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I NTRODUCTION ET PRINCIPES D ’ ANALYSE

1.1. Les constructions analysées

1.1.1. Les périodes qui sont examinées dans ce Chapitre 7 sont formées de deux énonciations de forme assertive, juxtaposées ou connectées par et. Il s’agit de configurations munies de deux verbes tensés comme (1) :

(1) (a) (tu lui brises le cœur)S (moi j= te brise la tête)F [o tv, 04.06.2006]

(b) <à propos d’un jeune filou> (j= l’attrapais)S (j= t= préviens qu’i= passait un sale quart d’heure)F

[o, 04.10.2003]

Les formes verbales sont à l’indicatif ou au conditionnel. L’alliage entre la deuxième personne du singulier dans le membre A et le présent de l’indicatif est extrêmement courant (cf. 1a). En emploi isolé et hors contexte, tu lui brises le cœur ne conduit pas à une lecture hypothétique. Il faudrait une forme verbale au conditionnel pour qu’une telle interprétation soit envisageable : tu lui briserais le cœur.

1.1.2. La structure praxéologique de ces périodes binaires est composée d’une ACTION et

d’une CONTINUATION243. Le schème syntaxique est le suivant : [P]E1 # [(et) P’]E2.

L’énonciation de la première clause est suivie d’une démarcation prosodique. La période est articulée ou non par le connecteur et. On ne traitera pas ici des configurations bi-assertives articulées par ou.

1.1.3. On a déjà expliqué que dans la macro-syntaxe « fribourgeoise », un acte d’énonciation est décrit comme un geste de monstration réalisant une opération sur M244. Dans les périodes du type (1), l’énonciation A nomme un fait qui va servir de restriction pour ce qui suit. Autrement dit, dans nos exemples, le fait que contient A est validé en mémoire sous une modalité du genre « admettons que »245. La distinction entre le fait et son mode de donation est capitale. D’une part, l’énonciation fait entrer un fait dans M ; d’autre part, sa validation est restreinte à un domaine modal. Pour cerner la façon dont une valeur hypothétique peut être échafaudée, on va chercher à identifier les indices qui mènent à un décrochage par rapport au référentiel de l’énonciation en cours. Ce sera le propos de la partie 2.

243 En l’occurrence, la continuation exprime une relation référentielle de conséquence.

244 La communication verbale est donc considérée comme un cas particulier de communication gesticulatoire et

de production d’inférences. Les sujets parlants utilisent simultanément plusieurs codes sémiotiques. Reste bien sûr à savoir comment fonctionnent ces sous-systèmes superposés. Quand un indice est émis, que ce soit une suite linguistique, une sensation auditive ou visuelle, bref lorsqu’un stimulus quelconque est tangible, chaque allocutaire élabore une représentation mentale possible en fonction d’un calcul de vraisemblance et des croyances à disposition. Cette vision des choses est en accord avec la position de Sperber & Wilson.

245 L’élaboration de cette valeur modale est facilitée avec des verbes du type prendre qui ouvrent une rubrique :

dans l’exemple suivant, tu prends un poste se glose par « admettons que tu prennes un poste » :

je veux dire par là que tu prends un poste – tu l’ouvres – tu regardes à l’intérieur il y a un petit circuit imprimé sur lequel il y a des composants dessus [...] [o < Blanche-Benveniste & al., 2002].

1.2. Remarques à propos du corpus

Les temps verbaux de Z autres que le présent de l’indicatif – très majoritaire dans notre corpus – sont, dans l’ordre décroissant de représentation, le conditionnel (2a)246, le futur (2b) et l’imparfait de l’indicatif (2c) :

(2) (a) mais moi je serais une femme j’accepterais pas ce principe [o < Blasco]

(b) (vous appuyez notre offre)S (et j= vous poserai pas de problèmes)F [o film, 25.01.2004]

(c) <à propos de cafés améliorés à l’eau-de-vie> (t’en buvais cinq)S (t’étais raide)F [o]

Contrairement aux structures nominales du Chapitre 6, où les énonciations sont massivement connectées par et (puis), un quart seulement des constructions de notre corpus incorpore le connecteur inter-énonciatif247. Concernant les périodes au conditionnel comme (2a), l’ajout d’un que entre A et Z en fait des périodes unaires :

(3) (a) Il se fût mis à pleurer d’énervement qu’on ne se serait pas étonné. [Simenon, Le chien jaune] (b) On ne gagnerait plus un sou qu’on ferait ses vignes quand même. [Ramuz, Passage du poète]

