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Conclusion du chapitre I Il ressort de l’ensemble de ces développements que

Paragraphe II. Un début d’évaluation des mélanges de produits

B. Des dispositions générales compromises par des connaissances limitées

71. Conclusion du chapitre I Il ressort de l’ensemble de ces développements que

l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement liés aux produits phytopharmaceutiques et à leurs composants est confrontée à de nombreuses incertitudes. Celles liées à l’évaluation des substances et produits ayant des effets perturbateurs endocriniens, plus généralement les incertitudes liées aux « faibles doses », peuvent même être qualifiées d’irréductibles. En effet, un modèle toxicologique unique ne peut être établi pour ces substances qui réagissent très différemment les unes des autres, en plus de réagir différemment du modèle toxicologique traditionnel qui veut que les effets soient proportionnels à la dose de substance. Il en est de même pour l’évaluation de l’ « effet cocktail ». La combinaison des substances et produits chimiques rejetés dans l’environnement, ainsi que des substances naturellement présentes dans l’environnement, est telle qu’il devient presque impossible d’évaluer les effets de toutes les interactions.

Ces incertitudes amènent à remettre en question la fiabilité de l’évaluation des risques préalable à la mise sur le marché des pesticides. Le principe même de cette évaluation pose également question, dans la mesure où cette évaluation ne peut refléter parfaitement la

370 JOUZEL (J.-N.) et LASCOUMES (P.), « Le règlement REACH : une politique européenne de l’incertain. Un

détour de régulation pour la gestion des risques chimiques », Politique européenne, n° 33, 2011, p. 192, voir aussi note de bas de page n° 7 p. 192 : « Dans l’ensemble des 100 000 substances en circulation, on considère

que seuls 3 % ont été sérieusement évalués, que pour 11 % les données sont incomplètes, pour 65 % elles sont minimales et absentes pour 21 % ».

371 DAB (W.), Santé et environnement, op. cit., p. 38.

372 Commission des Communautés européennes, The impact assessment of the thematic strategy on the sustainable use of pesticides, Commission staff working paper accompanying the proposal for a directive of the

european Parliament and of the Council establishing a Framework for Community action to achieve a sustainable use of pesticides, SEC(2006) 894, 12 juillet 2006, p. 6.

réalité374. Il en est d’ailleurs ainsi de toutes les évaluations des risques préalables à l’autorisation de produits, et même d’activités humaines375. Si la nocivité d’un produit ou d’une activité peut être prouvée à l’aide d’un seul cas, l’innocuité de ce produit ou de cette activité est quasiment impossible à démontrer376.

Or, face à ces incertitudes scientifiques, le droit qui encadre la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques reste pour ainsi dire impuissant. Telle est sa posture lorsqu’il s’en remet, par exemple, à l’adoption de méthodes scientifiques officielles pour évaluer les effets de perturbation endocrinienne, tout en interdisant les substances et produits ayant de tels effets. Dans ces cas là, le droit des produits phytopharmaceutiques, comme l’ensemble du droit de l’environnement, peine « à camoufler l’incertitude scientifique qui reste encore

prédominante dans les sciences de la nature et de la vie en dépit des progrès de la connaissance »377. Comme tous les domaines liés aux sciences, le droit des pesticides ne parvient pas à offrir des « critères valides de décision politique »378, tout du moins pas dans

tous les cas. Loin du « souci de prévisibilité, d’efficacité et de cohérence »379 qui doit

théoriquement la guider, la procédure d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques traduit, en réalité, une certaine insécurité juridique. Il s’ensuit que les décisions d’autorisation des substances et produits phytopharmaceutiques risquent de se voir instrumentalisées par les sciences, leurs incertitudes et l’exploitation faite de ces incertitudes380. Or, certains sociologues dénoncent le phénomène qui consiste, pour des grandes entreprises, à financer des travaux scientifiques destinés, non pas à réduire l’incertitude mais à en produire, afin de « retarder l’établissement de preuves scientifiques

qui peuvent s’avérer contraignantes pour leurs activités »381.

Les incertitudes scientifiques qui résultent de l’évaluation toxicologique des produits

374 HERMITTE (M.-A.), « Santé, environnement, pour une deuxième révolution hygiéniste », in PRIEUR (M.)

et LAMBRECHTS (C.), (dir.), Les hommes et l’environnement – Quels droits pour le vingt-et-unième siècle ?, Frison-Roche, Paris, 1998, p. 41-42.

375 Ibid.

376 DUPUY (J.-P.), Pour un catastrophisme éclairé – Quand l’impossible est certain, op. cit., p. 89-90 et 135. 377 PRIEUR (M.), « Introduction – Incertitude juridique, incertitude scientifique et protection de

l’environnement », in Incertitude juridique, Incertitude scientifique, Presses Universitaires de Limoges, Les Cahiers du CRIDEAU, Actes du séminaire de l’Institut fédératif « Environnement et eau », Limoges, 5 avril 2000, p. 15.

378 LASCOUMES (P.), L’éco-pouvoir – environnements et politiques, La Découverte, Paris, 1994, p. 301. 379 Règlement (CE) n° 1107/2009, op. cit., considérant n° 12 et 25.

380 L’instrumentalisation du droit de l’environnement par les sciences est dénoncé par une partie de la doctrine,

par exemple : OST (F.), La nature hors la loi – L’écologie à l’épreuve du droit, op. cit., p. 17 ; MARTIN (G. J.), « La "vérité" scientifique à l’épreuve du droit – L’exemple du droit de l’environnement », in SUEUR (J.-J.), (dir.), Le vrai, le faux, le juste, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 15-25.

381 JOLY (P.-B.), « De quoi discutent les sociologues des controverses ? », INRA Magazine, n° 23, Décembre

phytopharmaceutiques et de leurs composants peuvent toutefois être réduites par les observations de terrain et leur traitement épidémiologique. Tout du moins en partie puisque les études épidémiologiques ont du mal à garantir le lien de causalité entre une substance isolée et un effet néfaste observé. En outre, ces études épidémiologiques n’interviennent qu’une fois le produit déjà mis sur le marché et utilisé. L’obligation faite aux agences en charge de la vérification de l’évaluation des risques, de prendre en compte tous les avis scientifiques, y compris les avis minoritaires, doit également permettre de mieux cerner les incertitudes scientifiques. Elle est un gage d’indépendance, tout comme d’autres obligations procédurales et institutionnelles. Malgré tout, cette indépendance ne peut être parfaite.

Chapitre II. Les limites intrinsèques de l’indépendance de

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