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Une remise en cause possible du système de déclarations d’intérêts

Paragraphe II. Des conflits d’intérêts persistants

B. Des mesures correctives insuffisantes

III. Une remise en cause possible du système de déclarations d’intérêts

132. Des déclarations d’intérêts potentiellement attentatoires au respect de la vie privée. Deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel le 9 octobre 2013613 au sujet des lois n° 2013-906614 et n° 2013-907615 relatives à la transparence de la vie publique pourraient remettre en cause certaines dispositions concernant les déclarations publiques d’intérêts prévues en matière d’expertise sanitaire. Le Conseil constitutionnel considère ainsi comme une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée616 l’obligation de déclarer les activités professionnelles exercées par les enfants et les parents du déclarant, et a

fortiori celles des autres membres de sa famille617. En conséquence, seule l’obligation de mentionner les activités professionnelles du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin du déclarant peut être mentionnée dans la loi n° 2013-907618. Or, l’arrêté du 5 juillet 2012 précité, qui fixe le document type de la déclaration d’intérêts en matière de santé publique, prévoit, dans sa rubrique n° 5, que les activités professionnelles des enfants et parents du déclarant soient précisées, si toutefois elles ont un lien avec celle du déclarant. Cette obligation pourrait donc être remise en question suite à la décision n° 2013- 676 DC du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel considère également que la sanction de l’obligation faite par la loi n° 2013-907 de déclarer les « autres liens susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts », sans que ces liens soient précisés, constitue une atteinte au principe de légalité des délits et des peines619. Or, l’arrêté du 5 juillet 2012 demande, à sa rubrique n° 6, que soient déclarés

613 Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-675 DC sur la loi organique relative à la transparence de la vie

publique, 9 octobre 2013 ; Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-676 DC sur la loi relative à la transparence de la vie publique, 9 octobre 2013.

614 Loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JORF n° 238 du

12 octobre 2013.

615 Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JORF n° 238 du 12 octobre

2013.

616 Le droit au respect de la vie privée est défini par : l’article 9 du code civil, qui dispose que « [c]hacun a droit au respect de sa vie privée » ; l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et

des libertés fondamentales, selon lequel « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».

617 Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-676 DC sur la loi relative à la transparence de la vie publique, 9

octobre 2013, considérant n° 15.

618 Ibid.

619 Ibid., considérant n° 28. Le principe de légalité des délits et des peines est fixé par : l’article 8 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à laquelle renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée

antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; l’article 34 du la Constitution du 4 octobre 1958, selon

lequel « [l]a loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et des délits ainsi que les peines qui

leur sont applicables » ; l’article 111-2 du code pénal, selon lequel « [l]a loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs » ; l’article 111-3 du code pénal, selon lequel : « Nul ne peut être puni

les « autres liens d’intérêt » que le déclarant considère devoir porter à la connaissance de l’organisme objet de la déclaration, sans autres précisions. Comme il a été dit, l’omission de déclaration de ces liens est pénalement sanctionnée par l’article 3 de la loi n° 2011-2012. Cette rubrique de la déclaration type prévue par l’arrêté du 5 juillet 2012 pourrait donc être considérée comme inconstitutionnelle. A moins qu’elle ne soit précisée par l’organisme employant le déclarant, comme le prévoit la rubrique n° 6 de l’arrêté du 5 juillet 2012. Le Conseil constitutionnel remet enfin en cause la publicité des déclarations d’intérêts remplies par les « personnes exerçant des responsabilités de nature administrative et n’étant

pas élues par les citoyens »620. Il considère que le contrôle de ces déclarations d’intérêts est déjà assuré par la Haute autorité et par l’autorité administrative compétente. Dès lors, la publicité des déclarations d’intérêts « porte une atteinte disproportionnée au droit au respect

de la vie privée de ces personnes »621. Cette décision pourrait donc remettre en cause l’obligation de publicité des déclarations publiques d’intérêts remplies par les membres des agences sanitaires, à l’occasion par exemple d’une question prioritaire de constitutionnalité622.

Comment, en effet, « un objectif de neutralité des décisions de santé publique pourrait-il

justifier l’atteinte au droit au respect de la vie privée ? »623. En conséquence, le système des déclarations publiques d’intérêts, qui constitue le cœur du dispositif de prévention des conflits d’intérêts, pourrait s’en trouver « pour le moins anéanti »624.

133. Conclusion du chapitre II. L’indépendance de l’évaluation des produits

phytopharmaceutiques et de leurs composants s’est progressivement affirmée sur les plans institutionnel, procédural et substantiel, tant au niveau de l’Union européenne qu’au niveau français. Elle n’en reste pas moins imparfaite. L’évaluation des risques et de l’efficacité des produits phytopharmaceutiques et de leurs composants peut en effet difficilement s’extraire de toute considération socio-économique, pourtant théoriquement mobilisée au seul stade de l’autorisation de ces produits. Les experts en charge de l’évaluation sont par ailleurs « en

pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi […]. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit ».

620 Conseil constitutionnel, Décision n° 2013-676 DC sur la loi relative à la transparence de la vie publique, 9

octobre 2013, considérant n° 22.

621 Ibid.

622 LAUDE (A.), « Les conflits d’intérêts en santé au lendemain des décisions du Conseil constitutionnel du 9

octobre 2013 », Recueil Dalloz, n° 37, 31 octobre 2013, p. 2485.

623 Ibid. 624 Ibid.

interaction constante » avec les décideurs publics625. Cette difficile distinction entre l’évaluation des risques et de l’efficacité d’une part, et la prise en compte d’autres considérations, notamment socio-économiques, d’autre part, peut en outre être menacée, au niveau français, par le futur rattachement à l’ANSES de la mission de délivrance des autorisations de pesticides. Concernant la séparation de l’évaluation des produits phytopharmaceutiques et de leurs composants vis-à-vis des intérêts privés, les améliorations successives du système de prévention des conflits d’intérêts limitent ces conflits, sans les supprimer complètement.

En conséquence, l’indépendance de l’évaluation phytopharmaceutique ne peut être complètement garantie, tant vis-à-vis de l’autorité compétente en charge des décisions d’autorisation que vis-à-vis des intérêts privés. De fait, il ne peut être assuré que les incertitudes liées à certains effets nocifs, comme les effets perturbateurs endocriniens ou l’ « effet cocktail », seront correctement évaluées et prises en compte.

Toutefois, partant du constat que l’indépendance de l’expertise est impossible à atteindre, la pluralité et le contradictoire de cette expertise devraient permettre de contrebalancer son inévitable partialité. La prise en compte, au stade de l’autorisation, des incertitudes mises en évidence par l’évaluation, à travers le principe de précaution, peut constituer un autre contrepoids.

625 DELMAS-MARTY (M.), Les forces imaginantes du droit (III) – La refondation des pouvoirs, Seuil, Coll. La

Chapitre III. Le principe de précaution contraint par le principe

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