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1. L ES CLAUSES NOMINALES

1.3. Les modalités de l’interprétation hypothétique dans le membre Z

1.3.2. Les temps verbaux dans Z

L’imparfait appelé parfois « contrefactuel » est une forme souvent présente dans le membre droit des structures nominales hypothétiques. Les tours avec l’imparfait de l’indicatif dans Z constituent le prototype de ces constructions qui débouchent sur une interprétation hypothétique, en l’occurrence contrefactuelle. L’extrait de presse écrite (44) illustre le genre de procès dont il est question :

(44) La grange et l’étable, situées à proximité du hangar, ont été épargnées de justesse. [...] « Les planches de la grange commençaient déjà à charbonner ; avec le rayonnement du foyer, [encore quelques minutes]A [et la grange s’embrasait à son tour]Z », note Martial Bersier. [p, La Liberté,

09.08.2002]

La situation présentée par AZ n’a pas eu lieu, puisque la réalité « factuelle » a été établie dans le contexte gauche : la grange et l’étable ont été épargnées. Selon Kleiber & Berthonneau [2003], contrairement à l’« imparfait de rupture », le contenu de A ne vise pas une localisation postérieure mais porte sur une situation antérieure, introduite en mémoire par le discours comme dans (44), ou inférable à partir des paramètres de la situation d’énonciation. Le membre A introduirait une modification quantitative d’un procès présenté comme validé préalablement dans la mémoire discursive. En d’autres termes, A présuppose une situation Si

et pose une modification quantitative (Si+1) de celle-ci. Cf. :

(α) [Si] incendie circonscrit → grange épargnée

(β) [Si+1] incendie prolongé(A) → grange non épargnée(Z)

Si est la situation validée en mémoire ou parfois inférable à partir de Si+1. La situation Si+1

représente la modification du procès et sa conclusion alternative : c’est le cas de AZ dans (44). Ce qui est remarquable, c’est que la procédure <la situation α est versée dans M, puis la situation β> est partiellement réversible : si α n’est pas complètement ratifié dans la mémoire discursive, c’est β qui permet sa reconstitution. La conclusion présentée comme réalisée se voit ainsi indirectement validée dans la mémoire discursive228. C’est le cas de (46a, infra). Étant convenu que Si est tenu pour vrai, l’instanciation de Si+1 ne peut être que fictive, selon

Berthonneau & Kleiber229. C’est le constituant A qui serait le siège de la contingence ou de la contrefactualité, d’où le caractère discutable des étiquettes « imparfait contrefactuel / fictif, etc ». Le sens de A serait d’indiquer qu’il faut trouver une situation Si entérinée afin de la

réinvestir en opérant un re-bornage à droite. Kleiber & Berthonneau [ibid., 12] insistent sur le fait que l’imparfait, n’est pas en lui-même contrefactuel. Pour une lecture contrefactuelle, il faut tenir pour vrai que Si est bornée à droite.

Quelques remarques peuvent être formulées à propos des travaux de Kleiber & Berthonneau : A propos du caractère fictif de A : selon Kleiber & Berthonneau [ibid., 8-9], le rôle de A est de modifier une situation antérieure, achevée, mais saillante. (C’est une autre manière de dire que A n’est pas un modifieur de Z ; ce serait le cas si A était le circonstant de Z). Pour les auteurs, toute prolongation de cette même situation serait forcément fictive [ibid., 12]. Pourtant, en construisant l’enchaînement suivant, on peut se demander si ce postulat n’est pas une pétition de principe :

(45) Pierre a reculé / recula un peu en direction de la falaise avant de s’immobiliser. [1] Un pas de plus et il tombait (= serait tombé) dans le vide. [2] Un pas de plus et il tomba dans le vide.

228 C’est souvent le cas avec les hypothétiques en langue naturelle : on infère « naturellement » la réciproque. 229 « c’est parce que la situation est factuellement achevée que le procès rapporté à l’imparfait devient une

Si [1] paraît plus naturel que [2], il n’en demeure pas moins qu’un enchaînement avec le passé simple est bien formé. Il semble par conséquent qu’une retouche apportée par un élément du type un N de plus à une situation achevée et accessible cognitivement ne mène pas systématiquement à une lecture fictive230. On suivra plus volontiers Kleiber & Berthonneau [ibid., 19] quand ils précisent de manière plus prudente que ni A ni Z ne sont fictifs par eux- mêmes et que la contrefactualité concerne l’ensemble de la structure binaire.

