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60. Des lacunes dénoncées. En plus de l’absence d’évaluation des effets de

perturbation endocrinienne, le Parlement critiquait, dès 2002, les lacunes de la réglementation phytopharmaceutique en matière d’évaluation des « adjuvants synergistes » et des « effets

327 France Info, « Mortalité des abeilles : non-lieu pour l’insecticide Gaucho », 22 avril 2014, Article disponible

à l’adresse : http://www.franceinfo.fr/vie-quotidienne/environnement/article/mortalite-des-abeilles-non-lieu- pour-l-insecticide-gaucho-456129, page consultée le 4 septembre 2014.

328 Souvent plus d’un million d’euros pour des études sur rongeurs pendant deux ans selon DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 34.

329 Règlement (UE) n° 544/2011, op. cit., Annexe, Partie A, point 5.5.

330 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Avis relatif à l’analyse de l’étude de Séralini et al. (2012) « Long term toxicity of a ROUNDUP herbicide and a ROUNDUP- tolerant genetically modified maize », Saisine n° 2012-SA-0227, 19 octobre 2012, p. 25 et 26.

additif et synergique de plusieurs pesticides »331. L’« effet cocktail » qui résulte de l’interaction entre plusieurs substances et produits, constitue ainsi, selon le Sénat la « seule

véritable lacune » du règlement332.

61. Des effets multiples et complexes. Cet « effet cocktail » peut se traduire par

des effets additionnels, multiplicateurs, synergiques, antagonistes ou encore annihilateurs. Ces effets résultent de l’association de plusieurs substances ou produits qui peuvent pourtant ne pas présenter d’effets néfastes lorsqu’ils sont évalués isolément. Ces effets se manifestent en particulier pour de faibles doses de substances, inférieures à la DSENO333, ce qui complique encore la tâche de leur évaluation, déjà difficile en soi334.

Il est ainsi particulièrement complexe d’évaluer les effets d’une association de substances, dans la mesure où ces substances peuvent être de natures chimiques différentes et avoir des modes d’action et des effets toxiques distincts335. Or, les connaissances manquent en matière

de mélanges de substances chimiques, en particulier sur la nature et l’ampleur de l’exposition de l’homme et de la contamination environnementale à ces mélanges, ainsi que sur le mode d’action des substances chimiques, aussi bien prises individuellement qu’en mélange336. D’où la nécessité, pour les évaluateurs scientifiques, de se concentrer « sur les cas où le risque

d’effets néfastes est le plus élevé », ces cas étant déterminés selon plusieurs critères337. Les scientifiques attendent beaucoup de la collecte d’informations imposée par le règlement REACH pour améliorer les connaissances sur les substances chimiques et leurs mélanges338. Dans l’attente, ce sont surtout les associations de substances qui appartiennent à la même classe chimique et qui ont les mêmes mécanismes d’action qui sont évaluées. Ces évaluations sont donc privilégiées, non seulement pour des raisons pratiques, mais aussi parce que ce sont avant tout de telles associations qui sont suspectées avoir des effets toxiques pour l’homme et

331 LANNOYE (P.), op. cit., A5-0155/2002 final, 25 avril 2002, point E. 332 BONNEFOY (N.), op. cit., p. 138.

333 Cf. par exemple EDMOND (C.) et KRZYWKOWSKI (P.), « L’évaluation du risque sanitaire : une

méthodologie dans la tourmente », Bulletin de veille scientifique de l’Anses, n° 20, Mars 2013, p. 58-60.

334 GATIGNOL (C.) et ETIENNE (J.-C.), op. cit., p. 84 ; BARBIER (G.), op. cit., p. 77 et s.

335 CHAKROUN (R.) et FAIDI (F.), « La multi-exposition aux pesticides : étude de la cytotoxicité et nouvelles

approches analytiques », Bulletin de veille scientifique de l’Anses, n° 21, Juillet 2013, notamment conclusion générale p. 29.

336 Commission européenne, Les effets combinés des produits chimiques – Mélanges chimiques, Communication

de la Commission au Conseil, COM(2012) 252 final, p. 8 ; DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 75 ; AUBERTOT (J.-N.) et al., op. cit., p. 25 et s. ; HERMITTE (M.-A.), « Santé, environnement, pour une deuxième révolution hygiéniste », in PRIEUR (M.) et LAMBRECHTS (C.), (dir.), Les hommes et

l’environnement – Quels droits pour le vingt-et-unième siècle ?, Frison-Roche, Paris, 1998, p. 27.

337 Commission européenne, Les effets combinés des produits chimiques – Mélanges chimiques, op. cit., p. 6. 338 Ibid., p. 10.

l’environnement339. Toutefois, la toxicité de mélanges de substances ayant un mode d’action différent ne peut pas être écartée avec certitude, surtout pour l’environnement340. En cas d’insuffisance ou de manque d’informations sur le mode d’action des substances et sur la relation dose-effet, les effets du mélange de substances sont évalués en posant l’hypothèse d’un « cumul des doses/concentrations », ce qui permet de garantir un niveau de protection plus élevé341.

