• Aucun résultat trouvé

1.3 La grossesse, paradigme d’une troisi` eme topique ?

2.2.3 Diff´ erentes ´ evolutions

Nous avons vu la potentialit´e m´elancoliforme du deuil pr´enatal. Nous avons ´egalement abord´e le risque d’une incorporation de l’objet. Nous voudrions ici aborder d’autres ´evo- lutions possibles de cette perte, du devenir de cet objet qui ont ´et´e d´eclin´es par Soubieux (2008, 2013).

2.2.3.1 Non-accomplissement

Un couple devient enceint, ils rˆevent au b´eb´e, mais ils rˆevent aussi `a une vie avec cet enfant, un enfant qui aura des fr`eres et sœurs, qui sera adolescent, des dˆıners et des vacances en famille. Cet enfant porte virtuellement la vie future de ses parents. Lorsque la grossesse s’arrˆete c’est aussi cette vie rˆev´ee qui est mise en suspend. Allouch (1997) dit que « moins aura v´ecu celui qui vient de mourir, plus sa vie sera rest´ee une vie en puissance, plus dur sera le deuil » . Le deuil est d’ailleurs impossible lorsqu’il s’agit uniquement d’une vie non-accomplie : « Il revient `a tout deuilleur de d´eterminer en quoi aura ´et´e accomplie la vie de qui vient de mourir » (Allouch 1997 in Soubieux, 2013, p. 115). Dans le cas d’un deuil pr´enatal, l’enfant est encore et surtout une potentialit´e d’avenir, il n’y a pas concr`etement de souvenirs avec lui. Ce qui est perdu est avant tout une part de soi, c’est donc l’acceptation d’un sacrifice d’un bout de soi qu’il faut arriver `a faire pour ´elaborer un deuil.

2.2.3.2 Nostalgie

Dans la suite de la th´eorisation de Denis (1998), Blin et Soubieux ont parl´e (1997; 1999) du fœtus comme un objet nostalgique : « Nous avons fait l’hypoth`ese que ce « b´eb´e en soi », cet objet « per¸cu » mais non encore identifi´e, perdu brutalement, se transforme et renaˆıt sous la forme d’un fantasme nostalgique » (Soubieux, 2008, p. 94). Dans l’encyclop´edie Agora une des d´efinitions de la nostalgie est « d´esir de ce que l’on n’a pas encore connu, ou de ce qu’on ne peut atteindre ». Le fœtus n’est pas encore connu et ne pourra jamais ˆetre atteint comme b´eb´e puisqu’il mourra avant de naˆıtre.

La nostalgie est alors un moyen trouv´e par l’endeuill´e pour survivre `a une souffrance qui d´epasse ses capacit´es d’´elaboration psychique. Dans la nostalgie l’objet n’est pas perdu, il est confondu avec l’id´eal de moi du sujet et est encore libidinalement investi. De part

l’utilisation forte du d´eni, la nostalgie permet un ´etat vivable dans lequel la souffrance n’est plus aussi forte. Seulement elle empˆeche le deuil de se faire « Le deuil admet la perte, la d´epression la refuse, la nostalgie la contourne » (Denis, 1998, p. 145).

Dans le cadre du deuil p´erinatal la nostalgie est « le rˆeve de l’´eternel retour d’un temps d’avant l’´ev´enement » (Soubieux, 2008, p. 97). Cette phrase nous am`ene `a penser le deuil p´erinatal non pas du point de vue dramatique de la perte d’un enfant en devenir, mais ´egalement comme la perte d’un id´eal de vie. Cet ´ev´enement traumatique devient pour les parents ce qui fait que plus jamais leur vie familiale ne correspondra `a ce qu’ils avaient imagin´e. Cette image est valable dans le contexte social dans lequel nous nous trouvons, o`u la mortalit´e infantile est tr`es faible et v´ecue de fa¸con tr`es isol´ee du reste du groupe humain. Cette perte peut faire ressentir aux parents un sentiment d’exclusion de ce qui est normal, ils se retrouvent alors tr`es seuls, honteux. Nous y reviendrons dans la troisi`eme partie de cette revue de la litt´erature.

2.2.3.3 Traumatisme

« Le traumatisme provoqu´e par la mort d’un fœtus ou d’un b´eb´e peut produire un effet de clˆoture de la pens´ee. L’´ev´enement traumatique peut devenir un temps arrˆet´e, un temps impersonnel et incorporel. Il s’agit d’un deuil bloqu´e : il y a effet traumatique sans deuil » (Soubieux, 2013, p. 120). Ferenczi d´ecrit le traumatisme comme un choc inattendu et violent, une commotion psychique qui an´eantit le sentiment de soi. Ce choc entraˆıne de nombreux m´ecanismes de d´efense tel que le clivage du moi. Le sujet se fragmente et cesse d’exister comme un moi global. C’est ce qui lui permet de survivre « et de commencer `a revivre, `a r´etablir l’unit´e de la personnalit´e, avec des amn´esies, des fragments de person- nalit´e cliv´es qui contiennent les parties mortes, dans l’agonie » (Ciccone & Ferrant, 2009, p. 26). Cela rappelle la « crypte » d´ecrite par Torok et N.Abraham lorsqu’ils parlent de l’incorporation.

