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2.4 Une grossesse apr` es un deuil pr´ enatal

2.4.4 V´ ecu de la relation m` ere-foetus/b´ eb´ e

Le temps de la grossesse est aussi marqu´e par l’´emergence d’une relation entre la m`ere et son futur b´eb´e. Comment peut-elle s’instaurer lorsque « l’ombre de l’enfant non n´e » plane sur cette nouvelle grossesse (Squires, 2004) ?

2.4.4.1 Absence de rˆeverie maternelle et difficult´e d’investissement du b´eb´e `a venir

Il est tr`es difficile pour une femme ayant perdu un fœtus/b´eb´e d’investir pleinement cette nouvelle grossesse caract´eris´ee par l’agressivit´e En effet, cette m`ere s’investit concr`etement dans sa grossesse, r´ealise tous les examens n´ecessaires, adopte les comportements et les recommandations donn´ees par les soignants afin de donner les meilleures chances possibles `

a son b´eb´e et `a elle-mˆeme. Mais simultan´ement, persiste dans son esprit l’id´ee que la grossesse risque de ne pas aboutir (Cote-Arsenault & Dombeck, 2001). Pour elle, « ˆetre enceinte » n’est plus synonyme de donner naissance `a un enfant. Cette id´ee a vol´e en ´eclat du fait de la perte fœtale (Cote-Arsenault & Marshall, 2000). Jusqu’`a la naissance, ce sera l’insoutenable attente.

Investir l’enfant ne semble donc plus possible. « Cette nouvelle conception apparaˆıt fig´ee par la perte » (Squires, 2004, p. 276). La capacit´e de rˆeverie maternelle est nettement diminu´ee voire absente en d´ebut de grossesse. « C’est une p´eriode de blanc de fantasmes o`u l’anticipation et les rˆeveries sont entrav´ees, voire impossibles » (Soubieux, 2013, p. 142). La capacit´e de rˆeverie pourra r´eapparaˆıtre quand le fœtus bougera et que certaines dates anniversaires seront pass´ees. Pourtant, les mouvements du fœtus n’´eveillent pas la mˆeme vie imaginaire que lors des grossesses habituelles. Les repr´esentations maternelles, dans la majorit´e des cas, sont sid´er´ees. Les femmes ne parlent pas de leur b´eb´e. Elles ne peuvent anticiper son arriv´ee. Toute leur ´energie est concentr´ee sur cette interminable attente.

2.4.4.2 Diff´erenciation des deux grossesses

Il est fr´equent que, lors de la nouvelle grossesse, les repr´esentations du fœtus mort se super- posent avec celles, tr`es pauvres, du b´eb´e `a venir. Dans d’autres cas le fœtus mort envahit tout le psychisme de la m`ere (Soubieux, 2008). En effet, les images de la rencontre avec le fœtus mort, parfois par l’absence d’accompagnement de l’´equipe soignante et d’´elaboration psychique, peuvent rester fig´ees dans la psych´e parentale : « Ce moment traumatique im- mobilise ainsi l’enfant narcissique du dedans et le met sous s´equestre » (Bydlowski, 2011, p. 13). Lors d’une grossesse suivante, ces repr´esentations peuvent ressurgir et il est sou- vent d´ecrit une difficult´e alors `a diff´erencier les deux grossesses et les deux fœtus « l’enfant

«s´equestr´e» peut se maintenir envers et contre le nouvel objet qui, pourtant pr´esent, n’est pas per¸cu » (Bydlowski, 2011, p. 13). Cette diff´erenciation va pourtant s’av´erer n´ecessaire pour que le lien `a l’enfant suivant ne soit pas fusionn´e avec l’enfant perdu, pour que le dernier puisse avoir une identit´e propre et ne pas ˆetre ce qui est souvent nomm´e enfant de remplacement : « L’objectif implicite de la ritualisation serait d’´eviter, pour l’enfant de la grossesse suivante, que l’id´eal maternel ne soit fig´e par la mort et que ne lui ´echoie le statut d’enfant de remplacement » (Bydlowski, 2011, p. 10), c’est `a dire un enfant qui arrive en remplacement de l’enfant perdu, « il doit remplacer l’aˆın´e (. . . ) il est condamn´e `

a non ˆetre : il lui est interdit d’avoir une identit´e propre » (Porot, 1993, p. nc). Ce travail psychique de diff´erentiation des fœtus pourra se faire en diff´erenciant d’abord les gros- sesses (Squires, 2004). « Lorsque le terme correspondant `a la mort du fœtus pr´ec´edent est d´epass´e, la venue de perceptions inconnues modifie ce v´ecu. Des m`eres commencent alors `a diff´erencier les deux grossesses puis les deux fœtus eux-mˆemes » (Soubieux, 2008, p. 127). Ce sera alors un des enjeux principaux de cette nouvelle grossesse que de permettre un travail psychique de diff´erenciation entre les deux grossesses et les deux fœtus. Et ceci afin que le lien `a l’enfant `a naˆıtre ne se confonde pas avec celui `a l’enfant perdu et que ce b´eb´e `

a venir puisse avoir une identit´e propre.

