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1.2 La maternalit´ e, complexit´ e d’un processus d’objectalisation

1.2.2 Grossesse et narcissisme

« Le parent qui projette son narcissisme sur son enfant ne se diminue pas non plus. Dans le cas o`u il sacrifie son propre moi corporel `a son enfant, c’est `a son prolongement nar- cissique qu’il le fait. » (Grunberger, 1971, p. 20).

Deutsch pointe des sources libidinales pr´eg´enitales qui s’expriment, par un jeu entre les motions orales et anales, entre incorporation et expulsion, dans les naus´ees et vomisse- ments ou dans les envies du d´ebut de la grossesse. « Dans la formidable perturbation de l’´economie libidinale qui se produit avec la grossesse, la voie de la r´egression jadis suivie m`ene `a la recherche de toutes les tendances libidinales jadis abandonn´ees » (Deutsch, 1924, p. 79). Il y a `a la fois une importante libido narcissique mobilis´ee sur l’enfant, mais qui s’apaise selon l’auteure lorsque l’enfant se met `a bouger, se situant ainsi dans le monde ext´erieur, g´enitalis´e : « textitles relations d’objet avec l’enfant et ces relations purement narcissiques, nous le voyons, existent simultan´ement, et cˆote `a cˆote ; de plus, mˆeme dans la matrice, l’enfant revˆet aussi le sens d’un objet ext´erieur et devient le d´epositaire libidinal de divers investissements d’objet » (Deutsch, 1924, p. 82). L’enfant devient une « v´eritable œuvre de sublimation, issue majeure de la cr´eativit´e f´eminine » (Parat, 2010, p. 819). Pour Deutsch, « la relation m`ere-enfant repr´esente donc une r´ealisation compl`ete de l’´etat primaire dans lequel il n’y avait pas encore la moindre s´eparation entre la libido du moi et la libido d’objet » (Deutsch, 1924, p. 82). Cependant Parat note que comme l’enfant repr´esente l’id´eal du moi maternel, « il y a conflit possible avec le moi, car l’enfant reste un objet du monde ext´erieur sur lequel se jouent tous les conflits d’ambivalence li´es aux diff´erentes phases du d´eveloppement de la libido » (Parat, 2010, p. 819).

Pour Chasseguet-Smirgel la maternit´e constitue chez la femme une issue `a l’impossibilit´e d’abolir l’´ecart entre le moi et l’id´eal du fait de la diff´erence des sexes. La maternit´e lui permettrait alors de « concilier son d´esir ´erotique qui va vers le p`ere, et son d´esir de retrouver la fusion primitive avec la m`ere » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 49), en la vivant avec son propre enfant bien que sur un mode beaucoup plus ´evolu´e. Elle met cependant en garde contre la pens´ee que la maternit´e serait superposable `a un retour aux origines. « Si la grossesse et la maternit´e font r´egresser la femme, cette r´egression contient des r´esidus œdipiens tr`es importants et des d´esirs plus ´evolu´es s’assouvissent ´egalement dans la maternit´e » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 51)

Selon Leon (1996), la grossesse r´ealise des ambitions narcissiques cruciales. Tout d’abord, elle favorise le sentiment d’omnipotence, `a la fois dans l’acte de cr´eer mais ´egalement par le fait de devenir m`ere empreinte de toute puissance dans l’esprit de l’enfant. La grossesse est ´egalement un moment d’affirmation de sa f´eminit´e. Enfin, elle sert de « d´efense narcissique vitale contre l’angoisse de mort grˆace `a un sentiment d’immortalit´e r´ealis´e par la perp´etuation biologique dans la prochaine g´en´eration » (Leon, 1996b, p. 171).

Le narcissisme est `a voir ici non pas comme une forme primitive de relation d’objet qui ne se retrouverait que dans la psychopathologie mais comme une ligne de d´eveloppement parall`ele, qui n’est jamais vraiment abandonn´ee et qui est susceptible de changements maturatifs (voir Chapitre 1.1.3.3.

dans son enfant `a naˆıtre est normal, bien que la nature de ce lien narcissique soit plus ou moins adaptative (exactement comme la relation d’objet envers l’enfant en tant que personne s´epar´ee). (Leon, 1996b, p. 171)

1.2.2.1 Transparence psychique

Bydlowski conceptualise la « trans- parence psychique » de la gros- sesse. Elle la d´efinit comme un fonctionnement psychique parti- culier, propre `a la grossesse, qui est caract´eris´e par un abaissement des r´esistances habituelles face au refoul´e inconscient, marqu´e par un surinvestissement de son his- toire personnelle et de ses conflits infantiles. La future m`ere va se tourner vers des th´ematiques au- tocentr´ees. Des souvenirs refou- l´es sur sa petite enfance, des an- goisses archa¨ıques viennent `a la conscience au cours de la gros- sesse : « il y a une lev´ee et un r´e- am´enagement des refoulements » (Bydlowski, 1985, p. 1881). Il y a alors peu de repr´esentations directement li´ees `a l’enfant, la m`ere va plus volontiers aborder des th´ematiques sur son histoire et ses propres v´ecus. Ce ph´enom`ene, qui en g´en´eral est caract´eristique d’affections psychiques graves, est chez la femme enceinte une manifestation courante.

