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Des « produits » phytopharmaceutiques aux « pratiques » agricoles A ce

II. Des changements de pratiques agricoles attendus

28. Des « produits » phytopharmaceutiques aux « pratiques » agricoles A ce

stade de l’analyse se dessine l’interrogation centrale de notre étude. Comment le droit des produits phytopharmaceutiques qui, comme son nom l’indique, encadre des « produits », peut-il, à lui seul, susciter les profonds changements de « pratiques » agricoles attendus ? Comment ce droit, attaché à prévenir et réduire les risques pour la santé et l’environnement présentés par les pesticides, peut-il parvenir à orienter les pratiques agricoles vers des pratiques alternatives à ces produits ? Autant demander au droit des produits phytopharmaceutiques de devenir, à lui seul, la politique agricole commune, ou encore une loi française d’orientation agricole. Pour faire un autre parallèle, c’est comme si le pan du droit de l’environnement attaché à prévenir les risques de pollution et nuisances devait se mettre à

191 Directive 2009/128/CE, op. cit., considérant n° 5. 192 Ibid., Article 14.

orienter l’industrie vers un modèle protecteur des ressources naturelles, cette protection étant assurée par un tout autre ensemble de règles de protection de l’environnement, bien séparées de la prévention des risques. Cette dichotomie du droit de l’environnement fait d’ailleurs l’objet de critiques, étant tenue pour partie responsable des difficultés du droit de l’environnement à atteindre son but194.

Il se trouve que la stratégie thématique a aussi pour ambition « d’élaborer une approche

horizontale transversale, qui dépassera largement la portée relativement limitée de ces instruments juridiques spécifiques » que sont, selon la stratégie thématique, la politique de

l’eau ou la politique agricole commune195. Il est toutefois permis de douter qu’elle y parvienne. En effet, même si les nouveaux outils juridiques mis en place par la directive 2009/128/CE pour encadrer l’usage des pesticides tentent d’aller au-delà de la simple limitation des risques pour la santé et l’environnement liés à ces produits, il n’est pas évident qu’ils réussissent, à eux seuls, à modifier les pratiques agricoles, ou en tout cas suffisamment pour réduire la dépendance agricole vis-à-vis des pesticides. D’ailleurs, ces outils datent déjà, pour certains au moins, du plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides 2006-2009. Or, la consommation française de pesticides est toujours aussi élevée, même s’il est vrai que les produits utilisés présentent moins de risques pour la santé et l’environnement196. Pour cause, les pesticides sont à la fois faciles d’emploi, ont une efficacité connue et un faible coût197. Ils font en outre partie d’un système agroindustriel fondé sur l’emploi d’intrants agrochimiques fermé sur lui-même, comme il a déjà été expliqué198.

Pour changer de pratiques agricoles il est, en toute logique, nécessaire de modifier en profondeur l’ensemble du droit agricole. Comme le projetait la stratégie thématique, les règles de la politique agricole commune, qui influencent considérablement le modèle agricole

194 HERMITTE (M.-A.), « Le concept de diversité biologique et la création d’un statut de la nature », in

EDELMAN (B.) et HERMITTE (M.-A.), (dirs.), L’homme, la nature et le droit, Christian Bourgeois, Paris, 1988, p. 239.

195 Commission des Communautés européennes, Stratégie thématique concernant l'utilisation durable des pesticides, op. cit., p. 7.

196 Entre 2008 et 2011, l’utilisation de pesticides a même légèrement augmenté, favorisée, en 2010, par

l’augmentation des prix des produits végétaux et la diminution du prix de l’ensemble des intrants, pesticides compris : Commissariat général au développement durable, Les indicateurs de la stratégie nationale de

développement durable 2010-2013, Repères, Mars 2013, p. 76-77. Si en 2012 le nombre de doses unité (NODU)

a baissé par rapport à 2011, cet indicateur reste stable entre 2009 et 2012 : Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Tendances du recours aux produits phytosanitaires de 2008 à 2012, Note de suivi 2013, 30p.

