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Un droit français axé sur l’efficacité phytopharmaceutique

Paragraphe I. Un droit au service de la productivité agricole

A. Un droit français axé sur l’efficacité phytopharmaceutique

179. La garantie première de la teneur en « éléments utiles ». La France a

commencé à encadrer la mise sur le marché des pesticides bien avant que la Communauté européenne ne soit fondée et ne se préoccupe de ces produits801. Dès 1903, la loi du 4 août sanctionne ainsi l’absence d’information apportée à l’acheteur de produits cupriques anticryptogamiques sur la teneur en cuivre de ces produits802. Les produits cupriques anticryptogamiques sont des pesticides à base de cuivre efficaces contre les champignons, en particulier les cryptogames de la vigne comme le mildiou. Ils constituent alors les principaux pesticides employés. La « bouillie bordelaise » en est un des plus connus803.

Cette première loi est ensuite complétée par les lois du 18 avril 1922804 et du 10 mars 1935805. La loi du 10 mars 1935 étend l’obligation d’information sur la teneur en « éléments utiles » à tous les pesticides mis sur le marché806. Le ministre de l’agriculture estime en effet « de toute

nécessité que les vendeurs soient tenus de préciser ce qu’ils entendent par : "éléments utiles" du produit vendu par eux, car tel produit auquel est attribuée, à l’heure actuelle, une grande valeur insecticide, peut être considéré, à l’avenir, comme inefficace. Il appartient donc à

801 Pour une présentation historique détaillée de l’encadrement français des produits phytopharmaceutiques

jusqu’aux années soixante-dix, voir JAS (N.), « Public health and pesticide regulation in France before and after Silent spring », History and Technology, Volume 23, n° 4, Décembre 2007, p. 369-388.

802 Loi du 4 août 1903 réglementant le commerce des produits cupriques anticryptogamiques, JORF du 7 août

1903, Article 1.

803 La « bouillie bordelaise » est un mélange de sulfate de cuivre et de chaux.

804 Loi du 18 avril 1922 complétant celle du 4 août 1903 réglementant le commerce des produits cupriques

anticryptogamiques, JORF du 25 avril 1922.

805 Loi du 10 mars 1935 sur la répression des fraudes dans le commerce des produits utilisés pour la destruction

des ravageurs des cultures (insecticides, anticryptogamiques), JORF du 12 mars 1935.

l’administration d’observer la plus grande prudence à cet égard »807. Il est vrai que le marché de la protection des cultures fait alors l’objet de diverses tromperies, alors même que l’agriculture, décimée par les parasites et les guerres, peine à assurer ses rendements808. Mais, si toutes les parties prenantes s’accordent sur l’obligation faite aux fabricants et vendeurs de pesticides de préciser la teneur de ces produits en « éléments utiles », la plupart sont réticentes à l’idée de mettre en place, même de façon facultative, une analyse de laboratoire permettant de vérifier la quantité réelle de ces éléments utiles. Si bien que le « contrôle biologique

facultatif » proposé par certains scientifiques n’apparaît finalement pas dans le décret809.

Il en ressort que les tout premiers textes français relatifs aux pesticides cherchent uniquement à garantir aux utilisateurs que les produits qu’ils achètent contiennent bien les substances actives mises en avant par leurs vendeurs. Il ne s’agit pas encore tout à fait d’assurer l’efficacité de ces produits. Quant aux considérations sanitaires, elles sont inexistantes810.

180. L’autorisation des composés arsenicaux, « les seuls véritablement actifs ».

L’utilisation des composés arsenicaux en agriculture a été interdite par l’ordonnance du 29 octobre 1846 relative à la vente des poisons. Méconnue, cette ordonnance était peu, voire pas appliquée, ce qui a entraîné plusieurs cas d’intoxication à l’arsenic811.

