• Aucun résultat trouvé

L ES CARACTÉRISTIQUES SYNTAXIQUES DE NOS STRUCTURES

4.1. « Coordination » et hypothétiques non marquées

La coordination se définit traditionnellement par plusieurs critères qui, dans nos structures, sont malmenés.

1) La catégorie des termes conjoints. Il est généralement admis que les termes coordonnés doivent être de même rang morpho-syntaxique. L’exemple (18) est une construction bipartite – où le terme A est un SN et le terme Z une P assertive :

(18) <un médecin dublinois à ses patients> [One more greasy meal]A [and you’re gone]Z (≅ Un repas

bien gras de plus / encore un repas bien gras, et vous êtes mort.) [o < Rocq-Migette]

Rocq-Migette [2005 : 6] considère que « les deux conjoints ne sont pas de même catégorie », ce qui, traditionnellement, range ces structures hors du phénomène de la coordination136. En analysant A, dans le cadre de la macro-syntaxe, comme une clause nominative autonome (cf. Chapitre 6), de même rang que Z, la question de la catégorie des éléments conjoints – en l’occurrence des énonciations – ne se pose pas pour nous137.

2) L’effacement du sujet. Ce second critère est apporté par Piot [1988 : 9]. Dans la « coordonnée » Pierre dépense sans compter mais (est insolvable + n’a pas d’argent), l’effacement du sujet est licite, alors que dans la « subordonnée » *Pierre dépense sans compter, quoiqu’((est + soit) insolvable + n’a pas d’argent), l’effacement est impossible. Dès lors, la critériologie de Piot nous obligerait là aussi à sortir nos données du domaine de la coordination :

(19) (a) Un homme de cinquante ans rencontre une femme qui lui plaît et il rajeunit de vingt ans. C’est un réflexe imbécile, mais agréable en soi. [f, Déon]

(a’) ?Un homme de cinquante ans rencontre une femme qui lui plaît et ∅ rajeunit de vingt ans. [exemple modifié]

Dans (19), l’effacement du sujet – si on le juge licite – modifierait le sens (plutôt qu’hypothétique, la valeur serait celle d’une succession chronologique). La contrainte illustrée par (19a’) placerait la construction binaire en marge de la coordination, si on se fonde sur le

136 Il est pourtant question parfois de « coordination asymétrique » [Rebuschi, 2002 : 38] lorsque les deux termes

jonctés présentent des inadéquations morpho-syntaxiques. Cf. aussi la figure du zeugme syntaxique [Frei, 1929 : 229].

137 Pour les structures nominales, Allaire [1982 : 539] considère également qu’il n’y a pas de hiérarchie entre A

critère de Piot. Pour des exemples de ce genre, on considérera que et est un connecteur inter- énonciatif : il connecte des unités de même rang (critère 1 respecté), mais ne tolère pas l’effacement du sujet (critère 2 non respecté).

3) Les contraintes modales et temporelles. Ce dernier critère est avancé par Allaire [1996 : 17] pour renoncer à parler d’un et « coordonnant », cette fois-ci à propos d’exemples du genre : Qu’on parte (et) il pleure. En raison des « blocages modaux et positionnels V1 subj. V2 ind. », l’auteur associe plus volontiers cette relation de « solidarité » au phénomène de la subordination, même en présence de et. Allaire rapproche ces constructions des autres systèmes corrélatifs, décrits comme des « schèmes rectionnels ». Savelli [1993] et Rebuschi [2001 : 27] considèrent de même qu’il y a des indices de « co-dépendance » dans certaines classes de « coordonnées ». Si on se fonde sur 2) et 3), nos observables ne sont pas coordonnés. Cependant, le critère de la fixité positionnelle 4) impose la conclusion inverse :

4) La contrainte d’ordre. Il y a en effet le principe que si l’ordre des constituants est contraint, on est dans le domaine de la coordination [Culicover & Jackendoff, 1997 ; Rebuschi, 2001 : 39-40 ; Verstraete, 2004 : 822]. Nos constructions seraient dès lors placées à l’intérieur du champ de la « coordination », puisque les membres ne sont pas permutables.

