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Des structures très rarement analysées

4. E T LES AUTRES CONSTRUCTIONS HYPOTHÉTIQUES ?

4.2. Des structures très rarement analysées

Bien que répandues à travers les langues, les structures ‘paratactiques’ à interprétation hypothétique ne sont qu’exceptionnellement examinées de façon précise100. Par exemple, Montolío-Durán [1999 : 3696-3699] ne réserve que trois pages aux hypothétiques non marquées sur les quatre-vingts qu’elle consacre aux « conditionnelles » en espagnol dans la Gramática descriptiva de la lengua española. Elle distingue trois types de ce qu’elle appelle les « pseudo-conditionnelles » : avec y (et), avec o (ou), avec une interrogation totale :

(51) (a) Toca a mi hermano y te parto la cara (≅ Touche à mon frère et je te casse la figure) (b) Acábate la cena o no verás la tele (≅ Finis ton repas ou tu ne regarderas pas la télé)

(c) ¿Quieres beber algo ? Voy a buscártelo (≅ Tu veux boire quelque chose ? Je vais te le chercher)

Seuls des exemples d’injonctives et d’interrogatives sont présentés de prime abord. Elle signale ensuite un exemple où A est à l’indicatif (reproduit sous 48a) et un spécimen en {que + P au subjonctif} :

(52) Que vuelvan a llegar tarde y me oirán (≅ Qu’ils reviennent tard et ils vont m’entendre)

Etonnamment, l’auteur ne dit rien des structures nominales en espagnol, qui pourtant existent :

(53) (a) Un paso más y caigo en le zanja (≅ Un pas de plus et je tombais dans le fossé) [exemple construit]

(b) No hemos perdido el tren por un pelo. Un minuto más y perdemos el tren (≅ Nous avons manqué de rater le train. Une minute de plus et on ratait le train) [exemple construit]

(c) Una palabra más y me voy a casa (≅ Un mot de plus et je rentre à la maison) [exemple construit]

Les « contrefactuelles » comme (53a)-(b) se construisent avec un imparfait de l’indicatif en français ; en espagnol, ces structures incorporent une forme verbale au présent de l’indicatif, comme pour la contingente (53c)101. Les exemples du type (51) à (53) sont d’usage courant (colloquial) en espagnol et s’utilisent sans autre à l’oral. Par contre en français, les exemples

100 La thèse de Rocq-Migette [1997] sur « l’expression de l’hypothèse en anglais » réserve vingt pages au

traitement des hypothétiques non marquées. Sept pages sur quatre cent septante sont consacrées aux hypothétiques non marquées dans la somme de Declerck & Reed [2001] sur les conditionnelles en anglais.

101 La présence du connecteur y (et) semble être plus systématique en espagnol qu’en français. Mais en français,

de type (51) et (52) sont très majoritairement attestés à l’écrit, d’après ce que nous avons pu observer102. Les constructions rencontrées en français et en espagnol sont très similaires, mais leur distribution en fonction des modes de production (oral VS écrit) semble varier

considérablement103.

Il convient de signaler deux études consacrées entièrement aux hypothétiques non marquées en anglais, celle de Davies et celle de Thumm. L’étude de Davies [1979] traite de structures hypothétiques à l’impératif. L’auteur essaie d’établir la liste des restrictions qui affectent les conditional imperatives en anglais [ibid., 1039-1040]. L’interprétation directive est impossible en (54a) mais possible en (54b) :

(54) (a) Make one mistake and there’ll be trouble. (≅ Fais une erreur et il va y avoir des problèmes) [< Davies]

(b) Sit down and I’ll make you some coffee. (≅ Assieds-toi et je vais te faire un café) [ibid.]

L’interprétation directive peut être invalidée dans quatre cas de figure, selon l’auteur : 1) Lorsque l’impératif ne s’adresse pas directement à l’énonciataire.

2) Lorsque la référence est au passé (Give him a smile and he was your friend for life)104. 3) Lorsque l’événement ou l’état auquel réfère le premier membre échappe au contrôle

de l’énonciataire (cf 54a ; Fall ill and you’ll miss the concert Tombe malade et tu manqueras le concert).

4) Lorsque le quantifieur any est présent dans la première clause. Seuls les critères 1) et 3) sont pertinents pour le français.

Davies montre ensuite qu’un verbe statif ne bloque pas forcément l’interprétation directive (Love thy neighbour as thyself Aime ton voisin comme toi-même), même si c’est le plus souvent le cas (?Receive a present. ?Reçois un cadeau). Même remarque pour le caractère générique du sujet qui n’intervient pas de façon décisive. L’auteur montre que plusieurs facteurs favorisent une interprétation hypothétique, mais que l’important est que le verbe ne réfère pas à un instant spécifique de la réalité, à un événement ou à un état présent. Cela différencie clairement ces constructions des si-P, et cela rend suspectes les tentatives d’assimilation. Par ailleurs, cela expliquerait pourquoi toutes les si-P ne possèdent pas une paraphrase impérative [ibid., 1040].

L’étude de Thumm [2000] sur des structures « conditionnelles » non marquées en anglais oral vise à mesurer l’impact du contexte discursif précédant ou suivant dans l’interprétation de la configuration ‘paratactique’. Le corpus est composé de 159 exemples tirés d’interactions spontanées en anglais des Etats-Unis et de Grande-Bretagne. La moitié des structures

102 Il convient de rester prudent avec cette observation tendancielle, dans la mesure où nous n’avons pas mené

d’investigations portant sur la distribution en fonction des genres discursifs, dimension qui pourrait être éclairante pour notre problématique.