Dans les structures (3), il y a un marqueur de continuité clausale que, qui condense la relation AZ au niveau de la clause. Le spécimen (3b) comprend un signe de valeur concessive (quand même). Dans ce Chapitre 7, on analysera uniquement les périodes binaires du type (1) et (2). Le terme A des constructions à l’indicatif ou au conditionnel peut être soumis sans autre à la portée de la négation ou de la restriction, même si ce ne sont pas des exemples très courants :

(4) (a) (y’a pas d’implication)S (on n’a pas besoin des règles d’implication)F [o, conférencier,

28.03.2006]

(b) <à propos d’un reportage> (il l’aurait pas fait)S (on le lui aurait reproché)F [o tv, 02.11.2002]

(c) Mais qu’est-ce que c’est que la liberté ? § C’est quand on fait ce qu’on veut, comme on veut, quand ça vous chante. § C’est quand on ne dépend que de soi. C’est quand tous les commandements partent de vous. Tu veux rester couché, reste couché ; tu veux te lever, lève-toi. Tu veux manger, eh bien ! mange ; tu ne veux pas manger, ne mange pas… Et tu veux faire de la monnaie, tu peux faire de la monnaie… [Ramuz, Farinet ou la fausse monnaie]

La possibilité pour la P que contient A d’être à l’occasion sous la portée d’une modalité d’énoncé est une propriété qui rapproche nos constructions des « pseudo-corrélations » de Deulofeu [1989]. Le test de la portée de la négation – souvent utilisé par les chercheurs du GARS-DELIC – ne nous semble cependant pas très opératoire pour décrire nos structures. Selon

Deulofeu [1988a : 197 ; 1989], qui travaille également sur des « parataxes », le terme A n’est pas indépendant s’il ne peut pas avoir de modalités propres. Il est vrai que dans nos constructions binaires la négation sur l’impératif, sur le subjonctif ou sur les SN initiaux est exceptionnelle. Cela irait dans le sens d’une dépendance syntaxique de A. Mais on trouve quand même des exemples où A est affecté par la négation. Deulofeu [1989] opère des distinctions syntaxiques entre les structures où A admet la négation (les pseudo-corrélatives)

246 Les corrélations {conditionnel + conditionnel} sont loin d’être les mieux représentées dans notre corpus, ni à

l’écrit, ni à l’oral. Borillo [2001] soutient qu’il s’agit de la configuration la plus courante.

247 Notre corpus, composé très majoritairement de faits oraux, montre que ce pourcentage augmente légèrement à

l’écrit (≅ 30%). Dans les structures nominales (Chapitre 6), au contraire, c’est à l’écrit que et a tendance à disparaître.

et celles où le membre introductif y est réfractaire (les couplages). Cela nous obligerait à faire une différence syntaxique entre nos exemples qui admettent difficilement la négation dans le terme A (6c) et les exemples (4). Selon Sabio [1992 : 40n], « l’impossibilité de la négation sur le verbe est davantage une question de sémantisme induit par le lexique verbal qu’un problème syntaxique fondamental (cf. Blanche-Benveniste, 1989) ».

1.3. Les constructions non hypothétiques ou ambiguës

Considérons les exemples reproduits sous (5) :

(5) (a) <à propos du téléchargement d’une musique> (voilà on glisse l= fichier vers la droite)S (et c’est

d=jà gagné)F [o, tv, 25.06.2002]

(b) Un pilote de ligne laisse quelques instants son enfant aux commandes de l’avion : un incident technique survient et c’est le drame. [programme tv, résumé d’un film]

(c) <à propos du contrôle des bagages à l’aéroport> (cet opérateur remarque un élément suspect)S

(le colis est immédiatement retiré)F [o tv, 04.01.2003]

Ce sont bien des configurations {A et Z} formées de deux assertions dont la permutabilité est bloquée (?C’est déjà gagné et voilà on glisse le fichier vers la droite). Pourtant, la lecture hypothétique est peu vraisemblable. Dans (5a), la voix off ne fait que commenter deux actions successives visibles à l’écran. Dans (5b), – un résumé de film reproduit en entier – il est impossible de savoir si l’incident technique est survenu (dans ce cas, c’est non hypothétique) ou non (dans ce cas, c’est hypothétique). Pour (5c), le commentaire accompagne l’image d’un homme empoignant un paquet. Est-ce que l’énoncé décrit la situation d’un opérateur qui remarque un colis suspect et qui le retire ? ou est-ce que la période illustre une marche à suivre imposée par des impératifs de sécurité dans les aéroports : <au cas où un opérateur remarque un élément suspect, le colis doit être immédiatement retiré>. Il semble qu’en (5c) les deux lectures soient possibles, le démonstratif orientant vers une situation décrite en prise directe, alors que d’autres indices (l’adverbe d’imminence et l’aspect résultatif du verbe) renvoient plutôt au domaine de l’hypothèse.

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