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Paragraphe II. Des extrapolations sources d’incertitudes scientifiques

B. Une réalité seulement approchée

55. L’obligation de prendre en compte les conditions réelles. L’OMC impose

que l’évaluation des risques ne se contente pas d’expériences de laboratoire mais reflète les conditions réelles d’exposition. Dans le différend concernant le refus par les Etats membres de la Communauté économique européenne de laisser commercialiser sur leur territoire des viandes de bœuf traitées aux hormones en provenance des Etats-Unis, l’organe d’appel précise ainsi que « le risque qui doit être évalué dans le cadre d’une évaluation des risques

[…] n’est pas uniquement le risque qui est vérifiable dans un laboratoire scientifique fonctionnant dans des conditions rigoureusement maîtrisées, mais aussi le risque pour les sociétés humaines telles qu’elles existent en réalité, autrement dit, les effets négatifs qu’il pourrait effectivement y avoir sur la santé des personnes dans le monde réel où les gens vivent, travaillent et meurent »314.

56. La difficile évaluation de l’exposition et de la contamination réelles. Pour

refléter plus fidèlement la réalité, l’évaluation des risques liés aux pesticides et à leurs composants doit donc prendre en compte les conditions réelles d’exposition de l’homme et des organismes non cibles, ainsi que la contamination réelle de l’environnement. A la lecture

313 LASCOUMES (P.), L’éco-pouvoir – environnements et politiques, La Découverte, Paris, 1994, p. 301. 314 Organisation mondiale du commerce, Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés (hormones), Rapport de l’Organe d’appel, WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, 16 janvier 1998, n° 187.

de nombreux rapports et études, il apparaît que cette évaluation s’avère complexe315, très onéreuse316, et toujours irrésolue par l’Observatoire des résidus de pesticides, dont c’est pourtant l’une des tâches317. La multiplicité des sources d’exposition aux pesticides, à savoir l’air, l’eau, le sol mais aussi l’alimentation, est notamment en cause318. Pour exemple, l’étude française PESTEXPO a mis en évidence que l’exposition des applicateurs de pesticides n’était, contre toute attente et contre les fondements des études épidémiologiques jusqu’alors, pas proportionnelle à la surface traitée ou à la quantité de pesticides utilisée, mais fonction des modalités d’application et de la qualité de protection de l’applicateur319. Cette étude a également montré que les applicateurs n’étaient pas les seules personnes exposées. Toutes les personnes présentes sur la parcelle agricole et à proximité, au moment du traitement, sont ainsi exposées aux pesticides lors de leur application.

57. La complémentarité des études toxicologiques et épidémiologiques.

Comme il a été dit précédemment, les observations de terrain et leur traitement épidémiologique peuvent venir au secours de l’évaluation toxicologique des risques. Ces deux disciplines sont en effet complémentaires.

Ainsi, les études toxicologiques permettent de relier précisément une substance ou un produit à un effet nocif donné, puisque les conditions expérimentales permettent de n’étudier qu’une substance ou un produit à la fois. Cependant, ces études, conduites en laboratoire et sur un nombre réduit d’espèces animales et végétales, ne peuvent, de fait, reproduire complètement les conditions réelles d’exposition de l’homme, des animaux et de l’environnement à un produit nocif.

Les études épidémiologiques représentent, au contraire, les conditions réelles d’exposition puisqu’elles consistent à tirer des conclusions à partir de l’observation de cas concrets. Elles

315 AYELE (J.), op. cit., p. 105 ; AUBERTOT (J.-N.) et al., op. cit., p. 26 et s. ; DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 28 et 86 ; GATIGNOL (C.) et ETIENNE (J.-C.), op. cit., p. 86 ; NTZANI (E.E.),

CHONDROGIORGI (M.), NTRITSOS (G.), EVANGELOU (E.) et TZOULAKI (I.), Literature review on

epidemiological studies linking exposure to pesticides and health effects, External scientific report of EFSA,

2013, 159p. ; CREVECOEUR (S.) et REMY (S.), « Evaluer l’exposition des enfants aux pesticides, tout un défi ! », Bulletin de veille scientifique de l’Anses, n° 24, Juillet 2014, p. 18-21.

316 JAS (N.), « Pesticides et santé des travailleurs agricoles en France – Questions anciennes, nouveaux enjeux », Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 59, Octobre 2010, p. 52.