2.4.4.3 Attachement pr´enatal au b´eb´e `a venir

Pour mieux saisir quelle relation entre la m`ere et le fœtus se met en place dans ce contexte si particulier, int´eressons-nous `a la notion d’attachement pr´enatal. Le concept d’attache- ment pr´enatal, au croisement de diverses th´eories psychopathologiques, a ´et´e introduit en 1981 par la chercheur am´ericaine Cranley. Elle le d´efinit comme « l’importance avec la- quelle la m`ere s’engage dans des comportements refl´etant une affiliation et des interactions avec son futur enfant » (Cranley, 1981 cit´e par Jurgens et al. 2010, p. 220). En 1996, M¨ul- ler pr´ecise le concept, qu’elle d´efinit comme la relation affective unique qui se d´eveloppe entre la m`ere et son fœtus et met au point un outil d’´evaluation quantitative, le Prenatal Attachment Interview (M¨uller, 1996 in Jurgens et al. 2010, p. 220)

Les diff´erentes ´etudes r´ealis´ees ont permis de connaˆıtre l’´evolution de l’attachement pr´e- natal au cours de la grossesse. L’attachement au b´eb´e commence tˆot dans la grossesse, d`es la dixi`eme semaine (Gallois, 2009). Il est favoris´e par l’apparition des mouvements fœtaux et augmentera de fa¸con progressive jusqu’`a la fin de la grossesse quelque soit le contexte de celle-ci (ˆage maternel, femme enceinte de jumeaux, grossesse ordinaire) (Alhusen, 2008 May-Jun). Lawson consid`ere lui que l’attachement pr´enatal augmente rapidement `a partir

de seize semaines d’am´enorrh´ee pour atteindre un pic au deuxi`eme trimestre (Lawson & Turriff-Jonasson, 2006).

Dans le cas particulier des grossesses succ´edant `a un deuil pr´enatal, l’attachement pr´enatal est difficile car les parents croient que r´einvestir d’autres relations, tel l’attachement au nouveau fœtus, signifie qu’ils oublient et abandonnent le pr´ec´edent (O’Leary, 2004). Les r´esultats concernant l’´evolution de l’attachement pr´enatal lors d’une grossesse qui suit une mort pr´enatale sont contradictoires. D’apr`es certaines ´etudes, l’attachement pr´enatal se- rait diminu´e lorsque la grossesse fait suite `a un deuil pr´enatal (Armstrong et Hutti, 1998). Cependant, le mˆeme auteur met en ´evidence quelques ann´ees plus tard que l’attachement pr´enatal `a la grossesse suivant une perte p´erinatale n’est pas affect´e et reste similaire `a celui d’une grossesse ordinaire (Armstrong, 2004). D’autres soulignent l’importance d’ac- compagner le deuil p´erinatal pour que l’attachement au nouveau b´eb´e soit de bonne qualit´e (O’Leary, 2004).

Enfin, les repr´esentations maternelles de l’enfant `a venir et le degr´e d’attachement pr´enatal sont pr´edictifs du comportement maternel apr`es la naissance, de l’attachement maternel post-natal `a l’enfant et des interactions m`ere-enfant Interview (M¨uller, 1996). L’attache- ment pr´enatal aurait ´egalement une valeur pr´edictive de la qualit´e des interactions pr´ecoces m`ere-enfant (Siddiqui & H¨aggl¨of, 2000).

2.4.4.4 Les diff´erents destins de l’enfant suivant

Progressivement, nous voyons se dessiner les caract´eristiques de cette grossesse si particu- li`ere qui suit une perte fœtale. Il est temps, au terme de cet article, de nous interroger sur le statut de ce b´eb´e, une fois n´e. Quelle(s) place(s) peut-il avoir ?

