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Le problème est moins la faiblesse de l’information livrée que ce qu’elle implique : on ne peut pas remonter de ce que le locuteur dit aux conditions qui lui permettraient de prendre en charge ce qu’il dit hic et nunc. Ainsi, asserter <je t’explose la tronche> impliquerait la production simultanée d’un acte physique, par exemple. Si l’assertion ne peut pas prétendre valider un fait in situ, c’est que celui-ci est valide dans un espace modal distinct. L’incongruité est ainsi comblée.

Si on se place dans la perspective gricienne [Grice, 1979], on pourrait dire que ces constructions ‘paratactiques’ exploitent deux maximes :

1) La maxime de relation (ce qui est dit doit être « reliable » de façon cohérente). Le fait asserté est non satisfaisant de ce point de vue, il y a souvent contradiction avec le contexte. Le fait nommé par A est placé dans un autre espace mental.

2) La maxime de qualité (la condition de sincérité de Searle). Les assertions A et Z entrent en contradiction avec le contexte, ce qui rend la vérité du fait contenu dans A irrecevable. L’assertion est vue comme insincère. Comme d’habitude, un principe pragmatique fait que, constatant qu’une assertion contrevient aux maximes conversationnelles, l’allocutaire infère que quelque chose d’autre est transmis. Dans notre cas, ce n’est pas un autre fait, mais ce même fait affecté d’une clé de validation254.

Cela fait penser aux cas de contradiction d’indices (polyphonie, DIL) dont l’interprétation

réclame la construction de deux systèmes de repérage différents pour par exemple identifier les énonciateurs dans deux domaines énonciatifs. Il y a non correspondance entre une structure formelle (ici une assertion) et des impératifs pragmatiques (non-contradiction, prise en charge par le locuteur) qui lui sont liés habituellement. Cette transgression, toute relative parce que conventionnelle, est exploitée pour créer de l’implicite.

Si on se place dans le cadre de la théorie des actes de langage, ces constructions réclament des mises au point. Asserter consiste à valider publiquement un fait P en émettant un énoncé contenant P. Lorsque l’énonciation A prend la forme d’un acte d’assertion et qu’elle constitue la préface d’une période binaire à interprétation hypothétique, la valeur « illocutoire » est délicate à cerner. Ces « actes illocutoires » subissent des exploitations « rhétoriques ». Dans nos exemples d’hypothétiques, A est une formule assertive, mais les conditions de réussite ne sont pas réunies. Si on s’en tient à la théorie des actes de langage, on en conclut que ce n’est pas une assertion : la condition de sincérité et la condition essentielle sont transgressées. Les conditions préliminaires ne sont pas toujours respectées. Pour produire une assertion p, le locuteur doit avoir des preuves que p est vrai [Searle, 1972 : 108] : en ouvrant un cadre fictif,

254 Pour Jackendoff [1975 : 69], certaines unités peuvent être sous la portée d’un opérateur modal unrealized, ce

qui impose « a special condition on their referentiality ». La procédure élaborée par l’auteur est proche de celle que nous voulons appliquer au traitement des hypothétiques non marquées.

la transgression est automatique. Il n’y a pas de catégorie prévue pour ces énoncés dans la vulgate speech-actiste. Du point de vue de la théorie des actes de langage, on est contraint d’y voir des assertions marginales, énoncées sous une clé de validation modale.

Une autre direction théorique envisageable serait de critiquer la notion d’« acte illocutoire » (c’est notre choix) afin de donner une existence légitime à ces hypothétiques non marquées. Le postulat selon lequel la force illocutoire ferait l’objet d’un codage lexico-syntaxique est à révoquer si on ne veut pas marginaliser nos constructions.

Le procès contenu dans A n’est pas ancré référentiellement dans l’espace mental par défaut, celui de l’énonciation en cours. Le locuteur ne se porte pas garant de la vérité de A. Non « réalisé », non validable par le locuteur, le contenu de A est à la recherche d’une instance de validation. Le terme A encode des assertions non assumées qui interdisent toute validation immédiate255. Ce sont des assertions dont la référence est affectée d’une certaine modalité. L’énonciation A véhicule deux informations : une conduite assertive et une exécution différée dans un espace alternatif. Là aussi, il y a contradiction entre une assertion candidate à incrémenter M, mais qui n’incorpore pas d’instance de validation dans la situation de parole. Dans nos exemples, la vraisemblance de A ou de Z en tant qu’assertion pragmatiquement autonome est discutable. Les atteintes à la consistance informative que réalisent nos observables ne sont des manœuvres pertinentes que dans des conditions très particulières. L’action introductive a la forme d’une assertion en surface – à l’indicatif ou au conditionnel –, mais elle sert à ouvrir un cadre fictif plutôt qu’à produire une assertion tenue pour vraie par les partenaires de l’énonciation. Il y a bien assertion, mais celle-ci est affiliée à un domaine modal singulier. La notion de mémoire discursive est apte à décrire cette procédure. La conduite assertive incrémente M d’un objet-de-discours O <tu dis que tu m’as vu> et d’un méta-fait ϕO <O est vrai dans un espace alternatif>. Il y a à la fois assertion et mise à distance de celle-ci.

Demandez à un crapaud ce que c'est que la beauté, le grand beau, le to kalon. Il vous répondra que c'est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté. § Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias ; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au

to kalon. [Voltaire, Dictionnaire philosophique, entrée « beau »]

L’objectif est de comprendre pourquoi une forme verbale à l’impératif peut fonctionner comme un opérateur d’ouverture d’un monde fictif. L’étude des constructions introduites par un verbe à l’impératif est plutôt bien documentée en anglais, surtout dans le domaine de la logique et de la sémantique formelle (Clark, Schwager, Russel, Franke). Les mêmes observations sont fréquemment reconduites d’une étude à l’autre – seules changent les conclusions qui en sont tirées – et il est souvent difficile de savoir à qui il faut attribuer leur responsabilité originelle. Néanmoins, de nombreux papiers se fondent sur Bolinger [1977] qui établit certaines contraintes distributives liées à ces impératifs en anglais.

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