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Paragraphe I. Une séparation progressivement gagnée

B. Le long processus de rattachement à l’AFSSA de l’évaluation phytopharmaceutique

II. Vers une évaluation strictement scientifique

85. L’AFSSA en charge de l’évaluation des risques alimentaires liés aux pesticides. A la suite des crises sanitaires du sang contaminé et de l’ESB qui ont notamment

révélé le manque d’indépendance de l’expertise421, la loi n° 98-535, dite loi de veille sanitaire, est adoptée. Elle crée plusieurs agences sanitaires françaises et modifie les structures existantes. Elle prévoit en particulier le rattachement de l’évaluation des risques alimentaires liés aux produits phytosanitaires et antiparasitaires à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments en ces termes : « Dans le but d’assurer la protection de la santé humaine,

l’agence a pour mission de contribuer à assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l’alimentation, depuis la production des matières premières jusqu’à la distribution au consommateur final. Elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter

418 Ibid. 419 Ibid.

420 Ibid., Article 4.

421 HERMITTE (M.-A.), « La fondation juridique d’une société des sciences et des techniques par les crises et

les risques », in Pour un droit commun de l’environnement – Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, Paris, 2007, p. 167 ; DAB (W.) et SALOMON (D.), op. cit., p. 97-98.

les aliments destinés à l’homme ou aux animaux, y compris ceux pouvant provenir […] des produits phytosanitaires, […] des produits antiparasitaires à usage agricole et assimilés »422.

86. La création d’une structure scientifique mixte. Dans la mesure où

l’évaluation des limites maximales de résidus de pesticides présents sur et dans les aliments constitue une partie de la mission d’évaluation des produits phytopharmaceutiques, cette loi aurait pu entraîner le rattachement à l’AFSSA de l’ensemble de la mission d’évaluation de ces produits. Ce n’est pourtant pas la voie qui a immédiatement été empruntée.

Cependant, consécutivement à l’adoption de la loi n° 98-535, il est à noter la présence, parmi les membres de la commission d’étude de la toxicité, des experts appartenant à une structure scientifique mixte créée conjointement par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et le ministère chargé de l’agriculture423. La création d’une telle structure peut sans doute être interprétée comme illustrant la volonté de renforcer le caractère scientifique de l’évaluation des risques. En réalité, elle répond avant tout à la surcharge de travail occasionnée par l’évaluation de l’ensemble des substances actives contenues dans des pesticides mis sur le marché avant l’entrée en vigueur de la directive 91/414/CEE424, comme le prévoit l’article 8, paragraphe 2 de cette directive425. De plus, cette structure reste, pour partie au moins, rattachée au ministère chargé de l’agriculture, le décideur en matière d’autorisation des pesticides.

87. Une évaluation scientifique pourtant critiquée. Il faut attendre l’arrêté du 27

juillet 2001 pour que les membres de la commission d’étude de la toxicité soient exclusivement des experts scientifiques. Les représentants des ministères sont alors relégués au statut de membres « à titre consultatif », tandis que les représentants des professionnels se trouvent totalement exclus de cette commission426.

Pourtant, la qualité de l’évaluation des risques rendue par cette commission d’étude de la

422 Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité

sanitaire des produits destinés à l’homme, JORF n° 151 du 2 juillet 1998, article 9.

423 Cf. Arrêté du 21 juillet 1998 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission d’étude de la

toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture, JORF du 4 août 1998.

424 SAUNIER (C.), Rapport sur l’application de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de

la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme, Office parlementaire

d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 2108, Sénat n° 185, Février 2005, p. 100-101.

425 Cf. précédemment, paragraphe n° 30.

426 Arrêté du 27 juillet 2001 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission d’étude de la toxicité

des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture, JORF du 7 septembre 2001.

toxicité, telle que constituée à l’issue de l’arrêté du 27 juillet 2001, fait l’objet de critiques de la part du Conseil d’Etat. Ce dernier relève en effet que l’avis sur les risques liés au pesticide Gaucho, rendu par la commission d’étude de la toxicité le 18 décembre 2002, n’est pas conforme à la réglementation427. L’arrêté du 6 septembre 1994, qui transpose la directive 91/414/CEE, impose en effet d’apprécier la possibilité d’exposition des abeilles communes au produit phytopharmaceutique et, si cette possibilité est réelle, d’évaluer l’ampleur du risque à court et long terme auquel les abeilles communes pourraient être exposées428. Or, la commission d’étude de la toxicité n’a pas réalisé une telle évaluation des risques pour les abeilles exposées au Gaucho. L’autorisation du Gaucho ayant été délivrée par le ministère chargé de l’agriculture sur la base de cette évaluation des risques, jugée non conforme, le Conseil d’Etat sanctionne la décision de ce ministère de refuser le réexamen de la demande d’autorisation du pesticide en cause429. Outre les justifications réglementaires fournies par le ministère, d’ailleurs rejetées par le Conseil d’Etat, la société Bayer Cropscience, détentrice de l’autorisation du Gaucho, affirme alors que les méthodes d’évaluation des risques pour les abeilles sont régulièrement écartées par l’ensemble de la communauté scientifique européenne en raison de leur inadaptation à la pratique430. Ces raisons pratiques avancées par la firme phytopharmaceutique ont donc peut-être suffi au ministère pour qu’il n’exige pas l’évaluation des risques pour les abeilles, pourtant requise par la réglementation. En outre, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) dénonce les pressions subies par de nombreux chercheurs travaillant sur l’évaluation des risques pour les abeilles liés à une exposition aux pesticides, pressions venant notamment des services du ministère chargé de l’agriculture en charge des autorisations de pesticides431. Il en ressort que ce manquement aux règles de l’évaluation des risques est sans doute lié à la « proximité

institutionnelle »432 de la commission d’étude de la toxicité avec le ministère chargé de l’agriculture, ou tout du moins il est permis de le suspecter.

