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L ES CONSTRUCTIONS À DÉCRIRE ET LES CARACTÉRISTIQUES DU CORPUS

1.1. Les structures binaires analysées sont composées d’une partie A qui comporte un verbe au mode impératif. Ce sont des routines périodiques {ACTION + CONTINUATION}, comme dans

les Chapitres 6 et 7 256. L’action est une jussion – simulée, on le verra – et sa continuation réfère à la conséquence de cette action. Cf. :

(1) (a) Les racines profondes de notre vie intellectuelle plongent dans la terre française : [coupez les racines]A [et la plante se desséchera]Z. [de Reynold, La Suisse romande]

(b) (touche-moi encore p=tit con)S (j= te casse la tête)F [o tv, 04.02.2003]

(c) Dégagez ou je vous envoie dans une autre galaxie [tv, pub]

Dans (1a), la période qui préface la construction hypothétique établit une situation (l’existence des racines est présupposée). Le terme A évoque une modification (coupez les racines) de cette situation, et Z la conséquence qui s’ensuit257. Pour différentes raisons, l’injonction est non exécutable pour l’allocutaire, ce qui conduit à une sur-interprétation. Dans (1b), l’issue (je te casse la tête) rend l’« ordre » non sincère ; en ouvrant un monde fictif où l’action offensive (touche-moi encore) crée une réaction disproportionnée et indésirable pour

256 Certains exemples écrits AZ, comme l’amorce du fragment de Voltaire mis en exergue, sont réalisés en deux

phrases graphiques. La construction marque au moyen d’une ponctuation forte l’absence de rapport syntaxique entre la première et la seconde énonciation.

257 Le fait que le contenu de A s’interprète comme fictif est favorisé par une des conditions de réussite de l’ordre,

à savoir qu’il doit porter sur des actions futures. On ne pourrait d’ailleurs pas avoir des versions (non hypothétiques) au passé simple comme avec des structures nominales : un pas de plus et il tomba dans le fossé

VS *coupez les racines et la plante se dessécha. Cette orientation vers le futur explique aussi pourquoi ces

impératives, comme les {que + P au subjonctif} (Chapitre 6, § 2), ne peuvent pas mener à des lectures « contrefactuelles ».

l’allocutaire, celui-ci est amené à se réfugier dans un monde alternatif (ne pas toucher). Dans les constructions comme (1c), le connecteur ou alterne avec sinon.

1.2. Ces routines formées de deux énonciations sont proches des structures nominales du Chapitre 6258 et des ‘assertives’ du Chapitre 7 :

(2) (a) Une minute de plus, et je lui brisais les os. [f, Beauvoir] cf. Chapitre 6

(b) Tu restes une minute de plus et je te brise les os. [ex. construit] cf. Chapitre 7

(c) Reste une minute de plus et je rends mon malheur public. [f, Groult & Groult] cf. Chapitre 8

Comme dans (2a) et (2b), les deux membres de (2c) ne sont pas permutables. Certes on peut imaginer une construction comme Donne-lui un peu de temps (et) il acceptera ta proposition réversible en version ZA Il acceptera ta proposition, donne-lui un peu de temps. Mais le sémantisme de la seconde configuration est remanié : on sort du domaine de l’hypothèse avec cette période binaire composée d’une assertion, suivie d’un conseil à l’impératif. Trévise & Constant [2007] présentent des exemples de structure ZA tirés de romans policiers américains. Considérés comme non standards, ils semblent pourtant mieux acceptés en anglais qu’en français :

(3) (a) Lock the apartment, man, you go out (≅ ?Ferme l’appartement, mon gars, tu sors). [Pelecanos < Trévise & Constant]

(b) He could have that any old day, he wanted it. (≅ ?Il pouvait avoir cela à n’importe quel moment, il le voulait) [ibid.]

L’exemple (3a) relèverait de ce chapitre et (3b) de notre Chapitre 7. En français, de telles constructions nous paraissent difficilement attestables.

1.3. Les prédicats verbaux les plus courants dans le membre A à l’impératif sont :

• Le type ajouter qui marque une quantité généralement appréciée comme moindre (+ saupoudrer).

• Le type essayer qui dénote l’amorce d’une action (+ tenter, toucher).

• Les verbes faire, mettre et demander (+ poser une question, parler, affirmer, dire, prononcer).

• Les verbes dont le présupposé permet de mesurer une modification notoire (ôter, cesser, arracher, fermer, entrer, sortir, bouger).

• Le type prendre qui spécifie un micro-domaine cognitif.

Dans le membre Z, le résultatif obtenir est le mieux représenté ; le verbe voir est également courant. Le sémantisme des verbes utilisés dans ces structures constitue un indice pour l’élaboration de l’inférence et participe probablement aux effets de routinisation de cette construction ; mais l’analyse reste à faire.

