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1.2 La maternalit´ e, complexit´ e d’un processus d’objectalisation

1.2.1 D´ esirs d’enfant

« Que le d´esir d’enfant devienne analysable, et il ne r´esiste gu`ere `a l’unit´e. C’est mˆeme, `a l’inverse, la multiplicit´e de ses figures, des fantasmes qui en soutiennent l’accomplissement comme des entraves qui en empˆechent la r´ealisation, qui est remarquable (Andr´e, 2009, p. 12).

De part le d´eveloppement de la contraception chimique et la l´egalisation de l’avortement, le d´esir d’enfant devient dans notre soci´et´e « une d´emarche consciente et raisonnable, d´e- lib´er´ee, voire programm´ee » (Bydlowski, 1998, p. 111). Cependant, malgr´e la possibilit´e de planifier les grossesses, l’inconscient est toujours `a l’œuvre dans les processus de maternit´e. Nous pouvons tr`es particuli`erement le noter dans les calculs inconscients : « pour bien des femmes, la date involontairement pr´evue pour la naissance sera une date non venue du hasard, mais comm´emorative d’un autre ´ev´enement du pass´e » (Bydlowski, 1998, p. 111). Ainsi, malgr´e cette programmation possible de la grossesse, nous pouvons toujours soulever la question du d´esir inconscient d’enfant et des fantasmes qui le sous-tendent.

1.2.1.1 Partition œdipienne du d´esir d’enfant

En 1914, Freud commence par attribuer le d´esir des parents concernant l’enfant `a celui d’un prolongement narcissique, « His Majesty the Baby », comme ils s’imaginaient eux-mˆemes dans leur enfance :

Il accomplira les rˆeves de souhait que les parents n’ont pas r´ealis´es, il sera un grand homme, un h´eros `a la place du p`ere ; elle ´epousera un prince, d´edommagement tardif pour la m`ere. Point le plus ´epineux du syst`eme narcissique, cette immortalit´e du moi que la r´ealit´e bat en br`eche, a trouv´e sa sauvegarde en se r´efugiant chez l’enfant. (Freud, 1914, p. 234).

En 1924, il complexifie la r´esolution du conflit œdipien en le diff´erenciant selon le sexe et attribue alors le d´esir de maternit´e `a la phase œdipienne. La petite fille prend conscience de la diff´erence des sexes et du fait qu’il lui manque un p´enis que les hommes, et en particulier son p`ere, ont. La petite fille, d´e¸cue, va se d´etourner de la m`ere qui n’a pas su lui donner ce p´enis. Cette d´eception va prendre la forme d’envie : celle du p´enis. Elle

va alors se tourner vers le p`ere. Hors, celui-ci ne peut non plus lui procurer le phallus manquant. L’envie de p´enis va se transformer en d´esir compensatoire d’avoir un enfant du p`ere. « La fille glisse le long d’une ´equation symbolique du p´enis `a l’enfant, son complexe d’Œdipe culmine dans le souhait longtemps maintenu d’obtenir du p`ere un enfant comme cadeau, de lui mettre au monde un enfant » (Freud, 1924, p. 32). Chez la fille, plus qu’une r´esolution du complexe d’Œdipe, s’exerce un glissement vers le d´esir d’enfant. Ce qui fait dire `a Bydlowski que « ce qui est d´esir´e est moins un enfant concret que la r´ealisation du plus vivace des souhaits infantiles » (Bydlowski, 1998, p. 111). Deutsch (1924), a ´et´e la premi`ere psychanalyste `a s’int´eresser vraiment aux processus psychiques en jeu chez la femme, notamment en ce qui concerne la maternit´e. Bien que ses vues restent tr`es proches de celles de Freud, elle y apporte des nuances et des id´ees originales (Parat, 2010). Pour elle, le d´esir de la petite fille est sp´ecifique : incorporer le p´enis paternel et en faire un enfant. Le d´esir d’enfant apparaˆıt alors comme un d´esir f´eminin en soi et non comme une compensation du manque de p´enis. Le d´esir de procr´eer est pour Deutsch une fonction typique de la psych´e f´eminine. C’est un concept biopsychologique central dans l’identit´e f´eminine.

Chabert (2009) propose de voir ce d´esir comme « l’avers » de la constitution du surmoi, autre formation psychique issue de la r´esolution de l’Œdipe :

On pourrait penser qu’`a partir de la bisexualit´e, un double versant s’organise : celui de l’enfant, celui du surmoi, les deux ´etant potentiellement exclusifs pour les femmes dans la th´eorie freudienne puisqu’elles seraient, ´ecrit-il, dot´ees d’un surmoi faible associ´e `a de faibles capacit´es de sublimation. Ne trouverait-on pas une certaine sy- m´etrie dans l’id´ee que les femmes sont davantage d´esireuses d’enfant ? (Chabert, 2009, p. 21)

Ainsi, si la formation du surmoi est tributaire `a l’´eprouv´e du renoncement œdipien, le d´esir d’enfant pourrait l’ˆetre ´egalement.

