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La notion de ‘cadre de discours’ et son application aux hypothétiques

Dans une première exposition des cadres de discours, Charolles [1997] détaille les principes d’une topographie imaginaire du discours, certaines portions de texte étant perçues comme

87 Le corpus est constitué de discours oraux et écrits qui détaillent les étapes de la plantation du riz, de l’abattage

d’un arbre, de la fabrication du vin de palme, etc.

88 Sur 320 occurrences, l’auteur dénombre 41% de constructions en si / if à l’initiale, 6% d’incidentes et 53% en

enclavées dans des cadres. Les séquences discursives concernées sont des espaces à appréhender en tant que variables non matérielles, comme chez Fauconnier [1984], où l’espace n’est qu’une représentation mentale. Pour Charolles, « les cadres de discours ont pour fonction essentielle de répartir l’information véhiculée dans des rubriques répondant à un certain critère spécifié par l’expression introductrice » [ibid., 4]. Les trois axes de son étude sont :

1) L’établissement d’une typologie des cadres en fonction de la distribution opérée par des expressions initiatrices.

2) L’analyse des « principes gouvernant l’articulation et l’extension » de ces cadres. 3) L’étude des relations entre ces cadres.

Des expressions linguistiques ont donc pour fonction d’actualiser des cadres et de préciser les conditions pour que la ou les propositions qu’elles indexent puissent être dites ‘vraies’. Ces cadres peuvent intégrer plusieurs propositions qui entretiennent une même relation avec un critère spécifié par l’expression initiale89. Les introducteurs privilégiés sont des adverbiaux détachés du type en général pour un univers générique ou en Inde pour un univers spatial. Un introducteur donné « textuellement » spécifie un critère en vertu duquel seront valables ou non les opérations sémantiques effectuées sous sa portée. Dans l’exemple suivant,

(32) En France, les Français sont ingouvernables. [< Charolles]

x p

Charolles distingue deux opérations :

(i) L’assertion de p, avec le présupposé que p est vrai ; (ii) La relativisation rétroactive de p au critère x.

Dans un premier temps, p fait l’objet d’une assertion, puis, dans un deuxième temps, la vérité de p est restreinte aux situations où le critère discriminant est vérifié. Charolles [1997] a, comme Fauconnier, recours à des introducteurs implicites identifiés par des « inférences contextuelles reposant, pour une part essentielle, sur des schémas prototypiques d’actions activés par les différentes situations mentionnées dans le texte » [ibid., 24]. Dans les travaux ultérieurs de Charolles, il est montré que les cadres divisent le discours de manière très sporadique, les adverbiaux antéposés n’opérant pas un maillage serré tout au long d’un texte90.

Charolles [2003 : 11] a pour objectif de comprendre le « bénéfice fonctionnel », en termes de portée, des adverbiaux frontaux. Les si-P font partie de ces relations jusque-là méconnues qui participent à la cohésion discursive91. Il s’agit de voir quel est le potentiel cadratif de ces

89 Charolles s’inspire des travaux de Martin [1983] sur les univers de croyance pour ce qui concerne les

conditions de vérité qu’imposent les introducteurs, et de la théorie des espaces mentaux de Fauconnier pour la dimension cognitive du phénomène.

90 La notion (d’ouverture) de cadre ouvre des perspectives intéressantes. Elle pourrait, entre autres, fonctionner

comme une alternative à certains sous-types de la notion de topic / thème, qui de l’aveu commun est polysémique et regroupe des réalités fort diverses [Blasco, 1999 : 56-59 ; Grammaire de la Période, chap. VIII, à paraître]. La mise au point d’une typologie des opérations de discours permet au moins d’affiner ce qui est visé par le concept de topic.