103 L’espagnol comporte toutefois une structure d’usage très formel qui n’a pas d’équivalent en français ; il faut

traduire l’infinitive par une si-P : De desear más información, nuesto número consta en la tarjeta (≅ Si vous

voulez plus d’information, notre numéro figure sur la carte) [< Montolío-Durán].

104 Une traduction littérale est impossible en français ; il faut utiliser une forme verbale à l’indicatif : Tu lui

seulement comporte un relateur or ou and entre A et Z. Les données orales contredisent des postulats présents dans les études sur l’anglais, à savoir le fait qu’il y aurait une majorité d’impératives dans les hypothétiques non marquées et qu’on observerait une quasi exclusivité de la deuxième personne du singulier générique : dans le corpus de Thumm, il n’y a que 20% d’injonctives, 25% des structures ne se construisent pas avec la deuxième personne du singulier et 10% des occurrences de you ne sont pas génériques.

Selon l’auteur, ces constructions non marquées sont reconnues et interprétées de manière pertinente par les interactants parce qu’elle sont « contextualisées » (dans 90% des cas). Le cadrage contextuel – dans le tour de parole précédent ou dans le début du tour du locuteur – peut se faire par la présence d’une if-clause explicite (framing), mais aussi par l’intermédiaire d’indices lexicaux (contextualization cues) qui signalent l’installation d’un « monde possible » : verbes du genre imagine, suppose ou auxiliaires modaux (can, could, may, think) par exemple. La plupart du temps, ces indices sont cumulés. La contextualisation serait également rétrospective, avec des signaux en aval de l’hypothétique non marquée.

L’auteur étudie ensuite les indices de « conditionnalité » au sein même de la structure en soulignant essentiellement l’influence des temps verbaux, des opérateurs modaux et de la particule résomptive then. Thumm réserve enfin plusieurs paragraphes aux questions intonatives susceptibles de dériver en « protase », en se référant aux travaux de Bolinger sur l’intonation. L’intonation ouvrante serait interprétée iconiquement comme correspondant à la non assertion.

Les exemples de Thumm montrent que le « monde possible » installé par les hypothétiques non marquées est presque toujours évoqué dans le contexte immédiat par une gamme de signaux qui, selon l’auteur, construisent un contexte qui favorise l’émergence de la signification. A la lecture du travail de Thumm, on peut néanmoins se demander dans quelle mesure ces indices – qui ne sont pas spécialisés pour marquer la « conditionalité » – « index conditionality », « signal the evocation of the possible world », « open up an alternative space ».

On terminera ce paragraphe 4.2. par une petite revue d’effectif des études sur les hypothétiques non marquées, qu’elles portent sur le plan syntaxique ou sémantico- pragmatique :

On a déjà mentionné les recherches de Culicover [1972] et de Culicover & Jackendoff [1997 ; 2005], principalement sur les structures nominales, qui donnent la primauté à l’aspect syntaxique. Sur le français, il faut signaler aussi les travaux de Berthonneau & Kleiber [2002 ; 2003 ; 2006] consacrés aux temps verbaux dans les structures nominales contrefactuelles et la recherche de Corminboeuf [à paraître, c]. Notre Chapitre 6 sera consacré à ces configurations. Les configurations au subjonctif en français (ex. 55) étudiées par Allaire [1996] et Corminboeuf [à paraître, b] seront aussi analysées dans le Chapitre 6.

On a évoqué l’étude typologique de Haiman [1983] et celle de Thumm [2000] sur l’anglais oral, qui se concentrent essentiellement sur des structures formées de deux assertions ; il faut également signaler l’article de Trévise & Constant [2007] sur l’anglais écrit. Ces structures bi- assertives seront analysées au Chapitre 7. Sur le français, on signalera les recherches de

Borillo [2001] sur le conditionnel, de Choi-Jonin [2005] et de Choi-Jonin & Delais-Roussarie [2006] sur l’interface syntaxe –prosodie.

Les études sur les « pseudo-impératives » en sémantique formelle anglaise de Clark [1993], Schwager [2004] et Franke [2005] se concentrent sur les aspects logico-sémantiques. Les études de Davies [1979, cf. supra] et de Takahashi [2006], même si elles se fondent sur des exemples fabriqués, sont plus proches de nos partis pris méthodologiques. Une partie du travail de Fruyt [à paraître] sur le latin porte sur les diptyques hypothétiques préfacés par une assertion (Chapitre 7) ou un impératif. Sur le français, on ne peut citer que les pages de Cornulier [1985a : 140sq] qui analyse ces structures comme présentant un « décrochage énonciatif ». On exploitera les résultats de ces études dans notre Chapitre 8.

Au Chapitre 9, on se fondera sur les travaux de Chuquet [1993], Méry [1994] et Leuschner [1998] pour analyser les hypothétiques qui comportent une interrogative comme terme introductif. Sur le français, l’article de Béguelin & Corminboeuf [2005] a amorcé une partie du travail descriptif.

L’étude de Rocq-Migette [2005] traite de plusieurs types de parataxes en anglais et en français ; dans la Section II, on reprendra certaines de ses analyses ayant trait à l’opposition entre les constructions avec et VS avec ou. Le travail de Culicover [à paraître] sur l’anglais

traite également de parataxes diverses. Allaire [1982] dans certaines parties de sa thèse, Deulofeu [1989] et Borillo [à paraître] traitent de plusieurs classes d’hypothétiques non marquées ; on examinera leurs travaux au cours de notre étude.

A notre connaissance, les travaux mentionnés ci-dessus sont les seuls qui soient centrés sur les hypothétiques non marquées.

SECTION

II :

PROBLÉMATIQUE ET OPTIONS

MÉTHODOLOGIQUES

C

HAPITRE

4 :L

ES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES AU NIVEAU SYNTAXIQUE

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