1.2.1.2 Le lien `a la m`ere dans le d´esir d’enfant

Plus tard, Freud met en avant la pr´evalence des motions sexuelles actives chez la petite fille en phase pr´eœdipienne. La relation d´ebute entre la m`ere et sa fille sous le pri- mat de la tendresse, la m`ere repr´e- sentant l’objet d’amour privil´egi´e du nouveau-n´e (Freud, 1914). « Le fait que les filles pr´ef`erent jouer `a la poup´ee (. . . ) est le cˆot´e actif de la f´eminit´e qui s’ext´eriorise ainsi, et cette pr´ef´erence de la fille t´e- moigne vraisemblablement de l’ex- clusivit´e du lien `a la m`ere avec n´e- gligence compl`ete de l’objet-p`ere »

(Freud, 1931, p. 149). La m`ere, en lui prodiguant les premiers soins avec tendresse, va- lorise la petite fille dans son appartenance au sexe f´eminin et consolide son narcissisme (Bydlowski & Golse, 2001). Freud dit aussi que lorsqu’un petit fr`ere arrive dans la famille, la petite fille d´esirerait l’avoir fait `a la m`ere. Nous voyons donc qu’il attribue aussi le d´esir d’avoir un enfant `a l’attachement pr´eœdipien envers la m`ere, comme « un mouvement r´esolutif d’un lien qui permet d’´eriger l’objet perdu et de maintenir, surtout, la relation `a cet objet, narcissiquement investi »(Chabert, 2009, p. 21). Kestenberg (1956) d´ecrit une phase pr´eœdipienne au cours de laquelle la petite fille prend conscience de sa « g´enitalit´e interne », organisant un d´esir pr´ecoce d’enfant. Ce serait alors la d´epression cons´ecutive `a la prise de conscience de n’ˆetre pas encore capable comme la m`ere de porter un b´eb´e qui donnerait lieu par la suite `a l’envie du p´enis, comme formation d´efensive `a la frustration de ses aspirations maternelles.

Chasseguet-Smirgel, suivant la pens´ee de Ruth Mack Brunswick, pense que « le d´esir d’avoir un enfant [chez la femme] est un d´esir tr`es pr´ecoce, ant´erieur `a l’envie du p´enis » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 49). Pour Brunswick, ce d´esir provient de l’envie de pos- s´eder ce que la m`ere toute puissante poss`ede. Alors que pour Chasseguet-Smirgel, « ce d´esir contient en fait celui de reconstituer l’unit´e primaire m`ere-enfant » (Chasseguet- Smirgel, 1975, p. 49). D´esir accompagn´e du fantasme possible de l’escamotage du p`ere pour concevoir un enfant, et donc du complexe d’Œdipe, qui trouve une repr´esentation dans les poup´ees gigognes.

Bydlowski attribue en partie le d´esir d’enfant au lien avec la m`ere pr´eœdipienne, la m`ere vuln´erable d’avant la rivale, « une m`ere qui aurait besoin que sa propre fille devienne m`ere elle-mˆeme pour lui donner l’enfant qu’elle ne peut plus avoir » (Bydlowski, 1998, p. 166). C’est par l’identification `a cette « m`ere suffisamment faible » que la femme va pouvoir se reconnaˆıtre dans un mythe narcissisant lui permettant de concevoir un enfant. Une m`ere qui s’est affaiblie par l’enfantement, en ayant subi les cons´equences, « cet enfant je te le dois pour te r´eparer des outrages du temps » (Bydlowski, 1998, p. 172). Elle se rapproche ainsi de l’id´ee freudienne de 1914 de l’enfant comme sauvegarde du narcissisme parental. La vie est un don des m`eres mais il n’est pas d´epourvu d’une attente, celle que les filles continuent `a transmettre la vie.

La vie n’est peut-ˆetre pas un cadeau gratuit mais porte en soi l’exigence de transmettre ce qui a ´et´e donn´e. Le don de la vie, `a la fois promesse d’immortalit´e et de mort, induirait qu’une dette circule de m`ere `a fille. (. . . ) Par le premier enfant, une femme accomplit son devoir de gratitude `a l’´egard de sa propre m`ere. (Bydlowski, 1998, p. 165)

Le d´esir d’enfant serait alors ´egalement dˆu `a cette n´ecessit´ee de gratitude, accord tacite entre la m`ere et la fille.