91 Les taxinomies à disposition dans les travaux sur la cohérence du discours font la part belle aux relations

remontantes qui « tirent vers l’amont » (anaphores et connecteurs), alors que les cadratifs tirent « vers l’aval » [ibid., 2003 : 44-45].

adverbiaux extraprédicatifs qui, si l’on veut, « pertinent » vers la gauche et vers la droite. D’une part, en effet, le critère sémantique défini par l’ouvreur de cadre doit être justifié en amont, d’autre part, ce critère est exploité en aval, en cela qu’il indexe des propositions qui vont souvent bien au-delà de la phrase graphique qu’il introduit. Charolles démontre que le lien avec le contexte est souvent à inférer, le contenu de A n’étant pas forcément introduit explicitement dans le discours antérieur (ce qui conduit à nuancer l’hypothèse de Haiman). Par exemple, les membres A antéposés qui incorporent un SN indéfini empêchent tout rapport direct avec un référent entériné en mémoire :

(33) (a) Avec 135 millions de cas dans le monde en 1998, et 300 millions en 2025 selon les estimations de l’OMS, le diabète est de loin la plus répandue des maladies associées au sucre. Si des facteurs

génétiques entrent en jeu, c’est surtout notre mode de vie qui explique l’explosion du diabète dans

les pays occidentaux comme la France, dont au moins 2% de la population est déjà concernée. [s < Charolles]

(b) […] sa capacité à survivre dépend de la durée de l’occlusioni. Si celle-cii se prolonge, la

pénombre évolue lentement, parfois en plusieurs jours, vers une lésion totale. [ibid.]

En (33b), le lien avec le contexte en amont est évident, contrairement à (33a). Selon Charolles [ibid., 26], « l’énonciation d’une conditionnelle implique que le rédacteur et le lecteur s’accordent (provisoirement) pour sélectionner un état de choses (spécifié par la protase) sur un ensemble d’états de choses supposé accessible dans le contexte, et cela à la seule fin d’accéder à un nouvel état de choses qui est exprimé par l’apodose ». Sur une classe de situations, on sélectionne une situation singulière comme point de départ.

Charolles observe que moins les adverbiaux sont intégrés syntaxiquement, plus leur propension à remplir des fonctions discursives est grande. Pour les si-P, les fonctions discursives sont donc l’apanage des antéposées. Mais les si-P restent des constructions grammaticalement très contraintes et leur potentiel cadratif est moins étendu que pour d’autres types d’adverbiaux92. La difficulté est de déterminer le nombre de propositions indexées par un cadre surtout lorsqu’il y a carence de matériau linguistique à vocation de baliseur discursif.

Les études présentées en 3.2. et en 3.3. constituent un complément bienvenu à notre propos. Elles nous évitent ainsi de nous confiner à des segments courts et nous conduisent à mesurer comment les si-P s’insèrent dans un discours et comment elles participent à sa cohésion. Une analyse macro-syntaxique comme celle que l’on proposera pourrait constituer un préalable à une analyse de portions de discours plus étendues. Dans notre perspective, la nature du rapport syntaxique entre le « complément adverbial » détaché et l’énoncé-noyau est un élément central. La difficulté vient peut-être du fait que ces adverbiaux présentent des statuts grammaticaux très différents.

Un mot encore à propos du parcours qui nous a mené des espaces mentaux aux cadres de discours. Pour désigner le rôle des constituants en si, les métaphores abondent dans la littérature scientifique : mental model, espace mental, background, toile de fond, marcador

92 Dans le même esprit, l’étude de Charolles & Pachoud [2002] expose le jeu d’imbrication des cadres, en

rapport avec les si-P. Achard-Bayle [2006] propose une approche des conditionnelles – entre polysémie et polyphonie – en rapport étroit avec les cadres de discours.

del fondo discursivo, cadre…93 Pour la postposition des constituants en si, la dominante dans les travaux scientifiques est de parler d’afterthought (≅ epexégèse), mais les rendements de la postposition sont beaucoup plus diversifiés. On peut dégager deux fonctions générales pour le terme introduit par si : il ouvre un cadre et il marque sa relation avec Z94.

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