1.4. Notre corpus contient 40% d’exemples avec et, et 60% sans le joncteur d’énonciations. Les études sur l’anglais parlent de « and-constructions », mais pour le français (écrit du moins), une telle étiquette est problématique, puisque plus de la moitié des exemples réunis n’ont pas de et au début du membre Z.

258 Aux N qui signifient une portion de temps (seconde, minute) dans les routines nominales du Chapitre 6

correspond un prédicat comme rester dans les routines à l’impératif du Chapitre 8. Aux N qui fonctionnent sur l’axe dimensionnel (pas, centimètre) correspond un verbe comme faire. Aux N qui désignent une quantité de parole (mot, phrase) correspond un verbe comme dire.

L’omission de and semble être assez rare en anglais, que ce soit pour les constructions étudiées aux Chapitres 6, 7 ou 8. Bolinger [1977 : 158sq] signale pourtant, exemples à l’appui, que le procédé est possible. Par ailleurs, les constructions asyndétiques sont bien attestées dans le corpus d’oral spontané de Thumm [2000]. Trévise & Constant [2007] présentent également une série d’exemples sans and tirés de récits de fiction américains ; ces constructions apparaissent dans des dialogues qui prétendent contrefaire des traits d’oralité. Dancygier & Sweetser [2006 : 255] mentionnent des formulations parémiques comme Ask a stupid question, get a stupid answer (≅ Pose une question stupide, tu recevras une réponse stupide) et Declerck & Reed [2001 : 408] donnent des exemples de bi-assertives comme You don’t study, you fail (≅ Tu n’étudies pas, tu échoues).

Cette observation rend problématique des étiquettes telles que « and-constructions » ou « or- constructions » que l’on retrouve dans de nombreux travaux sur les hypothétiques non marquées de l’anglais pour désigner des exemples du genre de (2a) à (2c) (chez Culicover & Jackendoff [1997] et Dancygier & Sweetser [2006], par exemple).

1.5. Les exemples oraux sont pour ainsi dire absents de notre corpus : (1b) est une des seules attestations collectées. Les autres exemples oraux dont nous disposons incorporent le relateur et, contrairement à (1b)259. La distribution écrit-oral est donc inversée par rapport aux assertives à l’indicatif ou au conditionnel du Chapitre 7, où les données orales étaient très largement majoritaires.

1.6. La forme verbale à l’impératif est généralement à la deuxième personne du singulier ou du pluriel. Les faits à la première personne du pluriel (cf. 24a, infra) représentent moins de 5% des exemples collectés.

1.7. Les temps verbaux de la partie Z ont, dans notre corpus, approximativement la distribution suivante : 70% de futur, 30% de présent de l’indicatif260 :

(4) (a) Si vous ne connaissez pas le violet, imaginez une patate brune dans des eaux de 15 mètres de profondeur ! Cette pomme de terre maritime est en fait un animal accroché au rocher et communiquant avec l’eau par un tube qui lui sert de cornet sensible. Touchez-le et le violet se

rétracte jusqu’à devenir une pierre qui fait corps avec le roc. [guide touristique]

(b) Lisez les textes de Noam Chomsky : vous n’y trouverez aucune conscience de l’évolution du monde. [Todd, Après l’empire]

Au présent de l’indicatif, l’interprétation temporelle-itérative est fortement probable, comme en (4a). L’itération peut être repoussée dans le futur, moyennant la présence d’un indicateur d’itération (se rétractera à chaque fois). Le futur de l’indicatif dans Z (4b) force l’interprétation contingente.

1.8. Le terme A de ces structures est réputé exclure la négation [de Cornulier, 1985a : 151]. Des exemples comme (5) imposent de nuancer le propos, même si ce cas de figure est exceptionnel dans notre corpus :

259 L’essentiel des données orales réunies provient de séries tv américaines ou de films en version originale

anglaise, diffusés en traduction française sur les chaînes suisses et françaises. Ce type de structure est plus courant en anglais oral qu’en français, ce qui porte à croire que l’augmentation du taux des « pseudo- impératives » hypothétiques dans ces productions cinématographiques est un effet de la traduction.

(5) L’université d’Alsace est entre les mains des luthériens ; ils occupent une partie des charges municipales : jamais la moindre querelle religieuse n’a dérangé le repos de cette province depuis qu’elle appartient à nos rois. Pourquoi ? C’est qu’on n’y a persécuté personne. Ne cherchez point à gêner les cœurs, et tous les cœurs seront à vous. [Voltaire, Traité sur la tolérance < Salvan]

La rareté de la négation est probablement due au fait que sa présence sélectionne plus volontiers la valeur directive de l’impératif, plutôt que sa valeur hypothétique. En revanche, la négation est plus courante dans les structures articulées par le connecteur ou :

(6) N’essaie pas de te sauver, ou je te fais coucher en prison. [< Borillo]

Mais là également, c’est la valeur directive de l’impératif qui est visée.

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