Pour Freud, le traumatisme, par un accroissement de l’excitation massive fait effraction `

a la fonction de pare-excitation. Cette excitation est telle qu’elle ne peut ˆetre liquid´ee ou ´elabor´ee par les moyens ordinaires. Le sujet se trouve dans l’incapacit´e de r´epondre ad´equatement et les effets pathog`enes sont durables.

A la notion de traumatisme est li´ee celle d’apr`es-coup. Freud d´eveloppe l’id´ee que le trau- matisme de base n’apparaˆıt que plus tard lors d’une seconde situation pouvant ˆetre ano- dine. C’est le r´echauffement des traumatismes ant´erieurs par ce second ´ev´enement qui le rendrait traumatique. Dans une ´etude de la Tavistock Clinic, intitul´ee « Comprendre le traumatisme : une approche psychanalytique » (Garland, 1998). il est expos´e un autre mod`ele de compr´ehension de l’apr`es coup qui s’appuie sur l’id´ee que le sujet transforme les ´ev`enements d´esorganisateurs en une exp´erience famili`ere. C’est ainsi que l’´ev´enement actuel se retrouve empreint de la coloration des ´ev`enements connus.

Ciccone et Ferrant apportent une autre proposition : « le traumatisme actuel donne forme `

a des exp´eriences traumatiques pass´ees, qui trouvent dans l’exp´erience actuelle l’occasion de prendre forme, de se d´eployer, de se repr´esenter, de prendre sens » (2009, p. 33). Dans le cadre de notre recherche sur la grossesse qui suit un ´ev´enement potentiellement trau- matique nous allons nous appuyer sur cette consid´eration pour formuler la possibilit´e d’un

retour sur l’´ev´enement pass´e par l’´ev´enement actuel.

Lors de la mort d’un fœtus le deuil peut ˆetre bloqu´e, c’est `a dire que l’effet traumatique empˆeche l’´elaboration du deuil « Seuls le traumatisme et sa reviviscence continuent `a ali- menter la psych´e » (Soubieux, 2008, p. 104). Le traumatisme peut alors donner lieu `a des somatisations. Le corps traduit alors l’impensable. Bydlowski d´eveloppe le concept de n´evrose traumatique au sein du p´erinatal, et en particulier autour de l’accouchement. Elle d´egage, `a travers l’analyse de cas cliniques, diff´erents ´el´ements concernant des femmes dans l’apr`es-coup d’une grossesse men´ee `a terme mais achev´ee de mani`ere dramatique et pour lesquelles l’accouchement a ´et´e long et difficile. Il a laiss´e `a la patiente un souvenir trauma- tique. La grossesse suivante est alors qualifi´ee de « Grossesse `a risque, expression reposant sur l’intuition qu’a l’obst´etricien de la r´ep´etition possible de l’accident » (Bydlowski, 1998, chap. 3). Certains points m´eritent ici toute notre attention.

— L’absence compl`ete d’inqui´etude chez la femme avant le premier accouchement. — La restitution au cours de la grossesse actuelle de souvenirs concernant la grossesse

ant´erieure qui peut donc ˆetre consid´er´ee comme accident traumatisant. Et donnant lieu `a partir du 8`eme mois de grossesse `a des cauchemars, de l’angoisse et une in- somnie.

Lorsque Freud parle du traumatisme il insiste sur le caract`ere `a la fois somatique et psychique du trauma. Ce double caract`ere est particuli`erement adapt´e `a l’accouchement : « ´ev`enement somatique charg´e en soi de repr´esentations psychiques » (Bydlowski, 1998, p. 39).

La grossesse qui avait donn´e lieu `a l’accident obst´etrical ´etait une grossesse sans rˆeves, sans appr´ehension et sans angoisse. Nous pourrions dire sans anticipation. Lors du premier accouchement « il se produit une br`eche dans le refoulement qui va rester latente jusqu’`a la grossesse suivante » (Bydlowski, 1998, p.41). Elle note que l’accouchement devient un traumatisme lorsqu’il est directement reli´e `a la sc`ene primitive et qu’il est emprunt de repr´esentations d’inceste et de la violence qui en d´ecoule. Il faut alors absolument d´epister ce trauma assez tˆot dans la grossesse suivante. En effet, Bydlowski note que dans les cas o`u le diagnostic de n´evrose traumatique n’avait pas ´et´e pos´e, les grossesses se sont `

a nouveau finies de fa¸con dramatique. Lorsqu’il a ´et´e reconnu il a permis `a l’´equipe une vigilance obst´etricale, conduisant `a des c´esariennes en urgence, mais qui ont pu donner vie `

a un enfant en bonne sant´e. Lorsque le diagnostic a ´et´e fait suffisamment tˆot, et qu’une collaboration solide s’est nou´ee entre l’´equipe psychiatrique et l’´equipe m´edicale tout au long de la grossesse, celles-ci se sont termin´ees `a terme par des accouchements naturels.