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Paragraphe II. Des conflits d’intérêts persistants

B. Des mesures correctives insuffisantes

I. Les premières mesures correctives

124. Si le système de prévention des conflits d’intérêts est amélioré, au niveau de

l’EFSA, par des mesures prises par l’autorité elle-même (a), en France, c’est la loi n° 2011- 2012 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé qui poursuit cet objectif (b).

567 NOIVILLE (C.), Du bon gouvernement des risques, op. cit., p. 67. 568 Ibid., p. 67.

a. Le renforcement du système de prévention des conflits d’intérêts par l’EFSA

125. Pour justifier, auprès de la Cour des comptes européenne, sa politique de

prévention des conflits d’intérêts appliquée jusqu’alors, l’EFSA explique qu’elle ciblait les experts en charge de l’évaluation des risques. L’autorité considère ainsi, à juste titre, les experts comme la catégorie de membres présentant « le risque le plus élevé »569.

Cependant, les critiques concernent également la politique de prévention appliquée aux experts. L’EFSA a donc été contrainte de renforcer sa politique de prévention, en publiant notamment un document sur la mise en œuvre de sa politique de prévention des conflits d’intérêts570. Il en découle que l’ensemble des définitions et principes de la politique de l’EFSA en matière d’indépendance s’applique, désormais, à tous les membres de l’EFSA, de même qu’aux tiers liés avec l’EFSA571. Les critères d’évaluation et de gestion des conflits d’intérêts déclarés par les membres sont précisés dans le détail572. Une procédure de contrôle

d’un échantillonnage aléatoire de déclarations d’intérêts a également été instituée, afin de vérifier régulièrement le contenu de ces déclarations573. Concernant enfin le « pantouflage », l’EFSA impose aux experts anciennement employés par l’industrie un délai de deux ans avant de pouvoir devenir membre d’un groupe scientifique de l’EFSA574.

b. Les mesures correctives mises en place en France par la loi n° 2011-2012

126. Un système de déclarations d’intérêts renforcé. Suite au scandale français

du Médiator, les dispositions relatives à la prévention des conflits d’intérêts ont encore été renforcées dans les domaines de la santé publique et de la sécurité sanitaire, et harmonisées

569 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE, op. cit., p. 82.

570 Autorité européenne de sécurité des aliments, Decision of the executive director of the European food safety authority implementing EFSA’s policy on independence and scientific decision making processes regarding declarations of interests, 21 février 2012, 54p.

571 Autorité européenne de sécurité des aliments, « L’EFSA publie les modalités de mise en œuvre de sa

politique sur l’indépendance », Communiqué de presse, 5 mars 2012, Article disponible à l’adresse

http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/120305.htm, page consultée le 20 octobre 2013.

572 Autorité européenne de sécurité des aliments, Decision of the executive director of the European food safety authority implementing EFSA’s policy on indepdendence and scientific decision making processes regarding declarations of interests, 21 février 2012, Annexes IV et V.

573 Autorité européenne de sécurité des aliments, « L’EFSA publie les modalités de mise en œuvre de sa

politique sur l’indépendance », Communiqué de presse, 5 mars 2012, Article disponible à l’adresse

http://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/120305.htm, page consultée le 20 octobre 2013.

entre ces différents domaines575. L’harmonisation concerne aussi bien les agences sanitaires que le gouvernement, la disparité des dispositions relatives aux déclarations d’intérêts entre les différentes institutions françaises ayant été soulignée dans un rapport de la commission de prévention des conflits d’intérêts576. Les déclarants concernés, dont font partie les membres de l’ANSES, sont désormais tenus de déclarer, en plus des liens actuels, les liens passés en remontant jusqu’à cinq années avant la prise de fonctions577. Un document type de déclaration publique d’intérêt est fixé par arrêté ministériel578. La véracité des informations contenues dans ces déclarations d’intérêts doit enfin être contrôlée par une commission d’éthique579. Au surplus, une charte de l’expertise sanitaire précise désormais « la notion de lien d’intérêts,

les cas de conflit d’intérêts, les modalités de gestion d’éventuels conflits d’intérêts et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d’intérêts »580. Approuvée par le décret n° 2013-413581, cette charte détaille également les modalités de recrutement des experts582.