En 1916, il est pourtant décidé d’autoriser l’emploi de ces composés arsenicaux en agriculture812. Dans le rapport au Président de la République, les ministres concernés rappellent ainsi que ces composés sont « des agents destructeurs, et les seuls véritablement

actifs, des insectes parasites qui constituent de véritables fléaux. […] Sans doute, cet emploi n’est pas sans danger ; mais tant que l’on ne disposera pas de méthodes plus inoffensives de destruction des insectes parasites, il a paru d’un intérêt économique de premier ordre d’autoriser l’usage des arsenicaux en agriculture, sous la seule réserve de réglementer cet

807 Décret du 11 mai 1937 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 4 août

1903, modifiée par la loi du 10 mars 1935 concernant la répression des fraudes dans le commerce des produits utilisés pour la destruction des ravageurs des cultures, JORF du 15 mai 1937, Rapport préalable au Président de la République française du ministre de l’agriculture Georges Monnet, transcrit au début du décret.

808 BAIN (C.), BERNARD (J.-L.) et FOUGEROUX (A.), Histoire de la protection des cultures de 1850 à nos jours, Champ Libre, Paris, 2010, notamment p. 46-47 et 112-113.

809 Décret du 11 mai 1937 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 4 août

1903, modifiée par la loi du 10 mars 1935 concernant la répression des fraudes dans le commerce des produits utilisés pour la destruction des ravageurs des cultures, JORF du 15 mai 1937, Rapport préalable au Président de la République française du ministre de l’agriculture Georges Monnet.

810 BONNEFOY (N.), op. cit., p. 116 et s.

811 JAS (N.), « Public health and pesticide regulation in France before and after Silent spring », op. cit., p. 372. 812 Décret du 14 septembre 1916 concernant l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances

usage et de lui imposer toutes les garanties nécessaires à la sauvegarde de la santé publique »813. Les risques pour la santé des utilisateurs de composés arsenicaux sont donc pris en compte, et même considérés comme écartés du fait des conditions d’emploi imposées. Un arrêté ministériel doit ainsi préciser, par type de culture et par région, la période d’emploi des produits, leurs conditions et précautions d’emploi à respecter814. Il n’en reste pas moins que l’amélioration de la productivité agricole et de la sécurité des approvisionnements a nettement prévalu à cette décision d’autorisation.

181. De la teneur en éléments utiles à l’efficacité des pesticides. A partir de la loi

du 2 novembre 1943, les « produits antiparasitaires à usage agricole » ne peuvent être mis sur le marché que s’ils ont été dûment homologués pour ce faire815. Au-delà d’une simple teneur en principes actifs conforme aux allégations des fabricants de pesticides, cette loi cherche à garantir la véritable efficacité de ces produits, cette efficacité faisant souvent défaut816. Est désormais requis « un examen pouvant comporter en particulier des essais

physiques, chimiques ou biologiques dans les laboratoires dépendant du secrétariat d’Etat à la production industrielle ou du secrétariat d’Etat à l’agriculture et au ravitaillement »817. Deux commissions sont créées. La « commission des produits antiparasitaires à usage

agricole » remplit un rôle général de conseil et de veille, tandis que le « comité d’études des produits antiparasitaires à usage agricole » a en charge l’examen des produits avant

homologation et la restitution d’un « rapport comportant des propositions quant à la suite à

donner à la demande d’homologation »818.

182. La procédure d’homologation, un début de prise en compte des risques sanitaires. La loi du 2 novembre 1943 prend aussi en compte les risques présentés par les

pesticides pour la santé humaine. Doivent ainsi apparaître, sur le pesticide mis sur le marché, « les précautions à prendre par les utilisateurs »819. Il est en outre précisé que « les produits

antiparasitaires renfermant des toxiques classés aux tableaux annexés au décret du 14 septembre 1916 sur le commerce des substances vénéneuses demeurent […] soumis aux

813 Ibid., Rapport au président de la République française figurant en tête du décret. 814 Ibid., Article 9.

815 Loi n° 525 du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage

agricole, JORF du 4 novembre 1943, Article 1.

816 BAIN (C.), BERNARD (J.-L.) et FOUGEROUX (A.), op. cit., p. 150. 817 Loi n° 525, op. cit., Article 3.

818 Ibid., Articles 4 et 5 respectivement. 819 Ibid., Article 7.

règles fixées par ce dernier décret »820. Ce faisant, l’encadrement de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques fait le lien avec la réglementation relative aux substances vénéneuses, gage d’une meilleure effectivité de cette dernière.