Bydlowski explique que le fœtus repr´esente la m´etaphore de l’objet interne, et que la gros- sesse est un moment privil´egi´e pour la femme lui permettant de se connaˆıtre. Nous pouvons ´egalement associer la transparence psychique au concept d’image inconsciente du corps. En effet, Dolto explique que la libido est mobilis´ee dans une relation actuelle (la m`ere avec l’enfant dans son ventre) mais que peut alors « s’en trouv´ee r´eveill´ee, ressuscit´ee, une image relationnelle archa¨ıque, qui ´etait rest´ee refoul´ee et qui fait alors retour » (Dolto, 1984, p. 23). Bydlowski prend comme illustration de nombreux tableaux de la renaissance, repr´esentant ce regard oblique dirig´e vers l’int´erieur que les peintres ont prˆet´es `a leurs madones.

Missonnier compl`ete la notion de transparence psychique par celle de « fonctionnement psychique maternel placentaire », mettant en avant la fusion soi/objet `a l’œuvre dans la grossesse que la m`ere aura `a d´epasser au profit d’une « contenance d´efusionnante ». La femme aura a ren´egocier son narcissisme primaire, dont le fœtus est au d´epart une incarna- tion en faisant face `a des identifications projectives massives caract´eris´ees par la violence de destruction du pr´ecieux en soi, l’omnipotence du contrˆole avec l’objet, la part perdue du moi et la destruction de prise de conscience (Missonnier, 2009, p. 187).

1.2.2.2 Identifications

Lorsqu’une femme est enceinte, elle doit se confronter au saut de g´en´eration. Les parents deviennent grands-parents, et les enfants deviennent parents pour laisser place `a la nou- velle g´en´eration. Ceci implique donc tout un remaniement de l’identit´e, mais surtout, des identifications. Remaniement qui par son fait transgressif peut s’av´erer trop angoissant. En effet,

. . . au sein mˆeme des identifications au p`ere et `a la m`ere, la notion d’identification `

a ˆetre p`ere ou `a ˆetre m`ere est tue, inopportune au regard de ce processus qui valorise davantage et surtout l”’ˆetre comme”. Supprimer le ”comme” reviendrait `a supprimer le p`ere ou la m`ere pour occuper toute leur place. Effroyable magie de la parole ! (Chabert, 2009, p. 20)

Comme nous l’avons vu, au cours de la grossesse, la femme va se tourner vers des pro- bl´ematiques infantiles, laissant avec moins de d´efenses, le refoul´e refaire surface. Elle va alors revivre les conflits infantiles des phases pr´ec´edentes de son d´eveloppement, et en particulier, des premi`eres relations et identifications avec sa m`ere. Ceci donne un sens de processus `a la grossesse. Bibring parle de « crise de maturation » (Bibring, cit´e par Ammaniti et al., 1999, p. 23). Cette crise a une signification ´evolutive. La future m`ere, en revivant les conflits infantiles, va pouvoir les ´elaborer et les r´esoudre. Cependant, cette crise peut ´egalement ˆetre v´ecue par la femme comme une menace `a son int´egrit´e et avoir des cons´equences psychopathologiques graves. Cette r´egression temporaire due `a la gros- sesse permet ainsi `a la femme de s’identifier `a elle-mˆeme enfant et de r´ealiser, dans le meilleur des cas une maturation et une croissance du soi. Bydlowski souligne : « pour que sa propre m`ere devienne un mythe narcissisant de soi-mˆeme, il faut pouvoir se la re- pr´esenter faible, vaincue, perdante, aim´ee parce que faible, `a l’inverse des repr´esentations adolescentes de m`ere toute-puissante rest´ees actives et ind´epassables chez bien des femmes infertiles ». (Bydlowski, 1998, p. 167). C’est par la suite que va intervenir l’id´ealisation, n´ecessaire pour que la femme puisse s’y appuyer. La figure maternelle id´ealis´ee conf`ere `a sa m`ere la place d’ˆetre la seule femme `a qui la jeune m`ere pourra confier son enfant sans arri`eres pens´es. Ceci marque parfois une trˆeve dans les conflits m`ere-fille pour le temps de la grossesse. La femme enceinte va donc ´egalement s’identifier `a sa m`ere id´eale. Am- maniti Ammaniti et al. 1999 souligne l’importance de l’identification de la femme avec une « bonne image maternelle ». Cependant, `a l’instar de Chabert (2009), nous pouvons nous demander si cette trˆeve des conflits m`ere-fille n’est pas un contre-investissement de la repr´esentation inqui´etante d’une m`ere qui disparaˆıtrait, comme dans de nombreux contes de f´ee, `a la naissance de sa fille. Ainsi, la n´ecessit´e de la pr´esence des m`eres aupr`es de leurs filles lorsqu’elles accouchent donne, au-del`a de l’´etayage, une assurance perceptive indispensable de leur non-disparition quand la fille devient m`ere, comme si l’accession `a la place de m`ere recelait un danger mortel.

La r´ealisation des d´esirs d’enfant comprend bien, toujours, cette dimension puissante o`u la vie l’emporte, entraˆınant pourtant dans son sillage, le poids de la menace mortif`ere. Le combat du vif et du mort – entrelac´es, comme le dit Pontalis (1977) – pourrait trouver l`a une figuration essentielle, cachant derri`ere l’´ecran d’une naturelle banalit´e, les enchevