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72. La nécessité d’une évaluation indépendante. Qu’il soit question de protéger

la santé de l’homme, de l’animal ou l’environnement, une grande partie de la doctrine s’accorde sur le fait que les mesures de gestion des risques doivent reposer sur une évaluation scientifique de ces risques, évaluation qui doit être indépendante, y compris vis-à-vis du décideur public382. Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE) affirme, quant à lui, que les avis scientifiques relatifs à l’évaluation des risques pour la santé de l’homme « doivent, dans l’intérêt des consommateurs et de l’industrie, être fondés sur les

principes d’excellence, d’indépendance et de transparence »383.

73. L’indépendance vis-à-vis de la gestion des risques. Concernant plus

particulièrement l’indépendance de l’évaluation des risques vis-à-vis de l’étape de gestion des risques, cette idée est née des travaux du National Research Council américain publiés en 1983 dans un ouvrage communément appelé Red book384. L’indépendance vis-à-vis du décideur public assure en effet la production à ce dernier d’une évaluation scientifique complète et rigoureuse. De cette façon, l’autorité publique peut prendre sa décision en connaissance de cause, « car avant de choisir, il faut savoir »385. Ce qui ne signifie bien évidemment pas que le décideur public soit tenu de suivre l’avis scientifique rendu par l’expert, comme le rappelle à plusieurs reprises la jurisprudence, en particulier dans le domaine qui nous intéresse de l’octroi des autorisations de produits phytopharmaceutiques386 et de leurs composants387. Mais, dans la mesure où le décideur n’est le plus souvent pas un

382 NAIM-GESBERT (E.), Droit général de l’environnement, LexisNexis, Paris, 2011, p. 113 ; DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 121 ; NOIVILLE (C.), Du bon gouvernement des risques, op. cit., p. 61 ;

ASCHIERI (A.) et GRZEGRZULKA (O.), op. cit., p. 24.

383 TPICE, Arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health SA c. Conseil de l’Union européenne, aff. T-

13/99, n° 159 ; TPICE, Arrêt du 11 septembre 2002, Alpharma Inc. c. Conseil de l’Union européenne, Aff. T- 70/99, n° 172.

384 National Research Council, Risk assessment in the federal government : managing the process, National

academy press, Washington D.C., 1983, 192p. Voir aussi : DAB (W.) et SALOMON (D.), op. cit., p. 104-105 ; VERGRIETTE (B.), « L’ouverture de l’expertise à la société et la mobilisation des sciences sociales à l’Anses »,

Hermès, n° 64, 2012, p. 96.

385 NOIVILLE (C.), Du bon gouvernement des risques, op. cit., p. 61.

386 Cf. par exemple Conseil d’Etat, Requêtes jointes n° 206687 présentée par la société Rustica Prograin

Génétique S.A. et autres, et n° 207303 présentée par la société Bayer, 29 décembre 1999 ; Conseil d’Etat, Requête n° 336647 présentée par l’Union nationale de l’apiculture française, 3 octobre 2011.

387 Cf. par exemple CJUE, Arrêt du 22 décembre 2010, Gowan Comercio International e Serviços Lda c.

Ministero della Salute, Aff. C-77/09, n° 60 ; TPIUE, Arrêt du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences Ltd c. Commission européenne, Aff. T-475/07, n° 87.

scientifique, il doit faire précéder les mesures de gestion d’une évaluation scientifique la plus fiable possible. Par ailleurs, le scientifique n’étant lui-même ni un juriste ni un politiste, il n’est pas plus en capacité de prendre une décision de gestion des risques que le décideur n’est en mesure de réaliser une évaluation scientifique. C’est pourquoi évaluation et gestion des risques, qui sont deux missions distinctes, doivent clairement être séparées.

74. Un principe ancré dans le droit alimentaire. En droit alimentaire de l’Union

européenne, le principe de séparation des étapes d’évaluation et de gestion des risques est très clairement affirmé. En réaction aux crises sanitaires des années quatre-vingt-dix, ce droit est centré sur la méthodologie de l’analyse des risques388 qui consiste notamment à faire précéder toute mesure de gestion des risques d’une évaluation des risques « fondée sur les preuves

scientifiques disponibles et […] menée de manière indépendante, objective et transparente »389. Le Livre vert, qui a précédé l’adoption du règlement n° 178/2002, précise

même que la législation alimentaire doit reposer, entre autres principes généraux, sur « la

séparation entre les responsabilités législatives et celles pour la consultation scientifique »390. Le livre blanc qui l’a suivi rappelle pareillement « la nécessité généralement reconnue de

séparer fonctionnellement l’évaluation et la gestion des risques »391. En conséquence, l’Autorité européenne de sécurité des aliments doit être indépendante, non seulement des intérêts industriels, mais aussi des intérêts politiques392.

La nécessité de faire reposer les mesures de gestion des risques sur une évaluation scientifique préalable, menée de façon indépendante vis-à-vis du gestionnaire est d’ailleurs un principe internationalement reconnu par le Codex Alimentarius. Le manuel de procédure du Codex indique ainsi : « Il doit exister une séparation fonctionnelle entre l’évaluation des risques et

la gestion des risques, afin de garantir l’intégrité scientifique de l’évaluation des risques, d’éviter la confusion concernant les fonctions que doivent remplir les responsables de l’évaluation des risques et de la gestion des risques et d’atténuer tout conflit d’intérêts »393. A propos de l’indépendance de l’expertise vis-à-vis des autres intérêts, il peut être lu, dans le

388 Cf. précédemment, paragraphe n° 29.

389 Règlement (CE) n° 178/2002, op. cit., Article 6 et considérants n° 16, 17 et 18.

390 Commission des Communautés européennes, Communication de la Commission - Santé des consommateurs et sûreté alimentaire, COM(97) 183 final, 30 avril 1997, p. 4.

391 Commission des Communautés européennes, Livre Blanc sur la sécurité alimentaire, COM(1999) 719 final,

12 janvier 2000, p. 16, n° 29.

392 Ibid., p. 18, n° 38.

393 Commission du Codex Alimentarius, Manuel de procédure, 21ème éd., 2013, p. 116, point 9 ; ce point a été

ajouté dès la 14ème édition du Manuel de procédure du Codex Alimentarius (p. 124, n° 9), rédigée après la 27ème

manuel de procédure du Codex Alimentarius, que « [l]es experts chargés de l’évaluation des

risques doivent être choisis de manière transparente en fonction de leur compétence, de leur expérience et de leur indépendance vis-à-vis des intérêts en jeu »394.

En ce qui concerne le droit des produits phytopharmaceutiques, la séparation entre d’une part, l’étape et les personnes en charge de l’évaluation des risques et, d’autre part, l’étape et les personnes en charge de la gestion des risques, est désormais clairement affirmée. La réalité semble toutefois bien plus nuancée, ce que vient confirmer la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt395 dernièrement adoptée (Section I). Il en va d’ailleurs de même pour la séparation de l’évaluation des risques vis-à-vis des intérêts privés. La multiplication, dans l’encadrement du fonctionnement de l’EFSA et de l’ANSES, des dispositions destinées à garantir cette indépendance, a du mal à cacher la difficulté de la tâche (Section II).

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