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Les hypothétiques non marquées qui échappent au « schème corrélatif » d’Allaire

2. L ES TRAVAUX SUR LA SYNTAXE DES HYPOTHÉTIQUES

2.2. Les hypothétiques non marquées

2.2.2. Les hypothétiques non marquées qui échappent au « schème corrélatif » d’Allaire

« schème corrélatif », dans la mesure où ils ne présentent pas à la fois une marque « suspensive » et une marque « complétive » :

(8) (a) <à propos de sauts de falaises à skis> Tout est une question de vitesse, explique-t-il. Trop vite, l’impact se fait mal. Trop lentement, je n’arrive pas à garder l’équilibre en l’air. [p, La liberté, 04.12.2003]

(b) <une maman à son enfant qui s’apprête à jeter son ballon dans une rue en forte pente> (tu fais ça)S (j= vais pas récupérer la balle)F/ [o]

(c) (envie de partir)S (suivez l’agenda du week-end avec Ibis)F/ [o tv, publicité]

Les exemples regroupés sous (8) seraient versés dans le lot des relations « rhétoriques » par Allaire. Un des objectifs de notre étude sera d’intégrer à la description aussi bien les exemples syndétiques comme (6) que les exemples asyndétiques comme (8).

Mis à part le travail d’Allaire sur le français, on ne peut citer que peu d’études qui se penchent sur la syntaxe des hypothétiques non marquées. Les recherches de Culicover [1972] et de Culicover & Jackendoff [1997 ; 2005] sur l’anglais constituent néanmoins une exception notable. Ces travaux posent la question de la facture syntaxique de constructions comme One more can of beer and I’m leaving. Voyons cela un peu plus en détails. Culicover & Jackendoff [2005 : 473sq] analysent une série de constructions qui se singulariseraient par le fait qu’il y a absence de correspondance (mismatch) entre les structures syntaxique et conceptuelle (les auteurs reprennent le propos de leur article de 1997). Le titre du chapitre – Semantic Subordination despite Syntactic Coordination – et le label « left-subordinating and » (andLS) attribué au connecteur and révèlent déjà en partie la solution de Culicover &

Jackendoff. Il y aurait des interprétations subordonnées et des interprétations coordonnées de and. Selon Culicover & Jackendoff, le relateur and – dans des énoncés comme One more can of beer and I’m leaving – serait une conjonction de coordination ordinaire qui déclencherait une interprétation subordonnée non canonique. Dans :

(9) One more can of beer and I’m leaving (≅ Une bière de plus et je m’en vais) [< Culicover & Jackendoff]

le membre introductif fonctionnerait sémantiquement comme une P subordonnée en if. Autrement dit, one more can of beer serait une P « principale » en syntaxe, mais serait la « subordonnée » en sémantique. En structure de surface, il y aurait une coordination

asymétrique – l’ordre des membres ne peut pas être inversé sans modifier fondamentalement le sens – de forme NP and S. L’interprétation subordonnée est reconduite par les auteurs pour les constructions assertives comme you drink another can of beer qui exprimerait la même relation dans la structure conceptuelle que sa paraphrase en if :

(10) You drink another can of beer and I’m leaving. (= If you drink another can of beer, I’m leaving) [< Culicover & Jackendoff]

Le parallélisme présumé est explicite dans la glose en if que proposent Culicover & Jackendoff pour (10). Leur analyse nous suggère ces commentaires :

Toutes les si-P ne sont pas des complexes {P subordonnée + P principale}, en français comme en anglais. Culicover & Jackendoff négligent des différences syntaxiques (connexion rectionnelle VS non connexité) en prétextant une unité de sens. On retombe ainsi sur

l’isomorphisme que les auteurs battent en brèche ! Culicover & Jackendoff observent en effet un phénomène de mismatch, mais celui-ci se voit en quelque sorte nié par l’analyse (celle-ci finit par récupérer l’isomorphisme). En fondant un rapport de subordination sur une équivalence sémantique, des propriétés linguistiques essentielles sont négligées. La subordination syntaxique est en quelque sorte récupérée au niveau sémantique sur la base d’une paraphrase. La solution de Culicover & Jackendoff semble avoir pour objectif de ramener les faits de bordure au prototype. Une hypothétique non marquée serait simplement une structure en if coordonnée en surface. Comme chez Allaire, il s’agit de composer avec deux alternatives liées au cadre théorique intra-phrastique, à savoir le phénomène de subordination et celui de coordination. Reste qu’on peut se demander quel est le statut exact de cette « subordination sémantique ». Est-ce une subordination syntaxique non marquée ? Le fait de réduire les formes qui relèvent de la parataxe au prototype introduit par si – comme par hasard indiscutablement hypotaxique – révèle un réflexe réductionniste dommageable. On voit bien qu’il s’agit de préserver la subordination, au moins au niveau « profond », puisque sa conservation en surface n’est pas défendable.

Il est légitime de rapprocher certaines constructions au plan sémantique – pour notre propos des hypothétiques non marquées et des si-P – mais cela ne saurait fournir un argument à un autre niveau (le plan syntaxique, en l’occurrence).

En conclusion à ce Chapitre 2, on peut dire qu’il y a peu d’études syntaxiques disponibles dans la littérature scientifique sur les hypothétiques :

Sur les constructions en si, on peut citer Melis [1983], Haegeman [2003] et Köpcke & Panther [1989]. Selon nous, la faible quantité de travaux sur la syntaxe des tours en si P s’explique par le fait que l’association entre les hypothétiques en si et la subordination apparaît établie et hors discussion.

Sur les hypothétiques non marquées, Allaire [1982 ; 1996], Culicover [1972] et Culicover & Jackendoff [1997 ; 2005] font exception. Mais ces constructions n’ont en tout cas pas été confrontées aux outils de la macro-syntaxe. Récemment, les investigations de Béguelin & Corminboeuf [2005] sur les hypothétiques inversées ont amorcé une partie du travail. On l’a déjà mentionné, l’absence de grammaire pour ces configurations est liée à la marginalisation dont fait l’objet la parataxe. Si les tours corrélatifs étudiés par Allaire [1982 : 544] sont

négligés par la tradition c’est que, selon l’auteur, ils ne manifestent « ni de l’égalitarisme additif de la coordination, fondamentalement réversible et sérielle, ni – point très important pour le concept de subordination – l’inégalitarisme d’une contrainte de dépendance dont le rôle serait d’asservir l’un des termes à l’autre ». Deulofeu [1988a : 195] explique cette mise à l’écart par le fait que certains de ces énoncés présentent « à première vue une contradiction entre leur morphologie et leur syntaxe » et Culicover & Jackendoff y voient une contradiction entre leur syntaxe et leur sémantique. Quoi qu’il en soit, leur facture syntaxique est à la source de leur mise en retrait.

Notre recherche prétend démontrer que ces constructions non marquées ne sont pas des formes marginales. Non seulement elles figurent de plein droit dans le répertoire à disposition des sujets parlants pour viser certains effets conversationnels, mais elles peuvent recevoir une analyse syntaxique qui ne les rétrograde pas au rang d’exceptions curieuses. Lorsque ces constructions ont le statut d’objets d’analyse légitimes, elles sont généralement ramenées, de manière discutable, aux ‘conditionnelles’ en si (cf. Chapitre 5, § 1.). La rareté des études sur les hypothétiques non marquées en français justifie en soi que l’on mène des investigations dans cette direction et qu’on leur consacre une étude détaillée.

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