127. De nouvelles sanctions pénales. La loi n° 2011-2012 prévoit en outre des

sanctions pénales spécifiques. Sont ainsi passibles de 30 000 euros d’amende les membres de l’ANSES qui omettent sciemment d’établir ou d’actualiser une déclaration d’intérêts, ou les membres qui fournissent « une information mensongère qui porte atteinte à la sincérité de la

déclaration »583. Ce faisant, la loi n° 2011-2012 comble une lacune, dans la mesure où seul le conflit effectif d’intérêts était pour l’instant pénalement sanctionné.

Il n’en reste pas moins que pour sanctionner le défaut de déclaration d’intérêts, encore faut-il être en mesure de le détecter. Si l’absence de toute déclaration d’intérêts est évidente, il n’en est pas de même d’une déclaration incomplète ou faussée. Le Conseil d’Etat considère de plus que « l’absence de souscription et de publication des déclarations d’intérêts […] ne révèle

pas, par elle-même, malgré le caractère impératif de ces formalités, une méconnaissance du

575 LAUDE (A.), « La nouvelle régulation des produits de santé. – A propos de la loi du 29 décembre 2011 », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 6, 6 Février 2012, 123.

576 Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, Pour une nouvelle déontologie de la vie publique, Rapport au Président de la République, 26 janvier 2011, p. 58.

577 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et

des produits de santé, JORF n° 0302 du 30 décembre 2011, Article 1.

578 Arrêté du 5 juillet 2012 portant fixation du document type de la déclaration publique d’intérêts mentionnée à

l’article L1451-1 du code de la santé publique, JORF n° 185 du 10 août 2012.

579 Loi n° 2011-2012 op. cit., Article 1. 580 Ibid., Article 1.

581 Décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l’expertise sanitaire prévue à l’article

L1452-2 du code de la santé publique, JORF n° 116 du 22 mai 2013.

582 Loi n° 2011-2012 op. cit., Article 1. 583 Ibid, Article 3.

principe d’impartialité »584. Il en est d’ailleurs de même du retard de souscription d’une déclaration d’intérêts585. En conséquence, ces nouvelles sanctions pénales risquent de se voir peu, voire pas du tout appliquées.

128. Une obligation de transparence. Les mesures destinées à assurer la

transparence des missions de l’ANSES sont renforcées. La loi n° 2011-2012 impose ainsi la publicité des séances des commissions, conseils et instances collégiales d’expertise. Ces séances doivent être enregistrées et les enregistrements mis en ligne sur le site Internet des agences. Les procès-verbaux détaillés des séances doivent de plus faire l’objet d’une publication sur ce site, et rapporter notamment les opinions minoritaires586.

Pour finir, la loi n° 2011-2012 contraint désormais le directeur général de l’ANSES, ainsi que les directeurs des autres agences sanitaires, à être auditionné par le Parlement, préalablement à sa nomination587.

129. De l’indépendance à l’impartialité. Plus généralement, la loi n° 2011-2012

indique que « l’expertise sanitaire répond aux principes d’impartialité, de transparence, de

pluralité et du contradictoire »588. Comparativement, l’ordonnance créant l’ANSES indiquait que cette agence « met en œuvre une expertise scientifique indépendante et pluraliste »589. Le principe d’indépendance a donc disparu au profit de celui d’impartialité. Or, ces deux notions ne sont pas tout à fait superposables. Tandis que l’indépendance renvoie aux liens entretenus par l’expert avec les personnes concernées par l’expertise, l’impartialité concerne la façon dont l’expert conduit son évaluation et rend son avis, c’est-à-dire sans favoriser l’une ou l’autre des parties éventuellement intéressées590. Ainsi, un expert peut être indépendant mais partial. Il peut également être dépendant mais impartial, cette situation étant bien évidemment plus rare. En visant désormais l’impartialité et non l’indépendance de l’expertise, la loi n° 2011-2012 est donc plus exigeante quant à la qualité de l’expertise sanitaire rendue. Il n’en demeure pas moins que pour qu’une expertise soit de qualité, elle doit nécessairement

584 Conseil d’Etat, Requête n° 349431 présentée par le Centre laser international de la peau de Paris et autres, 17

février 2012 ; le défaut de déclaration d’intérêts et de publication de ces déclarations concerne en l’occurrence les membres d’une expertise rendue par la Haute Autorité de santé.

