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Paragraphe I. Un encadrement favorable à la protection sanitaire et environnementale

B. Un renvoi aux conditions plus favorables du droit alimentaire

I. Un principe pourtant issu du droit de l’environnement

146. Un renvoi à la législation alimentaire de l’Union européenne. Le règlement

n° 1107/2009 renvoie à une partie des dispositions prévues par la législation alimentaire de l’Union européenne pour les conditions et modalités de mise en œuvre du principe de précaution au stade de l’approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes. Selon l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1107/2009, la Commission doit en effet tenir compte, lors de l’approbation de ces substances, du principe de précaution « quand les

conditions définies à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 178/2002 s’appliquent ».

Ce renvoi à la législation alimentaire peut surprendre, dans la mesure où le principe de précaution est issu du droit de l’environnement, et non du droit alimentaire. Dans le traité fondateur, il n’est d’ailleurs question du principe de précaution que dans le titre consacré à l’environnement649. Pourtant, le droit dérivé relatif à la protection de l’environnement est peu disert sur le sujet650, alors que le droit alimentaire encadre précisément ce principe depuis le règlement n° 178/2002. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles la réglementation phytopharmaceutique renvoie à la législation alimentaire pour les conditions de mise en œuvre du principe de précaution, et non au droit de l’environnement.

Un tel choix est aussi justifié par le fait que les produits phytopharmaceutiques peuvent se retrouver sous forme de résidus dans les aliments destinés à la consommation humaine et animale. Considérant que la mise sur le marché et l’utilisation de ces produits a des répercussions sur l’alimentation humaine et animale, il est somme toute logique que leur encadrement soit relié à la législation alimentaire. Pour autant, l’application du principe de précaution aux produits biocides, dont certains peuvent se retrouver dans l’alimentation humaine ou animale651, ne renvoie pas aux dispositions de la législation alimentaire. Le règlement n° 528/2012 qui encadre ces produits n’apporte d’ailleurs aucune précision sur les

649 L’article 191, paragraphe 2, du TFUE dispose ainsi : « La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement […] est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur » ;

l’ajout du principe de précaution comme étant l’un des principes fondateurs de la politique de la Communauté européenne dans le domaine de l’environnement date du traité sur l’Union européenne, Maastricht, 7 février 1992, JOCE C 191 du 29 juillet 1992, point 38) modifiant l’article 130 R, paragraphe 2.

650 VAN LANG (A.), Droit de l’environnement, 3ème éd., Presses Universitaires de France, Paris, 2011, n° 123. 651 Les produits biocides du type de produits 4 du groupe 1 (désinfectants) sont destinés à désinfecter les surfaces

en contact avec les denrées alimentaires et les aliments pour animaux et peuvent, de fait, se retrouver dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux : règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides,

conditions et modalités de mise en œuvre du principe de précaution652. Le renvoi du droit des produits phytopharmaceutiques aux dispositions prévues par le droit alimentaire pour le principe de précaution, quoique cohérent, ne va pour autant pas de soi. Il mérite, à ce tire, d’être souligné.

147. Un principe surtout utilisé pour protéger la santé humaine. Plus

généralement, le principe de précaution est aussi mis en œuvre, en particulier depuis l’affaire de l’ESB, et en France depuis l’affaire du sang contaminé qui l’a précédée, dans les domaines de la santé et de la sécurité alimentaire653. Le juge administratif français le mobilise même essentiellement, pour ne pas dire uniquement, pour protéger la santé humaine et non l’environnement per se, y compris dans les contentieux environnementaux654. Il est vrai que, selon l’article premier de la Charte de l’environnement, « [c]hacun a le droit de vivre dans un

environnement équilibré et respectueux de la santé ». L’application du principe de précaution,

défini à l’article 5 de cette Charte, a donc pour objet de contribuer à satisfaire ce droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Au niveau de l’Union européenne, l’application du principe de précaution en matière de protection de la santé humaine faite suite aux arrêts rendus par la CJCE le 5 mai 1998655 sur la maladie dite de la « vache folle ». Ces arrêts ont pour origine la contestation de la décision n° 96/239/CE656, par laquelle la Commission européenne a interdit les exportations de bovins, viandes et produits à base de viandes bovines depuis le Royaume-Uni, compte tenu du risque de transmission de l’encéphalopathie spongiforme bovine. Dans l’affaire C-180/96, la Cour valide la décision n° 96/239/CE, pourtant adoptée par la Commission en l’absence de certitudes scientifiques. La Cour affirme ainsi qu’ « il doit être admis que, lorsque des

incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre

652 Il est question, dans le règlement n° 528/2012 précité, du principe de précaution en termes généraux,

notamment au considérant n° 3 et à l’article 1.

653 HERMITTE (M.-A.), « Santé, environnement, pour une deuxième révolution hygiéniste », op. cit., p. 40 ;

COLLART DUTILLEUL (F.), FERCOT (C.), BOUILLOT (P.-E.) et COLLART DUTILLEUL (C.), « L’agriculture et les exigences du développement durable en droit français », op. cit., n° 52.

654 CANS (C.), « Les mutations du droit de l’environnement sous l’effet des préoccupations sanitaires », in

BILLET (P.), DUROUSSEAU (M.), MARTIN (G.-J) et TRINQUELLE (I.), (dir.), Droit de l’environnement et

protection de la santé, L’Harmattan, Coll. Logiques Juridiques, Paris, 2009, p. 199.

655 CJCE, Arrêt du 5 mai 1998, The Queen c. Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, Commissioners of Customs & Excise, ex parte National Farmers’Union e.a., Aff. C-157/96 ; CJCE, Arrêt du 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Commission, Aff. C-180/96.

656 Décision n° 96/239/CE de la Commission du 27 mars 1996 relative à certaines mesures d’urgence en matière

que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées »657.

Reprenant les principes posés par ces arrêts, la Commission européenne considère le principe de précaution, dans sa communication consacrée à ce principe, comme un « principe

d’application générale »658. Le champ d’application de ce principe dépasse ainsi la protection de l’environnement, pour englober aussi, notamment, la protection de la santé humaine, animale ou végétale659. Or, cette communication est considérée par le TPICE, non comme de simples recommandations, mais véritablement comme « une codification de l’état du

droit »660.

Pour finir, la doctrine relève que la jurisprudence de la Cour applique le principe de précaution aux contentieux sanitaires « sans même faire référence au principe d’intégration,

comme s’il s’agissait pour elle de mettre en œuvre un principe naturel de justification des décisions administratives »661. Il est vrai que dans les arrêts du 5 mai 1998 précités, la Cour avait justifié l’application à la protection de la santé du principe de précaution, par le principe d’intégration de la protection de l’environnement aux autres politiques communautaires, énoncé à l’article 130 R, paragraphe 2, du traité662. En effet, l’article 130 R, paragraphe 1, du traité, consacré à l’environnement, considère que « la protection de la santé des personnes » fait partie des objectifs auxquels contribue « [l]a politique de la Communauté dans le

domaine de l’environnement »663. Le paragraphe 2 de cet article 130 R précise ensuite que « [l]a politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de

657 CJCE, Arrêt du 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Commission, Aff. C-180/96, n° 99 ; cette formulation est reprise

dans l’autre arrêt rendu par le CJCE le 5 mai 1998 au sujet de la decision n° 96/239/CE, à savoir : The Queen c.

Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, Commissioners of Customs & Excise, ex parte National Farmers’Union e.a., Aff. C-157/96, n° 63.

658 Commission des Communautés européennes, Communication de la Commission sur le recours au principe de précaution, COM(2000) 1 final, 2 février 2000, n° 3, p. 2 et 10.

659 Ibid.

660 TPICE, Arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health SA c. Conseil de l’Union européenne, Aff. T-

13/99, n° 123 et 149.

661 EWALD (F.), GOLLIER (C.) et SADELEER (N.), op. cit., p. 93 ; voir aussi PARANCE (B.), « Les

entreprises face au principe de précaution », in FONBAUSTIER (L.) et MAGNIER (V.), (dir.), Développement

durable et entreprise, Dalloz, Coll. Thèmes et Commentaires, Paris, 2013, p. 60 : c’est en matière de santé

publique que le principe de précaution est le plus présent dans le droit de l’Union européenne.

