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Un système de prévention des conflits d’intérêts défaillant

Paragraphe II. Des conflits d’intérêts persistants

A. Un système de prévention des conflits d’intérêts défaillant

121. Les critiques du système mis en place par l’EFSA. Etendu à l’ensemble de

ses membres, le système des déclarations d’intérêts et d’engagement de l’EFSA semble à première vue complet. Pourtant, plusieurs manquements en matière de prévention des conflits sont dénoncés, en particulier dans le rapport de la Cour des comptes européenne rendu en 2012549. Le cas de l’EFSA n’est d’ailleurs pas isolé, loin s’en faut. D’autres agences sont également critiquées, parfois sévèrement, pour leur manque d’indépendance, dans l’Union européenne550 et aux Etats-Unis551.

En effet, si l’obligation de déclarer ses intérêts a été étendue à l’ensemble des membres de l’EFSA, il n’en est pas de même de l’évaluation de ces déclarations et de la sanction en cas de conflit avéré. La Cour des comptes européenne relève ainsi qu’aucun document ne décrit les critères permettant d’évaluer les déclarations d’intérêts des membres du conseil

547 Ibid., Article 9 : « Les ressources de l’agence sont constituées notamment : 1° Par des subventions des collectivités publiques, de leurs établissements publics, de la Communauté européenne ou des organisations internationales ; 2° Par des taxes prévues à son bénéfice ; 3° Par des redevances pour services rendus ; 4° Par des produits divers, dons et legs ; 5° Par des emprunts ».

548 Conseil d’Etat, Les agences : une nouvelle gestion publique ?, op. cit., p. 50.

549 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE,

Rapport spécial, n° 15, 2012, 99p.

550 Ibid, 99p.

551 HERMITTE (M.-A.), « La fondation juridique d’une société des sciences et des techniques par les crises et

d’administration552. Aucune procédure de filtrage n’est en outre prévue pour les membres du conseil d’administration553. En cas de conflit d’intérêts avéré pour un de ces membres, les experts des groupes de travail ou le personnel de l’EFSA, aucune mesure restrictive n’est prévue, contrairement aux experts des groupes et des comités scientifiques554.

La politique de prévention des conflits d’intérêts des experts scientifiques n’est pas en reste. La Cour des comptes européenne déplore ainsi le fait que le filtrage des experts, réalisé sur la base de leur déclaration d’intérêts, ne repose pas sur des critères clairement définis555. Elle dénonce aussi l’absence de mesure prises face à des incohérences évidentes entre des déclarations d’intérêts successivement déposées par certains experts556. Si, au contraire des autres membres de l’EFSA, des critères d’évaluation des conflits d’intérêts des experts sont prévus, ils manquent toutefois de clarté, ce qui donne lieu à des incohérences dans le traitement des conflits d’intérêts identifiés557. Il n’est en particulier pas précisé quels sont les intérêts autorisés pour les membres de la famille proche de l’expert, ni les restrictions à appliquer en cas de conflit d’intérêts non autorisé558. En outre, l’appartenance de certains

membres de l’EFSA à l’ILSI559, « une organisation mondiale à but non lucratif, financée

principalement par l’industrie agroalimentaire et largement impliquée dans les activités de l’Autorité », s’est soldée, suite à des critiques relayées par les média, par l’obligation de

démissionner de cette institution pour deux membres du conseil d’administration de l’EFSA560. En revanche, les six experts de l’EFSA appartenant également à l’ILSI sont toujours membres du conseil d’administration ou des comités scientifiques de cette organisation561. Par ailleurs, si des conflits d’intérêts sont détectés après son recrutement, l’expert ne peut pas être remplacé avant la fin de son mandat. Enfin, la Cour des comptes européenne note le manque de procédure relative aux cadeaux et invitations reçus par l’ensemble des membres de l’agence562.

La lacune la plus importante tient sans doute au défaut de contrôle des postes occupés par les

552 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE, op. cit., p. 24, n° 54. 553 Ibid, p. 18, n° 30. 554 Ibid, p. 30, n° 66. 555 Ibid, p. 18, n° 29. 556 Ibid, p. 24, Encadré 6. 557 Ibid, p. 26, n° 57. 558 Ibid, p. 28, Encadré 9.

559 International life sciences institute, cf. site Internet disponible à l’adresse :

http://www.ilsi.org/Pages/HomePage.aspx, page consulté le 25 avril 2014.

560 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE, op. cit., p. 26, Encadré 7.