197 AUBERTOT (J.-N.) et al., op. cit., p. 9 ; FAO, Produire plus avec moins, Guide à l’intention des décideurs

sur l’intensification durable de l’agriculture paysanne, Rome, 2011, p. 68.

communautaire et les modèles agricoles de chaque Etat membre, doivent être adaptées en conséquence. Loin de favoriser la monoculture et la concentration des exploitations agricoles comme elles l’ont fait au début, elles doivent au contraire massivement encourager la diversification des cultures et le maintien des haies et talus séparant les parcelles et exploitations agricoles. Il en est de même des règles sectorielles. La sélection des semences doit être réorientée, comme y invite un député français199, vers la résistance aux ravageurs des cultures et des semences plus rustiques, plutôt que la recherche première de forts rendements. Les cultures génétiquement modifiées résistantes à un pesticide donné, fortes consommatrices de ce pesticide, sont sans doute amenées à être reconsidérées. Il en est vraisemblablement de même des agrocarburants de première génération. La culture de végétaux destinés à la production de carburant implique en effet, pour éviter la compétition avec les cultures agroalimentaires, de forts rendements, qui sous-tendent une utilisation massive de pesticides, tout du moins dans le modèle agroindustriel actuel. Les industries agroalimentaires et les consommateurs peuvent aussi inciter, à travers leurs achats, à orienter le modèle agricole vers des pratiques économes en pesticides, alors qu’ils ont plutôt tendance, pour l’heure, à entretenir l’emploi de pesticides du fait de leur préférence pour des produits « zéro

défaut »200. La participation du public au processus décisionnel et de justice en matière de protection phytosanitaire peut aussi contribuer à orienter les méthodes agricoles vers une protection phytosanitaire plus respectueuse de la santé et de l’environnement. Or, l’analyse de certains de ces droits, loin de mettre à jour les modifications profondes attendues, révèle un manque d’adaptation. C’est ainsi le cas du cadre relatif aux informations sur les pratiques agricoles apportées sur les produits agroalimentaires, via en particulier les labels. Ce cadre a retenu notre attention dans la mesure où il cible le dernier maillon de la chaîne agroalimentaire et, ce faisant, participe à l’établissement de l’approche globale projetée par la stratégie thématique. Il fait en outre appel à des mécanismes de marché, alors que le droit des produits phytopharmaceutiques est essentiellement constitué de règles de police administrative. Le rôle joué par la politique agricole commune dans l’adoption de méthodes économes en pesticides a également été choisi pour notre étude, compte tenu du rôle fondamental des règles de cette politique dans l’orientation du modèle agricole. Il se

199 Assemblée nationale, Question écrite n° 118437, JO AN du 27 septembre 2011, p. 10190 – Réponse du

ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire, JO AN du 20 mars 2012, p. 2415.

trouve que l’encadrement des pratiques agricoles par la politique agricole commune et les certifications de produits, peine, comme le droit des produits phytopharmaceutiques, à dépasser la simple réduction des risques pour la santé et l’environnement, à l’instar de l’ensemble du droit de l’environnement consacré aux pollutions et nuisances. Le droit des produits phytopharmaceutiques, comme ces autres droits agricoles, limite, en réalité, l’adoption de pratiques agricoles alternatives à un niveau insuffisant pour permettre la mise en place d’un nouveau modèle agricole. Le changement de paradigme n’a pas lieu, tout du moins à ce stade. L’approche globale essayée par la stratégie thématique sur l’utilisation durable des pesticides, particulièrement novatrice puisqu’elle tente de dépasser la dichotomie qui structure le droit de l’environnement, nécessite sans doute de plus de temps pour se mettre en place (Seconde partie). Quant à l’encadrement de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, son rôle s’avère, sans grand étonnement, limité dans la réduction de la dépendance à l’égard des pesticides. S’il permet de réduire les risques pour la santé et l’environnement liés à ces produits, ce qui sera à démontrer, son rôle ne va toutefois pas au- delà (Première partie). Loin de devenir, comme l’appellent la stratégie thématique communautaire et le Grenelle de l’environnement, un droit embrassant l’ensemble de la protection phytosanitaire, le droit des produits phytopharmaceutiques ne parvient encore pas à dépasser l’encadrement sectoriel de ces produits.

Première partie : Marché des produits phytopharmaceutiques, un encadrement limité Seconde partie : Pratiques agricoles, un encadrement encore limitant

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