L’imparfait ne conduit pas univoquement à une valeur épistémique contrefactuelle. Deux types d’imparfaits apparaissent dans Z :

(46) (a) En quatre-vingt-huit, un soir de printemps, je sortais de la chambre, pour aller manger ma part du veau patriotique dans je ne sais plus quel banquet, à Saint-Mandé. Je monte sur la plate-forme du tramway, porte Rapp-Bastille. A la station de la rue du bac, je reçois en pleine poitrine un voyageur pressé, qui escalade la plate-forme avec un palmier, un gros palmier dans un pot. Un peu

plus, il m'éborgnait avec sa plante tropicale. [f, Vogüé]

(b) C’était pourtant tout un art. Une heure séchée et, mensonge ou non, il fallait prendre sa plus

belle plume pour rédiger un mot d’excuse un rien plausible. Voire imiter la signature de papa ou

maman. [p, Le matin, 24.11.2002]

La formulation (47a) s’interprète comme <il a manqué de m’éborgner>. Dans (47b), la structure est glosable par une temporelle itérative en quand : ce n’est pas une variation quantitative contrefactuelle qui est postulée, mais une classe d’événements bornée à droite, donc des événements passés : <chaque fois que l’on séchait une heure, il fallait rédiger un mot d’excuse>. Idem pour (47c), où l’imparfait narratif autorise l’interprétation itérative.

Est-ce que pour reconstituer Si on se fonde toujours sur une situation antérieure ? Pour (44),

tout est en effet validé en mémoire : <il y avait un foyer important, mais la grange a été épargnée>. Dans (29d), il est évident pour le téléspectateur que la première manche n’est pas achevée, les joueurs étant toujours sur le terrain. Par contre, pour les routines sérielles comme (1b), l’imparfait ne sur-marque pas la contrefactualité ; dans la situation, Lyon a effectivement gagné le match en semaine, la qualification est donc acquise ; le journaliste maintient le suspense sur le résultat avant la diffusion d’un résumé du match. Hors contexte, la période est ambiguë (contrefactuelle ou contingente dans le passé). Pour ces hypothétiques qui présentent une routine sérielle, du type : une victoire et… une défaite et… un match nul et…, la description en termes de réinvestissement d’une situation saillante est moins convaincante :

(47) Ouf ! Lyon a gagné. Rappelons les faits : une défaite et c’était l’élimination ; un nul et il fallait disputer un match de barrage. [ex. construit]

Il est en effet parfois malaisé de reconstruire et de déceler un quelconque prolongement fictif d’un événement ponctuel ou processuel enregistré en mémoire :

(48) Deux jours plus tard, dans l’avant-dernière étape qui nous conduisait au plateau de Beille, je portais toujours le maillot jaune. C’était trop beau. Une bousculade au cours du sprint en haut du premier col, une chute collective juste devant moi, un poignet fracturé, et tous mes espoirs basculaient dans le fossé. [Menthéour, Secret défonce]

Dans (48), l’interprétation est contrefactuelle. Mais comment identifier la situation qui est prolongée dans ces exemples ? Lorsqu’il n’y a pas de quantifieur comme de plus, de moins, le potentiel explicatif de la thèse de Kleiber & Berthonneau se trouve amoindri. Pour (48), quel contexte faut-il imaginer pour que la structure modifie quantitativement une même situation ? Imaginons encore une autre situation qui mène à des conclusions similaires : j’entre dans un bus et je remarque par hasard la présence d’un ami au fond du véhicule. Je m’adresse à lui en disant : Eh salut ! un peu plus et puis je te voyais pas. Quelle est cette situation bornée qui est prolongée d’une quantité négligeable, de myopie, de précipitation ou d’ombre ? Il semble qu’il faille attendre le contenu du terme Z pour reconstruire la situation.

Et finalement, qu’est-ce qu’une situation antérieure ? Parfois, tout est verbalisé, de sorte que AZ est l’envers d’une donnée « factuelle » (ex. 44). Parfois, – et c’est là un des effets de sens du tour – « la situation » peut parfaitement être inédite pour le destinataire qui, à partir de la contrefactuelle Si+1, calcule rétroactivement la situation passée Si (ex. 48) ; ce scénario est

attesté épisodiquement. Enfin, signalons le cas de figure qu’illustre (49) :

(49) Avec le chantier, l’épicier du village a frôlé la catastrophe. « [Encore six mois comme ça]A, [et on

mettait la clé sous le paillasson ! »]Z [p, La liberté, 23.07.2005]

La période au discours direct, contrefactuelle, permet de calculer précisément la nature de la « catastrophe » : la faillite. La situation est implicitée et c’est la construction AZ qui vient l’étayer a posteriori. Un effet de sens davantage lié à ces configurations contrefactuelles est qu’une conclusion alternative a manqué de peu de se produire, comme le signalent Berthonneau & Kleiber [ibid., 14] : « il s’en est fallu de peu », « il était moins une », etc. Le fragment (49) verbalise cet effet de sens (voir les italiques).