Face à la polémique suscitée par le rôle joué par certains pesticides dans l’augmentation de la mortalité des abeilles, le ministère chargé de l’agriculture confie donc à un Comité

427 Conseil d’Etat, Requête n° 254637 présentée par l’Union nationale de l’apiculture française, 31 mars 2004. 428 Arrêté du 6 septembre 1994 portant application du décret n° 94-359 du 5 mai 1994 relatif au contrôle des

produits phytopharmaceutiques, JORF n° 297 du 23 décembre 1994, tel que modifié par l’arrêté du 27 mai 1998 modifiant l’arrêté du 6 septembre 1994 portant application du décret n° 94-359 du 5 mai 1994 relatif au contrôle des produits phytopharmaceutiques, JORF n° 137 du 16 juin 1998, Annexe III, B, point 2.5.2.3.

429 Conseil d’Etat, Requête n° 254637 présentée par l’Union nationale de l’apiculture française, 31 mars 2004. 430 Conseil d’Etat, Requête n° 254637 présentée par l’Union nationale de l’apiculture française, 31 mars 2004. 431 SAUNIER (C.), op. cit., p. 103.

432 BILLET (P.), « La consolidation des contrôles sur les produits phytosanitaires à usage agricole », Revue de Droit rural, n° 340, Février 2006, Etude 13, n° 4.

scientifique et technique de l’étude multifactorielle des troubles des abeilles la mission de faire la lumière sur le sujet. Ce comité conclut en 2003, donc postérieurement à l’avis litigieux rendu par la commission d’étude de la toxicité, que « l’enrobage de semences de

tournesol Gaucho conduit à un risque significatif pour les abeilles de différents âges », et que

l’enrobage Gaucho de semences de maïs s’avère « préoccupant dans le cadre de la

consommation de pollen par les nourrices, ce qui pourrait entraîner une mortalité accrue de celles-ci et être un des éléments de l’explication de l’affaiblissement des populations d’abeilles encore observé malgré l’interdiction du Gaucho sur tournesol »433. Contrairement à ce qu’affirmait la société Bayer au sujet de l’impossibilité pratique de réaliser une évaluation des risques pour les abeilles selon les méthodes prescrites, ce comité scientifique a donc bien réussi à conduire une telle évaluation. Au surplus, cette évaluation montre que le Gaucho présente des risques pour les abeilles.

88. La mise en place d’un recrutement transparent. Une autre mesure vient

renforcer l’indépendance de la commission d’étude de la toxicité. Un appel à candidature est pour la première fois officiellement mis en place en 2004, afin de renouveler les experts de cette commission434. La sélection des candidatures reste toutefois rattachée, au moins en partie, au ministère chargé de l’agriculture puisqu’elle est réalisée « par un jury composé

d’experts et de représentants des structures évaluatrice et gestionnaire des risques liés à l’utilisation des intrants en agriculture »435. La formule a de quoi étonner puisqu’elle montre que le gestionnaire des risques distingue bien les étapes d’évaluation et de gestion des risques. Pour autant, ce gestionnaire continue de se mêler de l’évaluation des risques, en intervenant en l’occurrence sur le choix de ses experts.

89. Une véritable évaluation des risques environnementaux. En 2005, la

commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture change de nom et devient la commission d’étude de la toxicité des produits phytopharmaceutiques à usage agricole et des

433 Comité scientifique et technique de l’étude multifactorielle des troubles des abeilles, Imidaclopride utilisé en enrobage de semences (Gaucho) et troubles des abeilles, Rapport final, 18 septembre 2003, p. 101.

434 Avis aux experts scientifiques en vue du renouvellement de la commission d’étude de la toxicité des produits

antiparasitaires à usage agricole, des matières fertilisantes et des supports de culture, JORF n° 37 du 13 février 2004.

produits assimilés, des matières fertilisantes et des supports de culture436. Cette commission a plus particulièrement pour mission « d’examiner les risques de la toxicité directe ou indirecte

à l’égard de l’homme et des animaux, ainsi que les dangers que peut présenter la dispersion dans l’environnement » des produits phytopharmaceutiques, matières fertilisantes et supports

de culture, et de donner « compte tenu de ces risques, son avis sur les conditions d’emploi

desdits produits »437. En conséquence, la prise en compte des effets nocifs pour l’environnement fait l’objet d’une véritable évaluation, confiée, qui plus est, à la commission d’étude de la toxicité, en charge de l’évaluation des risques, alors qu’elle incombait jusque-là à l’autre commission.

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