• Aucun résultat trouvé

Deux mille ans de migrations humaines : facteur déterminant du peuplement en Chine

CHAPITRE 2 LA NAISSANCE ET L’EVOLUTION DES VIEUX VILLAGES ET

II. Villages chinois : trois millénaires d’évolution

2. Deux mille ans de migrations humaines : facteur déterminant du peuplement en Chine

Les moyens de contrôle relevés ci-dessus cherchaient avant tout à attacher les paysans à leurs terres et semblaient suffisamment efficaces en temps normal pour

22Le sens propre du mot she est « Dieu du sol », puis par extension, il désigne le lieu destiné à la sacrifice à ce

stabiliser les communautés rurales. Ces moyens ont été périodiquement bouleversés par des événements funestes.

Ces événements funestes pouvaient être des fléaux naturels comme les inondations, la sécheresse, les invasions de locustes (sauterelles et criquets migrateurs). Il s’agissait surtout de guerres et de troubles accompagnant communément les changements dynastiques dans la plaine centrale (Zhongyuan), centre géopolitique de la Chine ancienne s’étendant autour du bassin moyen et inférieur du Fleuve Jaune. Durant la longue histoire chinoise, ces désastres engendraient habituellement des migrations majeures et par conséquent influençaient considérablement le peuplement essentiellement rural dans le vaste Empire. Il s’agissait d’un processus bimillénaire, progressif dans l’ensemble, mais avec de fortes oscillations de court terme.

On considère que le premier déplacement de population vers le sud depuis le

Zhongyuan s’est produit peu après la chute de l’empire Han, entre le milieu du

IIIe siècle et le milieu du Ve siècle. D’autres suivirent à la décadence ou à la chute de presque chaque dynastie importante, en particulier :

- la décadence puis la chute des Tang, entre le milieu du VIIIe siècle (accentuée par la Révolte d’An et Shi23 qui s’est déroulée de 755 à 763) et le milieu du Xe siècle (accentué par la naissance de la dynastie Song qui a mis fin à la période des Cinq dynasties et des Dix Royaumes24).

- la chute brutale des Song du Nord en 1127. - la chute des Ming au XVIIe siècle.

Avec ces vagues successives d’exode, le Nord perdit graduellement son poids dans l’ensemble de l’Empire. En revanche, le Sud connut un essor continu et devint finalement la locomotive économique et culturelle du pays. Malgré les différents exodes, le Nord n’est toutefois pas devenu une zone déserte. Différentes peuplades nomades ou sédentaires d’origine Xiongnu, Ruanruan (Rouran), Xianbei (parfois transcrit Sien-pei), Jie, Di, Qiang, Köktürks (Tujue), Khitans (Qidan) ou Jurchen (Nüzhen) ont peuplé le Nord en se sinisant rapidement et, finirent toutes par s’intégrer dans les han. Les han du Sud, ont absorbé d’autres peuples comme les Yue, les Mian, les Miao, les Dong, les Yao, ou les She qu’ils ont cotoyés. C’est pourquoi s’est exclamé Liu Yizheng (1880-1956) dans son « Histoire de la culture chinoise »

23D’origine turque tous les deux, An Lushan (703-757) et Shi Siming (703-761) furent d’abord généraux de

l’armée Tang puis chef de l’armée révoltante. Les deux eurent un destin similaire : ils se proclamèrent empereur l’un après l’autre et furent tués distinctement par leurs propres fils. Provoquant plus de 30 000 000 morts et d’innombrables réfugiés,cette guerre qui se déroulaentre 755 et 763, fut une des plus grandes guerres civiles de l’histoire.

24La Période des Cinq Dynansties et Dix royaumes a remplacé la dynastie Tang en 907 pour prendre fin en 960

et la dynastie Song lui a succédé. Les Cinq Dynasties qui régnèrent successivement dans le bassin moyen et inférieur du Fleuve Jaune sont : Liang postérieurs (907-923), Tang postérieurs (923-936), Jin postérieurs (936- 947), Han postérieurs (947-950) et Zhou postérieurs (951-960). Les Dix royaumes, sauf celui des Han du Nord (951-979) qui occupait le centre et le nord de l’actuel Shanxi, se trouvaient tous dans le Sud. Les neuf autres sont : Wu (902-937), Wuyue (907-978), Han du Sud (907-971), Chu (907-951), Shu antérieurs (907-925), Min (909-945), Jingnan (924-963), Shu postérieurs (934-965) et Tang du Sud (937-975).

(1919) : « La diversité raciale en Chine est aussi étonnante, et en même temps la race

des han a su en assimiler et absorber la grande majorité. Tout cela est maintenant oublié [...] » (cité par Liang Shuming25, 2005, p. 10). Effectivement, comme Chen Yinke (1997) l’a indiqué en 1943, l’identification han se faisait essentiellement sur la mentalité et la culture plutôt que le sang dans la Chine antique.

En plus de ces migrations spontanées, il existait deux autres sortes de migrations exécutées par l’Etat. La première fut à l’initiative des Qin. Il s’agissait du déplacement de la population civile pour occuper les terres nouvellement conquises ou pour remplir les régions ravagées par les fléaux (les guerres et les troubles en particulier) ou encore pour faire prospérer la capitale. La dernière migration fut à l’initiative des Han et concerna les troupes en garnison notamment dans des régions reculées et peu exploitées, par exemple les frontières. L’approvisionnement étant coûteux et difficile, les soldats furent obligés de défricher les landes pour subvenir à leurs besoins. Toutes ces entreprises de grande envergure touchaient facilement des centaines de milliers de personnes.

Constituant un mouvement bimillénaire, ces migrations humaines ont agi manifestement sur la répartition des peuples dans le territoire chinois. Le Nord, qui a subi beaucoup plus de bouleversements, possède aujourd’hui beaucoup moins de villages multi-centenaires que le Sud qui était relativement paisible.

En effet, la plupart des vieux villages du Sud résultent des déplacements sur les différentes époques. Les vieux villages parsemés dans les montagnes et collines verdoyantes du Sud-Est sont presque tous constitués d’habitations anciennes avec la salle centrale (salle du culte ancestral) portant au fronton le nom de la région d’origine communément située dans la vallée du Fleuve Jaune. Dans la province du Sichuan, quasiment neuf familles sur dix ont des ancêtres qui ont migré du Hubei ou du Hunan au début de la dynastie Qing. Par ailleurs, les « Tunbu Ren » (peuple des villages fortifiés) de la préfecture d’Anshun dans le centre-ouest de la province du Guizhou restent les plus fidèles légitimes des Ming. Se prenant pour « Jing Zu » « tribu de la capitale », ces villageois qui gardent avec entêtement leur identité archaïque et semblent par conséquent singuliers, sont effectivement les descendants des soldats han envoyés depuis la région capitale (Nankin et ses environs) par l’empereur Hongwu, fondateur de la dynastie Ming. (cf. Chapitres 4)

De tels exemples sont vraiment innombrables. C’est dire le rôle décisif des migrations dans la répartition des peuplements en Chine impériale.

25Il s’agit de « Les idées maîtresses de la culture chinoise » (zhong guo wen hua yao yi) de Liang Shuming. La

traduction française des deux premiers chapitres de cet ouvrage par Michel Masson est disponible à

Outline

Documents relatifs