Lorsque la modification quantitative est implicite, on ne peut pas dire du membre A qu’il opère une retouche fictive de Si. Les structures hypothétiques nominales incorporant un

imparfait de l’indicatif dans Z semblent en phase de ritualisation, ce que montre le fait qu’on puisse se passer totalement du membre gauche. Une modification d’une situation quelconque ou la mention du passage d’un degré à un autre sur une échelle sont alors absents. Dans les exemples tirés de commentaires de football reproduits ci-dessous, on sait qu’il a manqué de peu qu’un but soit marqué :

(50) (a) < à propos d’un gardien de football> (il était battu)F [o tv]

(b) (c’était but la même chose)F [o tv]

Des exemples comme (50) sont très courants dans le genre du commentaire sportif d’un match de football. (50a) se paraphrase par <si le tir avait été cadré, il y aurait eu but, puisque le gardien n’était pas sur la trajectoire du ballon>231. Et (50b) s’explique ainsi : <il s’en est fallu de si peu qu’il y ait but, qu’avec la même situation, on aurait pu avoir une conclusion différente, c’est-à-dire un but>. On touche, dans cet exemple (50b), aux limites inférieures de la quantification : une variation de quantité nulle est susceptible de programmer une autre alternative conclusive. Dans (50a)-(b), Si a un caractère d’évidence pour le téléspectateur qui

voit l’image et écoute le commentaire – il n’y a pas eu but – et Si+1 doit être en partie

recomposée à partir de la conclusion contrefactuelle, en remontant à l’« antécédent ». Les structures hypothétiques étudiées dans ce travail ont toujours deux membres : il est exceptionnel d’observer un processus d’autonomisation du membre A sans qu’on ait une modalité exclamative ou une intonation d’inachèvement.

La contrefactualité n’est pas l’apanage de l’imparfait de l’indicatif et du conditionnel. Le présent de l’indicatif remplit aussi cet office232 :

(51) <football : le ballon a frappé la barre transversale> (oui Given était battu)S (un centimètre en

dessous et un peu à droite)S (et c’est but)F [o tv, 11.10.2003]

Parallèlement, on a vu qu’il y a des imparfaits non contrefactuels dans Z (1b)-(46b).

Les paragraphes suivants explicitent brièvement le rôle épistémique du conditionnel, du futur de l’indicatif et du présent de l’indicatif. Si le PS et le PC interviennent de manière décisive pour empêcher la lecture hypothétique, le conditionnel oriente préférentiellement vers cette modalité. Le futur, le présent et l’imparfait de l’indicatif excluent certains formats épistémiques davantage qu’ils ne fournissent des instructions en faveur d’un format univoque. 1.3.2.2. Le conditionnel

Si dans nos structures l’imparfait marque la contrefactualité ou l’itérativité dans le passé, le conditionnel indique la contrefactualité quand il est au passé (52a) ou, moins communément, la contingence lorsque la forme verbale est au présent (52b) :

(52) (a) Ils n’ont rien à faire de moi en ce moment et, moi, aussi, il faut que je sorte me rafraîchir, parce que, vieux, tu arrives pile : encore deux minutes et, sûr, on se serait battus ! [Dostoïevski, Crime et

châtiment]

(b) Son visage était déformé par une trouble expression d’effroi, de prière, de douleur, et l’inspecteur Leroy entendit Maigret qui armait son revolver. § Il n’y avait que quinze à vingt mètres entre les deux groupes. Un claquement sec, une vitre qui volerait en éclats et le colosse serait hors d’état de nuire. [Simenon, Le chien jaune]

Dans le fragment (52b), les formes soulignées dénotent un futur du passé ; la mention temporelle est insérée dans A au moyen d’une relative, et non uniquement dans Z. A noter que dans (52b), il est difficile de déceler le passage d’un gradient à un autre sur un axe dimensionnel ; on considérera qu’il s’agit d’un autre type de transition : le passage d’un état 0 (silence / non altération) à un état 1 (coup de feu / bris).

1.3.2.3. Le futur de l’indicatif

Lorsque Z est au futur de l’indicatif (ou au futur périphrastique), l’interprétation est contingente :

232 Ces présents contrefactuels s’utilisent massivement dans des discussions autour de compétitions sportives,

parfois estampillées « conversations de café du commerce », entre supporters ou entre joueurs qui « refont le match » ou la course.