La litt´erature sur ce sujet ´evoque diff´erentes possibilit´es qui d´ependent du statut que le fœtus d´ec´ed´e a dans le psychisme des parents et au sein de leur couple. Certains auteurs anglo-saxons ont d´ecrit le « syndrome de l’enfant vuln´erable ». Il s’agit d’un enfant dont les parents pensent qu’il est n´ecessaire de le prot´eger des dangers par une attention ac- crue. Les m`eres y sont d´ecrites comme ayant un comportement surprotecteur et comme ´etant plus tendres avec cet enfant (Cain et al., 1964). Pour certains parents, cet « enfant d’apr`es » n’est pas compl`etement `a eux. C’est un prˆet (O’Leary, 2004). Pour d’autres encore, on note une froideur de la m`ere vis-`a-vis du nouveau b´eb´e. Dans de rares cas, le nouveau b´eb´e n’est pas diff´erenci´e pour les parents de celui qui est d´ec´ed´e pr´ec´edemment. Enfin, l’enfant subs´equent peut ˆetre investi comme un « enfant de remplacement », expres- sion largement employ´ee de nos jours. C’est Poznanski qui, en 1972, introduit le premier le terme d’enfant de remplacement apr`es un deuil. Il y d´ecrit le cas d’une jeune fille « con¸cue d´elib´er´ement pour remplacer une sœur d´ec´ed´ee dans un accident de voiture » et qui pr´e- sente des troubles psychopathologiques en lien avec son histoire (Alby, 1974). En France, Alby, reprend `a son tour cette notion dans le service d’h´ematologie du Professeur Bernard `

a l’hˆopital Saint-Louis `a Paris o`u elle travaille. Elle voit se d´egager une nette association entre le d´ebut d’une grossesse et la rechute s´ev`ere de l’enfant malade. Dans son exp´erience, il ne s’agit pas d’enfants qui viennent « remplacer » un fœtus d´ec´ed´e ou un b´eb´e mort-n´e mais un aˆın´e en passe de mourir, souvent en bas ˆage, et atteint de leuc´emie. L’enfant de remplacement est donc un enfant qui vient se substituer `a un enfant mort ou qui va mourir.

Hanus pr´ecise en 1982 ce concept qu’il d´efinit comme « la r´esultante d’un choix pr´ematur´e d’un nouvel objet, comme la modalit´e d´efensive d’un deuil non fait pour en occulter la perte ». L’enfant de remplacement, est un enfant n´e dans le deuil dont le travail inachev´e va ˆetre projet´e sur lui. Scelles pour sa part, d´efinit l’enfant de remplacement comme celui qui h´erite d’un id´eal qu’il ne peut atteindre que dans la mort, la folie ou le g´enie. En analysant le t´emoignage que Dali fait, lors d’une ´emission de t´el´evision, au sujet de ce fr`ere aˆın´e mort en bas ˆage quelques temps avant sa naissance, elle met bien en ´evidence les caract´eristiques des lianes qui emprisonnent l’enfant de remplacement. Ne pouvant avoir de mouvement d’identification ni de s´eparation par des interactions autres que fantasma- tiques avec ce fr`ere qui occupe tout le psychisme parental, il se sent habit´e d’un mandat `

a remplir : « effacer la mort de l’autre en l’incarnant » (Scelles, 2004). L’enfant qui naˆıt apr`es une mort pr´enatale peut aussi, dans certains cas, ˆetre pris dans cette probl´ematique de l’enfant de remplacement.

Ce nouvel enfant aura alors `a vivre avec cet « enfant des ombres », parfois investi `a ja- mais des esp´erances parentales irr´ealis´ees, parfois fantˆome errant et pers´ecuteur (Soubieux, 2008). Et il aura la lourde mission de r´eparer ce qui a ´et´e bless´e chez ses parents endeuill´es. Il devra « remplacer celui qui n’a pas pu vivre, permettre au couple d’acc´eder `a la paren- talit´e, s’inscrire dans la filiation, combler un vide, apaiser la douleur, ˆetre la raison de vivre de ses parents, vaincre le d´esespoir » (Soubieux, 2013, p. 152). Il sera pris dans une comp´etition impossible avec le spectre du b´eb´e d´efunt qui n’a jamais v´ecu et ne pourra faire autrement que de s’oublier lui-mˆeme, ne pouvant vraiment occuper sa place de sujet. Bien que la notion d’enfant de remplacement soit tout `a fait essentielle dans la compr´ehen- sion de certains troubles de l’enfant, celui-ci peut aussi ˆetre investi pour lui-mˆeme. C’est l`a tout l’enjeu de l’accompagnement des diff´erents soignants, somaticiens ou psychistes : permettre `a cet enfant d’avoir sa propre place. Le d´ec`es du fœtus/b´eb´e pr´ec´edent fera partie de l’histoire familiale et de la sienne, mais son d´eveloppement psychique ne sera pas entrav´e par l’ombre de l’enfant mort. En effet, « l’enfant puˆın´e peut permettre l’´elaboration psychique de l’enfant mort et prendre une place distincte » (Soubieux, 2013, p. 154). La grossesse suivante va r´eactiver de mani`ere particuli`ere des v´ecus et des exp´eriences psy- chiques et corporelles en lien avec l’IMG. Lorsque les ´equipes s’inqui`etent d’entendre une femme parler du b´eb´e mort et non de son b´eb´e actuel, nous pensons pour notre part que parler de ce b´eb´e mort est n´ecessaire pour laisser ensuite advenir le b´eb´e actuel. Autre- ment dit, la grossesse suivante peut ˆetre comprise comme une ´etape `a part enti`ere dans le processus de deuil pr´enatal.