561 Ibid.

anciens membres de l’EFSA à la sortie de cette agence. En 2011, le Médiateur européen critiquait ainsi le manque d’évaluation approfondie de la part de l’EFSA d’un éventuel conflit d’intérêts provoqué par le recrutement, dans une importante société de biotechnologies de l’ancien chef de l’unité des OGM de l’EFSA, moins de deux mois après son départ563. En conséquence, le Médiateur européen recommandait à l’EFSA de renforcer ses règles et procédures relatives au phénomène dit des « portes tournantes » ou « pantouflage ». Ce phénomène consiste ainsi à occuper successivement des postes dans des institutions publiques et privées qui travaillent sur les mêmes thématiques et se trouvent donc liées par des intérêts communs. Reprenant la critique du Médiateur européen, le Parlement européen invite l’EFSA et les autres agences concernées à recenser, évaluer et améliorer, le cas échéant, les mesures qui permettent d’éviter de tels conflits d’intérêts564. En effet, si les agents de l’EFSA sont tenus de remplir une demande d’autorisation avant d’occuper un poste en-dehors de l’agence, aucun critère d’évaluation et de gestion des éventuels conflits d’intérêts occasionné par ce futur poste n’est fixé, comme le dénonce encore la Cour des comptes européenne565.

122. A l’AFSSA, des conflits d’intérêts sanctionnés par le Conseil d’Etat. Au

niveau français, un contentieux porté en 2008 par la société Aquatrium devant le Conseil d’Etat illustre les conflits d’intérêts présents à l’AFSSA, en dépit de la politique de prévention de ces conflits566. Dans cette affaire, la société Aquatrium conteste le refus prononcé par le ministère chargé de la santé d’autoriser la mise sur le marché de son procédé de « Spirofiltration » de l’eau. La société Aquatrium dénonce ainsi le fait que ce refus d’autorisation repose sur une évaluation conduite par le comité d’experts spécialisés Eaux de l’AFSSA, dont certains membres ont été liés avec une société concurrente. Un des membres avait en effet, en tant que directeur de la qualité environnement de la société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP), co-inventé un procédé de filtration de l’eau ensuite breveté par la SAGEP. Ce procédé était donc concurrent du procédé de « Spirofiltration » breveté par la société Aquatrium. Un autre membre avait exercé les fonctions de président du

563 Médiateur européen, « L’EFSA devrait renforcer ses procédures pour éviter les conflits d’intérêts potentiels

des cas de "portes tournantes" », Communiqué de presse, n° 20, 14 décembre 2011.

564 Parlement européen, Résolution concernant la décharge sur l’exécution du budget des agences de l’Union européenne pour l’exercice 2010 : performance, gestion financière et contrôle des agences, P7_TA(2012)0164,

10 mai 2012, n° 52 à 60.

565 Cour des comptes européenne, La gestion des conflits d’intérêts dans une sélection d’agences de l’UE, op. cit., p. 35, n° 87-88 et Encadré 10.

566 Conseil d’Etat, Requêtes jointes n° 319828 et 326062 présentées par la société Aquatrium, 11 février 2011 ;

commentaires de GRAND (R.), « Annulation de la décision de mise sur le marché d’un insecticide soupçonné de nuire aux abeilles – Arrêt rendu par Conseil d’Etat », AJDA, 2011, p. 360 et s.

comité scientifique de la SAGEP. S’appuyant sur le principe d’impartialité et sur les dispositions susvisées, prévues par la loi de veille sanitaire en matière de prévention des conflits d’intérêt des experts de l’AFSSA, le Conseil d’Etat annule les décisions prises par le ministre chargé de la santé concernant le procédé de « Spirofiltration ». Les intérêts en cause avaient pourtant été déclarés par les membres concernés. Ce contentieux révèle donc la même lacune que celle relevée par la Cour des comptes européenne à l’encontre de l’EFSA, à savoir le défaut d’évaluation des déclarations d’intérêts et de sanctions des éventuels conflits révélés par ces déclarations. Il est vrai que si l’obligation de déclarer ses intérêts « conduit l’expert à

une certaine retenue, l’autorité de décision à un certain recul à l’égard des avis qui lui sont fournis », elle ne supprime toutefois pas pour autant ces intérêts567. Les déclarations d’intérêts constituent ainsi la mise en œuvre « la plus visible » du principe d’indépendance de l’expertise, mais aussi « la plus fruste »568.

Compte tenu de ces sanctions et critiques, le système de prévention des conflits d’intérêts mis en place par les agences françaises et européennes est renforcé, mais de manière insuffisante.

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