Etat, vice-président exécutif de la Fédération des hommes de lettres et des artistes de Chine, président de l’Association des écrivains et artistes folkloriques de Chine, etc., Feng lance en toute occasion des appels en faveur de la patrimonialisation des vieux villages. Depuis 2000, il est aussi le directeur d’un établissement de recherche littéraire et

149Formé le 12 décembre 1945, c’est un des huit partis politiques légalement reconnus en République populaire de

Chine qui suivent la direction du Parti communiste de Chine et est embre de la Conférence consultative politique du peuple chinois.

artistique portant son nom, Institut Feng Jicai de l’Université de Tianjin. Soucieux de la sauvegarde du patrimoine folklorique chinois, il a fondé en 2004 une fondation portant son nom, Fondation de la culture folklorique de Feng Jicai. En 2009, il a créé la première banque de données de patrimoine immatériel chinois. C’est en effet à l’initiative de Feng Jicai, que l’Etat a décidé en avril 2012 d’entreprendre l’inventaire et le classement des villages traditionnels. En mai 2013, avec le soutien de la Fédération des hommes de lettres et des artistes de Chine et de l’Université de Tianjin, Feng a créé le Centre d’études de conservation et de développement des villages traditionnels chinois. A la différence de celles de Chen Zhihua et de Ruan Yisan qui sont toutes des équipes homogènes composées d’architectes, professionnels et étudiants, l’équipe de Feng Jicai connaît une hétérogénéité visible et marquée par une forte participation des chercheurs en art et culture folkloriques. En faisant pleinement jouer l’influence personnelle de Feng dans les milieux politiques et culturels, le Centre arrive à lancer des actions de grande ampleur dès sa création et les fait médiatiser nationalement, ce qui n’était pas du tout le cas pour les deux équipes précédentes.

De nombreux jeunes universitaires s’engagent aussi dans la patrimonialisation des vieux villages et commencent à manifester leurs talents, par exemple Luo Deyin et Zhao Yong.

Ancien élève de Chen Zhihua et de Lou Qingxi, Luo Deyin participe aux enquêtes et relevés de l’équipe de Chen Zhihua depuis novembre 1996 où il était en cinquième année de licence en architecture à l’Université Tsinghua. Ayant parcouru plusieurs dizaines de vieux villages dispersés dans une dizaine de provinces et produit une grande quantité de publications et une dizaine de plans de protection, il prend le relais de Chen Zhihua pour dispenser le cours d’ « architecture vernaculaire » aux étudiants de licence à l’Ecole d’architecture de l’Université Tsinghua, et est maintenant maître de conférences et directeur-adjoint de l’Institut de recherche de l’architecture vernaculaire de l’Université Tsinghua. Il est aussi directeur-adjoint de la Commission des experts de la protection et du développement des villages traditionnels co-fondée par le Ministère du Logement et de la Construction urbaine et rurale, Ministère de la Culture, Administration nationale du patrimoine, Ministère des Finances, directeur-adjoint de la Commission des experts de l’habitat traditionnel du Ministère du Logement et de la Construction urbaine et rurale.

Tandis que la contribution de Zhao Yong réside surtout dans les efforts de la construction d’une théorie et d’une méthodologie de protection des vieux bourgs et villages. De l’an 2002 à l’an 2005, il a rédigé une thèse de doctorat sur le système d’évaluation des Bourgs et Villages célèbres d’histoire et de culture ainsi que le plan de protection de ceux-ci sous la direction du Professeur Zhang Jie à l’Université de Nanjing. Ensuite pour approfondir sa recherche, il a fait une recherche postdoctorale à l’Ecole d’architecture de l’Université Tsinghua. Parallèlement, il a réalisé plusieurs projets de

recherche appliquée soutenus par le Ministère du Logement et de la Construction urbaine et rurale, tels que « le système d’évaluation des Bourgs et Villages célèbres d’histoire et de culture », « la réglementation de protection des bourgs et villages d’histoire et de culture », « la réglementation de l’élaboration du plan de protection des bourgs et villages d’histoire et de culture », « le guide de l’élaboration du plan de protection des bourgs et villages d’histoire et de culture », etc.. Le Ministère a puisé beaucoup dans les résultats de ses recherches. En tant que membre de la Commission des experts d’évaluation des Bourgs et Villages célèbres d’histoire et de culture, Zhao a participé à l’évaluation des bourgs et villages des six listes jusqu’à présent.

Bien entendu, à part les universitaires, d’autres milieux ont beaucoup apporté à la patrimonialisation des vieux villages chinois, par exemple les média.

Madame Zhang Anmeng réprésente un excellent exemple de ce milieu. Née en 1950 à Shanghai, elle était scénariste-réalisatrice de télévision. En 1989, elle a rencontré par hasard le village de Zhangguying dans le district de Yueyang à la province du Hunan et en est tombée amoureuse. A ce moment-là, l’Etat accordait peu d’attention à la protection des vieux villages. Zhang s’est procuré de l’argent pour inviter des experts à mener des recherches à Zhangguying. De plus, elle a réalisé un documentaire télévisé en quatre épisodes sur le village. Dès lors, elle marche toujours sur le chemin de la protection des vieux villages. En 2002, elle s’est engagée auprès de la Société chinoise de l’Economie territoriale et a été élue secrétaire général du Comité de la protection et du développement des vieux villages. Grâce à son initiative et à son organisation, à partir de l’an 2006, se sont déroulés quatre classements des Villages de paysage de Chine.

A la différence de la plupart des universitaires, Zhang reste plus ouverte à la mise en tourisme des vieux villages tout en insistant sur la conservation du caractère du village comme de l’autonomie et de l’intérêt des villageois.

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