Honte et culpabilit´e

De toutes les formes les plus organis´ees de tensions intrapsychiques, celles qui se manifestent par les affects de culpabilit´e et de honte sont probablement les plus les plus importantes, non seulement dans la psychopathologie, mais plus g´en´eralement dans le d´eveloppement du moi.(Piers & Singer, 1953, p. 5)2

Honte et culpabilit´e sont des v´ecus constamment observ´es dans la clinique du p´erinatal. Une recherche quantitative (Barr, 2004), r´ealis´ee `a l’aide de diff´erentes ´echelles, a mis en lumi`ere la part importante de la honte et de la culpabilit´e dans le deuil p´erinatal. Aucune autre ´etude empirique n’avait jusque-l`a reli´ee les sentiments de honte et de culpabilit´e `a cette clinique. Pourtant, elle semble propice `a leur observation et compr´ehension. Nous allons nous attarder ici `a mieux comprendre l’objet de ces concepts, qui font d´ebat aujour- d’hui, et `a en saisir ce qu’ils pourraient apporter dans la compr´ehension de la psychologie et la psychopathologie des IMG. Dans un premier temps, nous d´efinirons s´epar´ement les concepts de honte et de culpabilit´e puis nous en ´etudierons les effets dans la clinique du traumatisme et de la d´epression afin de les articuler avec le deuil pr´enatal.

Nous avons constat´e au cours de nos recherches une certaine raret´e dans les premiers travaux psychanalytiques sur la honte qui ´etait souvent confondue avec la pudeur et la culpabilit´e. Classiquement, la honte et la culpabilit´e sont reli´ees aux instances de la seconde topique. La honte est un conflit entre l’id´eal du moi et le moi indigne et la culpabilit´e, l’expression de l’action du surmoi sur le moi fautif (Ciccone & Ferrant, 2009). La honte est aussi consid´er´ee comme ´etant plus narcissique que la culpabilit´e : « Si la culpabilit´e est issue de l’exp´erience d’avoir perdu un objet d’amour, de l’avoir abˆım´e, la honte, quant `a elle, provient . . . de l’exp´erience d’ˆetre perdu ou abˆım´e pour l’objet. » (Ciccone & Ferrant, 2009, p. 7). Cette courte introduction nous ouvre un champs th´eorique, m´etapsycholo- gique, vaste et abord´e par de nombreux auteurs : celui des concepts de surmoi et d’id´eal du moi. Nous nous garderons ici encore de chercher l’exhaustivit´e et s´electionnerons uni- quement les auteurs qui `a ce jour nous sont apparus n´ecessaires dans la compr´ehension de ces concepts et les liens de ces concepts avec la honte et la culpabilit´e.

Dans cette derni`ere partie de la revue de la litt´erature, nous allons d’abord ´etudier les concepts de surmoi et d’id´eal du moi dans la th´eorie psychanalytique. Nous explorerons ensuite les auteurs ayant abord´e la honte et la culpabilit´e sous l’angle de la m´etapsycho-

logie. La troisi`eme partie nous permettra de d´ecliner les diff´erentes formes de honte et de culpabilit´e. Enfin dans la derni`ere partie nous verrons quels en sont les destins possibles ainsi que le travail psychique que la honte et la culpabilit´e permettent dans la clinique de la d´epression et du traumatisme.

3.1

id´eal du moi et Surmoi

3.1.1 Pour introduire l’id´eal du moi et le surmoi dans la th´eorie freu-