L’ANSES a donc lancé, depuis 2009, un programme de recherche appelé PERICLES qui s’intéresse à l’exposition des français aux pesticides via leur alimentation. Ce programme a pour objet d’identifier les principaux mélanges de pesticides auxquels la population française est exposée, ainsi que les effets toxiques associés. L’interprétation, particulièrement complexe, des données collectées est en cours et a pour but de « contribuer à de possibles

évolutions futures de la réglementation »342.

62. Des interactions intrinsèques au produit phytopharmaceutique non prises en compte sur le long terme. Avant d’étudier la façon dont la réglementation prend en

compte l’ « effet cocktail » qui résulte de l’interaction entre un produit phytopharmaceutique et d’autres substances et produits, il convient de vérifier ce qu’il en est des interactions entre les différents composants d’un même produit phytopharmaceutique.

En vertu du règlement n° 1107/2009, « l’interaction entre la substance active, les

phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être prise en compte lors de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques »343. Cette disposition constitue une avancée dans la mesure où elle n’était pas explicitement prévue par la directive 91/414/CEE qui s’appliquait précédemment. Cependant, si les règlements n° 544/2011 et n° 283/2013 exigent que soient évalués les effets chroniques ou à long terme d’une exposition à une substance active, une telle évaluation n’est pas requise pour le produit phytopharmaceutique composé de cette substance et d’autres composants. Les règlements n° 545/2011 et n° 284/2013 ne prévoient ainsi que des études de toxicité aiguë, c’est-à-dire immédiate, pour évaluer la toxicité d’un produit phytopharmaceutique pour l’homme. En matière d’écotoxicité, des études de toxicité chronique ou à long terme sont exigées, mais pour certaines espèces

339 Ibid., p. 5. 340 Ibid. 341 Ibid, p. 10.

342 Site Internet de l’ANSES : http://www.anses.fr/fr/content/les-contaminants-chimiques-de-

l%E2%80%99alimentation, page consultée le 4 octobre 2013.

seulement.

Ce manquement est d’ailleurs relevé par l’ANSES dans son avis sur l’étude publiée par le Professeur Séralini démontrant l’apparition de tumeurs chez des souris exposées à un mélange d’OGM et du produit phytopharmaceutique Roundup344. Pour justifier ce manquement, l’ANSES explique qu’exiger des études de toxicité à long terme pour les produits phytopharmaceutiques « entraînerait une multiplication des essais sur vertébrés, dont il est

actuellement considéré qu’ils doivent être limités au strict nécessaire »345.

63. La réduction des essais sur les vertébrés mise en cause. Il est vrai qu’en

application de la directive 86/609/CEE346, les demandeurs d’une autorisation sont tenus de réduire les essais sur les animaux vertébrés. Leur demande doit donc justifier les « mesures

prises pour éviter les essais sur les animaux et une répétition des essais et des études sur les vertébrés »347. Cette obligation n’est pas propre aux évaluations des produits

phytopharmaceutiques. Elle s’applique aussi aux évaluations conduites sur les substances actives, phytoprotecteurs et synergistes348. En outre, les demandeurs et titulaires d’autorisations de pesticides doivent également « tout mettre en œuvre pour veiller à partager

les essais et études impliquant l’utilisation d’animaux vertébrés »349. Compte tenu des enjeux financiers à la clé, il est probable que cette disposition, du reste non assortie de sanctions, soit peu suivie par les industriels phytopharmaceutiques. Il est tout autant à craindre que les demandeurs se retranchent derrière l’obligation de réduire les essais pour ne pas fournir les essais à long terme sur les vertébrés lorsqu’ils sont requis.

En outre, dans la mesure où ce sont les produits phytopharmaceutiques et non leurs composants qui sont, in fine, utilisés, ne serait-il pas plus logique d’exiger une évaluation à long terme des produits finis plutôt que de leurs composants ? Cette question souligne les limites de l’actuelle procédure d’autorisation de mise sur le marché en deux étapes. En effet, ne plus exiger d’évaluation à long terme des substances actives reviendrait à supprimer l’étape d’approbation des substances actives. Elle serait remplacée par une procédure unique

344 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Avis relatif à l’analyse de l’étude de Séralini et al. (2012) « Long term toxicity of a ROUNDUP herbicide and a ROUNDUP- tolerant genetically modified maize », op. cit., p. 10 et 26.

345 Ibid., p. 10.

346 Directive 86/609/CEE du Conseil du 24 novembre 1986 concernant le rapprochement des dispositions

législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, JOCE L 358 du 18 décembre 1986.

347 Règlement (CE) n° 1107/2009, op. cit., Article 33, paragraphe 3, point c). 348 Ibid., Article 8, pararaphe 1, point d).

d’autorisation du produit phytopharmaceutique, centralisée au niveau de l’Union européenne. Une telle procédure serait sans doute tout à la fois plus rapide, plus efficace, moins consommatrice d’essais et moins coûteuse. Pourtant, une telle solution risque fort de ne pas être acceptée, tant les Etats membres et les professionnels intéressés restent soucieux de conserver leurs prérogatives.

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