Une fois de plus, les hypothétiques non marquées posent des problèmes pour l’analyse linguistique ; selon la façon dont sont hiérarchisés les critères de reconnaissance, ces « parataxes » sont coordonnées ou, au contraire, non coordonnées !

Le critère positionnel conduirait à faire une distinction très discutable entre si P, Q, subordonnée puisque permutable (Q, si P existe), et si P, alors Q, coordonnée puisque ?alors Q si P est mal formé ; ceci bien sûr si on veut conserver le alors dans la structure. Il est aisé de démontrer que le rapport de bijection entre le caractère subordonné – entendu ici au sens d’impliqué unilatéralement – et la mobilité des termes ne va pas de soi :

• dans [un mot de plus]A je m’en vais, A est {–mobile, –subordonné} ;

• pour [si tu as soif]A il y a de la bière, A est {+mobile, –subordonné} ;

• pour [s’il fait beau]A je travaillerai dehors, A est {+mobile, +subordonné}

• pour [s’il fait beau]A alors je travaillerai dehors, A est {–mobile, +subordonné}.

Le Chapitre 10 présentera cela en détail.

Il faut également préciser qu’il y a de nombreuses constructions asyndétiques dans notre corpus :

(20) (avec lui)S (on se relâche un peu)S

(on s= retrouve attachée à la cuisine avec un tablier)F (le macho

bouillonne en lui)F [o, 08.02.2004]

Traditionnellement considérées comme des juxtaposées – et souvent reversées dans le domaine de la coordination – elles seront placées, dans notre étude, sur le même plan que les structures binaires articulées par et. La connexion inter-énonciative peut être marquée ou non. Au total, on peut affirmer que ces constructions ont des propriétés définitoires distinctes de celles de la « coordination », du moins de la coordination de constituants de bas rang.

4.2. « Subordination » et hypothétiques non marquées

L’inversion de PCS est généralement considérée comme un indice syntaxique de subordination

ou énonciatif de non assertion, ce qui, chez certains auteurs revient au même :

(21) Croient-ils se jouer de moi, ils seront joués. [des Forêts, Le bavard]

Par exemple pour Le Bidois [1952 : 213] ou Allaire [1982], l’inversion marque nettement le caractère incomplet de l’énoncé. Pour nous, l’inversion de PCS ne sera pas envisagée comme

un indice décisif de rection.

Seule une partie des structures en si (cf. Chapitre 10, § 1. et 2.) et certaines hypothétiques inversées, par exemple celles au subjonctif imparfait (cf. Chapitre 9, § 3.), ont un caractère clairement subordonné. Mais la très grande majorité des énoncés binaires de notre corpus de structures ‘paratactiques’ n’entre ni dans le domaine de la subordination, ni dans un « schème corrélatif » [Allaire, 1982]138.

Pour nous, il va de soi que des constructions ‘paratactiques’ comme (18) à (21) ne procèdent pas de la subordination. On conclura des paragraphes 4.1. et 4.2. que la plupart de nos hypothétiques non marquées ne sont pas coordonnées et pas subordonnées (ni unilatéralement, ni bilatéralement).

4.3. Les types de relations syntaxiques pertinentes pour notre étude

Deux types de dépendance unilatérale seront distingués, l’adjonction et l’enchâssement :

(22) (a) <hommage à Brassens> (écoute euh j= m’emmerde)S [(si si si ça t= fait plaisir de venir

t’emmerder avec moi)S]

A [(tu viens)F]Z (voilà)N [r]

(b) (je dis toujours que [si la musique est sous-tendue par des paroles sensées)S]

A [(on garde

beaucoup plus dans le cœur)F]

Z (tout cela)N [o tv]