662 Pour rappel, suite aux modifications apportées par le point 38) du traité sur l’Union européenne, Maastricht, 7

février 1992, JOCE C 191 du 29 juillet 1992, le principe d’intégration de la protection de l’environnement aux autres politiques est défini comme suit : « Les exigences en matière de protection de l’environnement doivent

être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté ». Le principe

d’intégration avait été introduit par l’Acte unique européen, JOCE L 169 du 29 juin 1987, Article 25 créant un titre VII consacré à l’environnement, en ces termes : « Les exigences en matière de protection de

l’environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté ». Le principe d’intégration de la

protection de l’environnement figure désormais à l’article 11 du TFUE, ainsi rédigé : « [l]es exigences de la

protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ».

663 Article 130 R tel que modifié par le traité sur l’Union européenne, Maastricht, 7 février 1992, JOCE C 191 du

protection élevé » et se trouve « fondée », notamment, sur le principe de précaution664. La Cour déduit donc de l’ensemble de ces dispositions que le principe de précaution s’applique à la protection de la santé665.

Les conditions de mise en œuvre du principe de précaution, données par la Cour dans les arrêts relatifs à la maladie dite de la « vache folle »666, ont ensuite été enrichies.

148. Un principe renforcé suite à son application à la protection de la santé humaine. En témoigne l’affaire T-74/00 relative à une demande d’annulation de décisions de

retrait d’autorisation de médicaments à usage humain prises par la Commission, dans laquelle le Tribunal affirme : « Bien qu’il soit uniquement mentionné dans le traité en relation avec la

politique de l’environnement, le principe de précaution […] a vocation à s’appliquer, en vue d’assurer un niveau de protection élevé de la santé, de la sécurité des consommateurs et de l’environnement, dans l’ensemble des domaines d’action de la Communauté. […] Il en résulte que le principe de précaution peut être défini comme un principe général du droit communautaire imposant aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques »667. Pour le Tribunal, non seulement le principe de précaution, considéré comme un principe général du droit communautaire, a vocation à s’appliquer à la protection de la santé publique et de la sécurité en plus de la protection de l’environnement, mais cette application doit aussi primer sur les intérêts économiques. Il s’agit là d’un point important car la Cour avait, certes, déjà reconnu la suprématie sur les intérêts économiques de l’objectif de protection de la santé668, mais pas de l’objectif de protection de l’environnement. Ainsi, le principe de précaution, issu du droit de l’environnement, revient vers ce droit enrichi et renforcé suite à son essaimage dans le domaine de la protection de la santé.

664 Ibid.

665 CJCE, Arrêt du 5 mai 1998, Royaume-Uni c. Commission, Aff. C-180/96, n° 100 ; CJCE, Arrêt du 5 mai

1998, The Queen c. Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, Commissioners of Customs & Excise, ex parte

National Farmers’Union e.a., Aff. C-157/96, n° 64.

666 CJCE, Arrêt du 5 mai 1998, The Queen c. Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, Commissioners of Customs & Excise, ex parte National Farmers’Union e.a., Aff. C-157/96, n° 63 ; CJCE, Arrêt du 5 mai 1998,

Royaume-Uni c. Commission, Aff. C-180/96, n° 99.

667 TPICE, Arrêt du 26 novembre 2002, Artegodan Gmbh et autres c. Commission des Communautés européennes, aff. T-74/00, n° 183 et 184.

668 Cette suprématie a été reconnue pour la première fois dans l’ordonnance du 12 juillet 1996, Royaume-Uni c.

Commission, Aff. C-180/96, n° 93 : « tout en admettant les difficultés d’ordre économique et social engendrées

au Royaume-Uni par la décision de la Commission, la Cour ne peut que reconnaître l’importance prépondérante à accorder à la protection de la santé ».

Les conditions de mise en œuvre du principe de précaution définies par la législation alimentaire de l’Union européenne offrent une autre illustration des évolutions de ce principe suite à son application en matière de protection de la santé humaine.

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