Chabert aborde aussi le d´esir d’enfant sous l’angle du lien `a la m`ere. Ainsi, chez la petite fille c’est l’absence de p´enis qui la fait s’´eloigner de sa m`ere et d´esirer l’enfant du p`ere, « ce d´eplacement peut d´ej`a constituer une trahison de celle-ci aggrav´ee par le d´esir de prendre sa place aupr`es du p`ere » (Chabert, 2009, p. 26). Le risque encouru est la perte de l’amour de la m`ere, affection pourtant essentielle puisqu’elle assure l’investissement narcissique. L’enfant fantasmatique pourra alors ˆetre le repr´esentant de cette trahison envers sa m`ere,

mais aussi maintenir la p´erennit´e du lien avec elle.

Prises `a la fois dans le pi`ege de l’identification et du choix d’objet narcissiques, prises aussi dans le choix d’objet par ´etayage et l’identification hyst´erique. Dans ce mouvement s’inscrit une part des d´esirs d’enfant, prˆet´es `a la m`ere (si je suis n´e(e), c’est qu’elle m’a d´esir´e(e), moi), mˆeme si le cours des ´ev´enements psychiques les conduit parfois `a consid´erer qu’elles ont failli `a la satisfaction de ce d´esir, qu’elles ont ´et´e insuffisantes pour le combler : fille d´ecevante de n’avoir point de p´enis, m`ere d´ecevante de ne point l’avoir donn´e, figures en miroir que les d´esirs d’enfant viennent consoler et r´econcilier. (Chabert, 2009, p. 26)

Dans la polys´emie des d´esirs d’enfants s’inscrit ´egalement la diff´erenciation marqu´ee entre autre par Pines (1982, 1988) entre d´esir de grossesse et d´esir de maternit´e. Pour certaines femmes, le d´esir d’un enfant en tant qu’ˆetre distinct de soi ne tient aucune place dans leur discours. Le d´esir de grossesse peut alors ˆetre en lien avec le besoin narcissique de la femme de prouver que son corps fonctionne (comme celui de sa m`ere). Les grossesses « non d´esir´ees » adolescentes peuvent en ˆetre un exemple. L’absence de l’enfant comme autre dans la psych´e de la future m`ere pourrait aussi ˆetre la marque d’un d´eni de la castration f´eminine ou, `a un niveau plus archa¨ıque, la nostalgie d’une compl´etude narcissique (Bydlowski, 1998).

1.2.1.3 Le g´en´erationnel

L’attente d’un enfant est ´eminemment reli´ee aux g´en´erations pr´ec´edentes. Comme nous l’avons explicit´e pr´ec´edemment,

. . . en mati`ere de filiation humaine, une dette de vie inconsciente enchaˆıne les sujets `

a leurs parents, `a leurs ascendants. Pour les futurs p`ere et m`ere, la reconnaissance de ce d´esir de gratitude, de cette dette d’existence est le pivot de l’aptitude `a transmettre la vie. (Bydlowski, 1998, p. 69).

Mais au-del`a de cette dette de vie, l’enfant sera porteur de l’histoire familiale. Cette histoire familiale se transmet d’une g´en´eration `a l’autre, confiant `a chaque arrivant une mission, un rˆole dans cette histoire, c’est ce que Lebovici nomme le « mandat transg´en´erationnel » (1998). Lebovici explique que lors des consultations, les probl´ematiques transg´en´eration- nelles se retrouvent souvent sous trois axes. Premi`erement, comme nous l’avons d´ej`a vu, l’enfant, fruit des probl´ematiques œdipiennes, est fantasm´e par la m`ere comme l’enfant qu’elle a eu avec son p`ere. Le b´eb´e est donc souvent l’objet d’un transfert du grand p`ere sur lui de la part de la m`ere. Nous avons entendu l’histoire racont´ee par une m`ere : elle est enceinte de son premier enfant, on d´episte alors un cancer du cˆolon `a un stade tr`es avanc´e chez son p`ere, qui en mourra. L’enfant naˆıt avec un kyste au mˆeme endroit que la tumeur de son grand-p`ere. Deuxi`emement, la chambre de l’enfant peut ˆetre hant´ee par des « fantˆomes » (Fraiberg et al., 1975) dont la pr´esence est li´ee `a la biographie des parents, ce sont les secrets de famille. Enfin, la transmission transg´en´erationnelle s’op`ere sous forme d’un mythe qui tend `a d´efinir l’axe du mandat de vie impos´e au descendant, ce sont les romans familiaux. Les repr´esentations maternelles li´ees au b´eb´e auront donc aussi directement cette dimension g´en´erationnelle.