Une relation d’implication orientée (22a) est distincte du cas où un constituant occupe une place d’argument par rapport au verbe constructeur (22b). Dans (22a), comme le constituant A ne peut fonctionner de manière autonome, on dira qu’il est régi par le verbe viens. Le régi A est adjoint au régissant Z. Dans (22b), le complexe entier AZ entre à titre de constituant dans une P matrice : cf. Je le dis toujours / Je dis toujours cela. On parlera d’enchâssement pour ce cas particulier de rection. La nuance est importante parce qu’en filigrane, c’est la question délicate de la délimitation du phénomène de la rection qui est en jeu. Blanche- Benveniste et les chercheurs issus du GARS-DELIC restreignent le domaine de la rection aux

cas (22b)139. D’autres spécialistes considèrent qu’un rapport de dépendance comme (22a)

138 Dans la littérature scientifique, il est tout de même exceptionnel qu’un auteur parle de subordination

hiérarchisante (unilatérale) pour des structures nominales du type (18) par exemple, comme c’est le cas chez Berthonneau & Kleiber [2002 ; 2003] ; à noter que ces études ne portent pas sur la syntaxe de ces constructions, mais sur l’imparfait de l’indicatif. Choi-Jonin & Delais-Roussarie [2006 : 68] hésitent entre une « subordonnée détachée » et une « co-jonction » (cf. la terminologie de Rebuschi [2001 ; 2002]).

139 La rection chez Deulofeu [1988 ; 1989] et Debaisieux [2006] correspond à la proportionnalité avec une

catégorie lexicale. Blanche-Benveniste range dans la rection des formes de dépendance de type sélection lexicale. Par exemple, tel verbe admet une que-P, ou un régime oblique particulier, ce qui permet de l’opposer à un autre verbe qui présente un paradigme de compléments différent. Ces contraintes introduisent une dimension

appartient de plein droit à la rection (c’est le cas dans la macro-syntaxe « fribourgeoise », cf. supra, § 1.). Suivant ce que l’on met sous la notion, on aboutit à des solutions différentes.

• Dans le cadre de notre étude, on considérera qu’entrent dans la RECTION aussi bien :

a) L’adjonction, c’est-à-dire le cas de figure où un circonstant A est impliqué unilatéralement par un élément de Z. Le terme A est hors modalités. Il s’agit d’une relation binaire orientée entre un élément régissant et un élément régi. Exemples : (22a) ; les hypothétiques inversées au subjonctif (Chapitre 9, § 3.2.).

b) L’enchâssement, c’est-à-dire lorsqu’un complément régime occupe une position argumentale. Exemples : (22b) ; les interrogatives indirectes totales.

c) La solidarité, c’est-à-dire l’implication bilatérale, décrite par Allaire [1982]. Exemples : les cas de figure estampillés « subordination inverse » comme (15b), les « valences siamoises » [Savelli, 1993].

On préfère parler d’une variété de relations de dépendance syntaxique plutôt que d’un « continuum de subordination ». Diessel [2001 : 435-436] distingue les complement clauses qui occupent une position argumentale, des ad-sentential modifiers (adjunct) : « adverbial clauses modify an associated (main) clause ». On suivra la terminologie de Diessel chez qui la notion de modifieur vise une propriété sémantique. Il sera question d’adjoint pour la propriété syntaxique des adverbiaux, par exemple pour une si-P régie, comme (22a)140.

• NE relèvent PAS de la RECTION les phénomènes suivants :

d) La connexion : la structure s’organise autour d’une frontière prosodique et syntaxique marquée ou non par un connecteur. Exemples : (18)-(19a)-(20), cf. Chapitres 6, 7 et 8141.

e) L’incidence : les gloses méta-énonciatives à valeur d’incise. Exemples : les si-P macro-syntaxiques, comme si je peux me permettre, si j’ose dire.

f) Les pseudo-interrogatives cadratives : on réservera une catégorie à part pour les versions macro-syntaxiques de ces structures décrites au Chapitre 9. Exemple : (21). Les relations a) à c) appartiennent à la syntaxe de la clause. Les relations d) à f) prétendent cerner la pragma-syntaxe qui préside à la succession des énonciations au sein de la période ; ce sont ces relations macro-syntaxiques – surtout la connexion – qui seront exploitées pour décrire la très grande majorité des données collectées par nos soins.

Documents relatifs