317 DAB (W.) et SALOMON (D.), op. cit., p. 119-120.

318 DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 28 ; GATIGNOL (C.) et ETIENNE (J.-C.), op. cit., p. 86. 319 GATIGNOL (C.) et ETIENNE (J.-C.), op. cit., p. 95.

aboutissent, en revanche, le plus souvent, à la mise en cause d’un faisceau de facteurs causaux, difficilement à un seul d’entre eux320.

58. Un lien de causalité difficile à établir. Ces études d’évaluation des risques,

qu’elles fassent appel à la toxicologie ou à l’épidémiologie, posent le problème plus général de l’établissement du lien de causalité. Il s’agit ainsi de relier, premièrement, un produit donné, deuxièmement, le niveau d’exposition d’un organisme à ce produit ou de contamination de l’environnement par ce produit, et troisièmement enfin, un effet nocif constaté sur des organismes ou écosystèmes. Les difficultés rencontrées pour établir ce lien de causalité expliquent peut-être le manque d’études relatives aux pathologies développées par les agriculteurs et les travailleurs agricoles exposés aux produits phytopharmaceutiques, ce manque faisant l’objet de critiques321. Ainsi, les études éventuellement réalisées portent seulement sur certaines pathologies, les plus graves, et concernent principalement les viticulteurs et les ouvriers viticoles, qui font partie des plus exposés aux risques phytopharmaceutiques322.

Au demeurant, ce lien est encore plus délicat à établir lorsqu’est en cause une exposition à de faibles doses de produit sur une longe période323. En effet, il est alors nécessaire de conduire des études épidémiologiques sur un grand nombre d’organismes, pendant une longue période, tout en prenant en compte de très nombreux paramètres. De fait, ces études sont très coûteuses et parviennent difficilement à identifier une seule cause, d’autant moins lorsqu’il s’agit d’étudier des pathologies multifactorielles comme le cancer324. A titre d’illustration, une analyse réalisée par l’EFSA à partir de plus de six mille études conduites après 2006 peine à établir le lien de causalité entre exposition aux pesticides d’une part, et effets nocifs pour la santé humaine d’autre part325. Ce lien a pu être établi pour seulement deux pathologies, à savoir les leucémies infantiles et la maladie de Parkinson326. De la même façon, si les pesticides sont souvent accusés d’être responsables, au moins en partie, de l’augmentation de la mortalité des abeilles observée depuis quelques années, les études scientifiques peinent à le démontrer. En atteste le non-lieu récemment rendu par l’instruction

320 DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 35 et s., 38 et 69.

321 JAS (N.), « Pesticides et santé des travailleurs agricoles en France – Questions anciennes, nouveaux enjeux », op. cit., p. 52.

322 Ibid.

323 AUBERTOT (J.-N.) et al., op. cit., p. 35.

324 GATIGNOL (C.) et ETIENNE (J.-C.), op. cit., p. 192 et 193 ; GUEGUEN (L.), « Agriculture et "résidus

chimiques" dans les aliments », Cholé-Doc, n° 127, Novembre-décembre 2011, p. 2.

325 NTZANI (E.E.) et al., op. cit.. 326 Ibid.

judiciaire ouverte depuis 2001 sur le pesticide Gaucho fabriqué par Bayer, accusé d’être toxique pour les abeilles327.

En matière de toxicité chronique sur le long terme, les études toxicologiques doivent, tout comme les études épidémiologiques, être conduites suffisamment longtemps, ce qui s’avère bien évidemment coûteux328. Pourtant, les études de toxicité à long terme et de cancérogénicité requises en matière d’évaluation des substances actives phytopharmaceutiques sont plutôt longues, soit en général deux ans329. Comparativement, celles menées en matière d’évaluation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) sont courtes. Cette courte durée a d’ailleurs été relevée par l’ANSES dans son avis sur l’étude publiée par le Professeur Séralini démontrant l’apparition de tumeurs chez des souris exposées à un mélange d’OGM et du produit phytopharmaceutique Roundup330.

Les incertitudes scientifiques qui entourent l’évaluation des effets nocifs des différents composants d’un pesticide sont donc nombreuses. Il faut encore leur ajouter les incertitudes liées à l’évaluation des effets nocifs dus à l’association de plusieurs substances ou pesticides.

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