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2.3 Un cas particulier, l’IMG

2.3.3 Humanisation de l’enfant

Dans le contexte de deuil p´erinatal, la r´eaction de l’´equipe de soin, et les diff´erents gestes propos´es aux parents sont d’une importance majeure.

La rencontre signifiante est celle que la femme enceinte et son compagnon construisent avec l’´equipe de soins dans son ensemble, v´eritable parcours th´erapeutique o`u s’in- triquent le corps et la psych´e, le pass´e et le pr´esent, le fantasme et la r´ealit´e, chemi- nement `a l’issu duquel ils pourront rester parents. (Alvarez et al., 2008, p. 476) Il est assez commun´ement reconnu que la pr´esentation de l’enfant aux parents, ainsi que les diff´erents rituels propos´es : nommer, photographier, ´eventuellement enterrer l’enfant, sont salutaires. Dans le mod`ele de la relation d’objet que propose Irving Leon, le deuil est compliqu´e par la sid´eration, l’impression que rien n’est r´eel :

Il est donc logique que le fait de nommer, de voir, de tenir et d’enterrer son en- fant mort puisse grandement faciliter le processus de deuil en favorisant la cr´eation d’une identit´e distincte pour cet enfant et en rendant la grossesse et la mort plus r´eelles. Il n’est pas surprenant que la majorit´e des chercheurs qui ont ´etudi´e la perte p´erinatale et que tous les cliniciens qui ont travaill´e avec ces parents recommandent fortement de fournir aux parents des opportunit´es de reconnaˆıtre la r´ealit´e de l’en- fant mort et d’encourager l’attachement au nouveau-n´e de fa¸con `a pouvoir le pleurer plus compl`etement. (Leon, 1996b, p. 18)

La pr´esentation de l’enfant semble essentielle pour empˆecher « l’´evitement phobique lors de la perte » (David et al., 1995).

Cependant, une ´etude ult´erieure (P. Hughes et al., 2002), comparant les femmes ayant vu et touch´e leur enfant mort `a celles ne l’ayant ni vu ni touch´e a observ´e un ph´enom`ene inverse. En effet, cette ´etude montre que les femmes l’ayant vu et touch´e sont plus d´eprim´ees, ont des symptˆomes plus intenses de stress post-traumatique, et que leur enfant suivant aura un mod`ele d’attachement plus fr´equemment d´esorganis´e que les m`eres n’ayant ni vu ni touch´e leur enfant. La fa¸con dont la pr´esentation est faite d´epend aussi des propres r´epulsions de l’´equipe m´edicale aux malformations et `a l’aspect physique du b´eb´e. Ceci nous am`ene `a souligner l’importance que ces rituels soient m´ediatis´es et non pas pratiqu´es de mani`ere syst´ematique et d´eshumanisante, ce qui apparaˆıtrait comme une agression suppl´ementaire (David, 1997). Dans une ´etude (Forrest et al., 1982), il a ´et´e montr´e l’importance des opportunit´es de parler avec l’´equipe de ce qui s’est mal pass´e, d’un temps d’hospitalisation non pr´ecipit´e, et des diff´erents rituels qui accompagnent la naissance de l’enfant mort. « Des

retrouvailles insuffisamment pr´epar´ees comportent pour les parents autant de potentialit´e traumatique que la privation de la pr´esence du b´eb´e » (Alvarez et al., 2008, p. 476). Bitouz´e souligne ´egalement l’importance de prendre en consid´eration le sens donn´e par les parents `

a la perte,

. . . si le couple consid`ere clairement que cette IMG ne repr´esente pas la mort d’un b´eb´e, mais l’´echec d’une grossesse, les incitations r´ep´et´ees `a voir le fœtus et `a le toucher peuvent ˆetre ressenties comme des pressions pour personnaliser un d´ec`es qu’ils ne per¸coivent pas comme tel et, par cons´equent, comme une non-respect de leur position parentale. (Bitouz´e, 1998, p. 53)

Memmi questionne ce point particulier des pratiques hospitali`eres autour du d´ec`es d’un enfant n´e sans vie. Elle vient interroger « le caract`ere scientifiquement incertain de ces pratiques ». De fa¸con plus large, Dominique Memmi s’interroge sur ce que le r´ecent chan- gement des conduites vient dire de la red´efinition contemporaine des identit´es : « Que s’est-il donc pass´e, plus g´en´eralement pour que se r´epande une r´eflexivit´e nouvelle sur la trace face `a la mort ? Pour que le « reste », mat´eriel et concret, se pr´esente aujourd’hui comme d´esirable pour objectiver la perte ? Pour que le support corporel serve de m´etonymie infiniment d´esirable pour penser le « tout » de l’autre et de soi-mˆeme ? » (Memmi, 2011, p. 16).

Elle va s’attacher `a essayer de comprendre le revirement rapide des pratiques hospitali`eres qui s’est op´er´e entre les ann´ees 1980 et 1990. Elle tente ainsi d’ˆoter « l’accent d’intempora- lit´e » attribu´e `a ces nouvelles coutumes. Un premier constat est celui de la contradiction qui existe entre les services d’Interruptions Volontaires de Grossesse (IVG) et d’Interrup- tion M´edicale de Grossesse (IMG). En effet, dans les services o`u des IMG sont pratiqu´ees il est courant d’encourager les parents `a voir et porter leur enfant, tandis que pour les IVG on consid`ere que c’est un fœtus, un « d´echet » qu’il ne convient pas de montrer ou de repr´esenter. Le b´eb´e qui est montr´e est plac´e dans le monde des vivants, il est lav´e, couvert, souvent avec un bonnet et une peluche `a cˆot´e de lui, comme « endormi et socialis´e » . Cela permettrait dans un premier temps de partager des souvenirs avec lui, puis de le penser d´ec´ed´e dans un deuxi`eme temps. « Le fœtus qu’on a « tu´e » devient une fois expuls´e un b´eb´e mort » (Memmi, 2011, p. 56). Il permet de faire de la femme pr´ec´edemment enceinte une m`ere, avec un p`ere qui reconnaissent socialement leur enfant et de qui la souffrance sera reconnue.

Or, il est impossible de trouver dans la litt´erature une preuve scientifique de la n´ecessit´e de voir et toucher le b´eb´e pour pouvoir entamer l’´elaboration du deuil. Des enquˆetes ont ´et´e men´ees, mais aucune ne fait clairement apparaˆıtre des r´esultats de cet ordre, et la plupart ne sont pas statistiquement pertinentes. Il faut alors se questionner sur les nouveaux appuis th´eoriques qui sous-tendent le concept de « d´esir d’enfant » pour comprendre la souffrance attribu´ee aujourd’hui `a son « avortement ». Dans un contexte plus large, Memmi ouvre le d´ebat sur le traitement de la mort aujourd’hui. Face `a une disparition sociale des rituels religieux, des rituels la¨ıques se mettent en place pour penser le mort et la mort.

Le souci des professionnels de rendre la gravitas aux individus dicte diff´erents brico- lages, formations d´efensives qui seraient moins retour au pass´e qu’invention adap- tative visant `a freiner, par le poids de chair dont elle leste les sujets, la fragmenta-

tion des identit´es individuelles et collectives r´eguli`erement fragilis´ees (Memmi, 2011, p. 193).