L’élaboration d’une procédure systématique d’autorisation préalable à la mise sur le marché des pesticides place ces produits parmi les produits chimiques les mieux encadrés, même si cet encadrement est initialement peu contraignant comparativement au cadre juridique actuel821. De plus, si les risques pour la santé sont pris en compte, cette loi n’en vise pas moins prioritairement, à travers le régime d’autorisation, la garantie de l’efficacité des pesticides822. D’ailleurs, seule l’efficacité d’un pesticide fait l’objet d’une évaluation systématique. Une telle évaluation n’est pas prévue concernant les risques pour la santé. Ces risques sont uniquement évalués lorsque le pesticide contient des substances qui n’ont jamais été utilisées auparavant823. Pour finir, le contrôle de la mise en œuvre de cette loi est assuré par les agents de la répression des fraudes, en plus des officiers de police judiciaire, et non des spécialistes des risques pour la santé liés aux pesticides824.

183. L’examen des risques pour la santé et la prise en compte des « inconvénients écologiques ». Avec la loi n° 72-1139, les considérations sanitaires

progressent. A la vérification de l’efficacité des pesticides, cette loi ajoute à la procédure d’homologation, le contrôle de « leur innocuité à l’égard de la santé publique, des

utilisateurs, des cultures et des animaux »825. En outre, le décret n° 74-682, qui précise ensuite la procédure d’homologation, prend en compte pour la première fois les risques environnementaux liés à l’utilisation des pesticides. Il faut dire que ce décret voit le jour dans les années soixante-dix, marquées par la montée en puissance de la protection de l’environnement826. En 1971 est d’ailleurs nommé en France, pour la première fois, un ministre délégué chargé de la protection de la nature et de l’environnement. La procédure d’homologation comprend ainsi d’une part, un examen des « risques de toxicité directe ou

indirecte à l’égard de l’homme et des animaux » et un « avis sur les conditions d’emploi

820 Ibid., Article 7, paragraphe 2.

821 JOUZEL (J.-N.) et LASCOUMES (P.), « Le règlement REACH : une politique européenne de l’incertain. Un

détour de régulation pour la gestion des risques chimiques », Politique européenne, n° 33, 2011, p. 192.

822 JAS (N.), « Public health and pesticide regulation in France before and after Silent spring », op. cit., p. 376 et

377.

823 Ibid., p. 376.

824 Loi n° 525, op. cit., Article 12.

825 Loi n° 72-1139 du 22 décembre 1972 étendant le champ d’application de la loi validée et modifiée du 2

novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole, JORF du 23 décembre 1972, Article 1, modifiant notamment l’article 3 de la loi du 2 novembre 1943.

desdits produits » compte tenu de ces risques, et d’autre part, la prise en compte des

« inconvénients de tous ordres, notamment, écologiques »827. Autrement dit, seuls les risques pour l’homme et les animaux sont effectivement évalués, ceux pour l’environnement devant seulement être pris en compte, sans qu’une évaluation en bonne et due forme ne soit exigée. La prise en considération des « inconvénients de tous ordres, notamment, écologiques » est en outre réalisée, non pas par la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, pourtant en charge de l’évaluation des risques pour la santé de l’homme et des animaux, mais par la commission des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés. L’objectif premier du droit français des pesticides reste donc la garantie de l’efficacité de ces produits en matière de lutte contre les organismes nuisibles aux cultures. La recherche de l’innocuité pour la santé humaine et animale,et a

fortiori la prise en compte des atteintes à l’environnement, ne sont que secondaires et reposent

sur des évaluations réalisées, rappelons-le, par les fabricants de pesticides eux-mêmes828.

Le droit communautaire des pesticides, qui prend naissance dans les années soixante-dix, connaît une évolution quelque peu différente. Il reste malgré tout marqué par des contraintes économiques et commerciales fortes.

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