585 Conseil d’Etat, Requête n° 344490 présentée par la société Novartis Pharma SAS, 13 novembre 2013. 586 Loi n° 2011-2012 op. cit., Article 1.

587 Ibid., Article 1. 588 Ibid., Article 1.

589 Ordonnance n° 2010-18 du 7 janvier 2010 portant création d’une agence nationale chargée de la sécurité

sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, JORF du 8 janvier 2010, Article 2.

590 LECLERC (O.), « L’indépendance de l’expert », in FAVRO (K.), L’expertise : enjeux et pratiques, Lavoisier

être rattachée, d’une façon ou d’une autre, aux innovations privées. Dans certains domaines, en particulier dans celui de l’évaluation toxicologique des risques chimiques, les experts sont presque tous financés, directement ou indirectement, par le secteur privé, ou tout du moins l’ont été591. Au sujet de l’évaluation des risques alimentaires, l’ancienne directrice de l’EFSA déclare de même : « L’une des caractéristiques de la science actuelle est que les scientifiques

travaillent de plus en plus avec l’industrie. On peut le regretter mais moi, je vis dans un monde réel que je dois prendre en compte »592. La plupart des avis de l’EFSA s’appuient ainsi sur des recherches menées ou financées par l’industrie, ce qui constitue, selon la Cour des comptes européenne, « l’un des facteurs de risque non négligeables »593.

130. Une impartialité surtout assurée par la pluralité et le contradictoire. En

conséquence, il est presque impossible de garantir l’indépendance complète de chaque expert vis-à-vis de l’ensemble des intérêts. C’est pourquoi certains auteurs préfèrent miser sur l’organisation d’un « processus impartial d’expertise », plutôt que sur la recherche de l’indépendance de chaque expert pris individuellement594. La pluralité ou collégialité595 de l’expertise constitue ainsi un moyen permettant d’assurer une expertise impartiale. En multipliant le nombre et la spécialité des experts venant d’horizons divers et soumis à des influences distinctes, c’est l’annulation, ou tout du moins la confrontation, de ces différentes influences qui est recherchée. A la pluralité de l’expertise s’ajoute donc le respect du contradictoire. Ce dernier principe a d’ailleurs aussi été ajouté dans la loi n° 2011- 2012596. Issu des règles de l’expertise mobilisée par la justice, ce principe fait donc officiellement son entrée dans l’expertise décisionnelle utilisée par l’autorité publique compétente. En dépit de cet affichage, une expertise plurielle et contradictoire reste pourtant peu, voire pas, développée597. Or, c’est pourtant là la vraie clé d’une expertise qui tend vers l’impartialité. Le nouveau dispositif français de protection des lanceurs d’alerte peut toutefois contribuer à contrebalancer le défaut d’impartialité de l’expertise scientifique.

591 Ibid., p. 180.

592 Acteurs publics, « Je vis dans un monde réel où les experts travaillent avec l’industrie », Acteurs publics, 23

avril 2013, Article disponible à l’adresse : http://www.acteurspublics.com/2013/04/23/je-vis-dans-un-monde- reel-ou-les-experts-travaillent-avec-l-industrie, page consultée le 25 avril 2014.

593 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE, op. cit., p. 12.

594 DAB (W.) et SALOMON (D.), op. cit., p. 106.

595 Conseil d’Etat, Les agences : une nouvelle gestion publique ?, op. cit., p. 50.

596 Pour rappel, l’article 1 de la loi n° 2011-2012 dispose : « l’expertise sanitaire répond aux principes

d’impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire ».

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