(53) Un seul mouvement de notre part, et le cachot va s’ouvrir, les traces de trous disparaîtront pour toujours, les murs vont s’écarter... [f, Sarraute]

Une interprétation temporelle-itérative semble néanmoins envisageable lorsque Z est au futur : un seul mot de lui et tu verras, à chaque fois, l’ordre sera rétabli immédiatement. 1.3.2.4. Le présent de l’indicatif

Au présent de l’indicatif, l’interprétation est contingente ou itérative-générique. Ce paragraphe se penche essentiellement sur le phénomène de la généricité, i.e. lorsque la relation a déjà été validée (et est encore validable)233. Les proverbes relèveraient de cette classe de constructions. Notre corpus de structures nominales montre que les formules génériques ne sont pas si courantes. En voici un échantillon :

(54) (a) <commentaire d’un match de football> (un tout p=tit poil de pressing)S (et les Grecs perdent la

balle à chaque fois)F [o tv, 25.06.2004]

(b) Une trop brusque interruption, un silence qui quelques secondes de trop se prolonge… et entre nous une crevasse s’ouvre… [Sarraute, Usage de la parole]

(c) Toutes ces nouvelles n’ont pas la même intensité. Mais toutes sont suspendues à des riens, à des instants fugaces où l’amour peut basculer dans l’indifférence ou le dégoût, à des aveux furtifs qui frappent comme des smashes inattendus. Une seconde fatidique, un mensonge ou un verre de trop, un mot qu’il n’aurait pas fallu prononcer, et tout s’écroule : l’art de l’écrivain se résume à cette perception infinitésimale du tragique, à ces fractures dans l’intimité, à ces spasmes qui sont les

haïkus du désamour made in America. [p, Le temps, 02.11.2002 ; les italiques de smashes, haïkus et

de made in America sont d’origine]

L’indice formel à chaque fois force une interprétation générique dans le premier exemple. Dans (54b)-(c), on peut raisonnablement penser que Z – et parfois A – contient des présents génériques. (54c) comporte en outre une marque dans le contexte gauche qui suggère une réitération de la relation : TOUTES les nouvelles sont suspendues à des riens ; et le terme A

liste ces riens, qui dans les nouvelles en question, mènent à la bascule. Les fragments (54) sont tous paraphrasables aussi bien par des si-P que par des quand-P.

A titre de comparaison, on citera des exemples qui feront l’objet d’une autre partie (Chapitre 7), mais qui sont très proches de (54) :

(55) (a) C’est comme cela le bonheur ; un nuage rose se décolore, et tout est perdu. [f, Bianciotti]

(b) Ma famille m’avait bien éduqué : une cuillère tombe par terre, elle est « sale ». [f, Bayon]

Dans (55a)-(b), les formes verbales au présent de l’indicatif sont interprétées comme génériques. En (55b), la séquence ma famille m’avait bien éduqué suivie des deux points déclenche une inférence du genre <ce qui suit est un principe>. Le procédé semble similaire

233 Pour les si-P, les structures itératives peuvent se décrire comme des classes d’événements fermées (a) ou

ouvertes (b) [Corminboeuf, 2001] :

(a) <à propos de peinture> S’il faisait des pommes sur une table, il les faisait grandeur nature. [Giacometti, Ecrits]

(b) <à propos d’alpinisme> (et les faces nord)S (euh si ça neige)S (elles s= dégagent très vite)F (donc euh

nous on a le temps d’attendre)F [o tv]

Les interprétations temporelles et hypothétiques sont toutes deux possibles. Il faut insérer un conditionnel pour déplacer la borne au moment de l’énonciation et amorcer une nouvelle classe d’événements, cette fois-ci orientée entièrement vers une interprétation hypothétique (Cf. : S’il faisait des pommes, il les ferait…).

en (55a) où le caractère cataphorique du démonstratif c’ annonce une formule définitoire ou sentencieuse du bonheur en installant un présent générique. La glose avec une temporelle est là aussi possible. Si on introduisait une relative dans la partie A de (55a)-(b), la structure deviendrait similaire à celle de (54b)-(c) ci-dessus : un nuage qui se décolore / une cuillère qui tombe par terre… La présence d’une relative octroie à A une marque temporelle qui est généralement absente dans le membre gauche. Dans une interprétation générique, il y a du déjà validé, contrairement aux interprétations non spécifiques. Cela a pour conséquence que l’interprétation n’est pas exclusivement hypothétique.

En conclusion de ce paragraphe sur les indices favorisant la lecture hypothétique dans la partie Z, il faut souligner que les indices forts sont contenus dans A. Dans Z, on identifie essentiellement des marqueurs d’imminence et d’état résultatif. Les temps verbaux sont surtout déterminants pour empêcher l’émergence de la valeur hypothétique. En revanche, ils contribuent au profil épistémique de A.

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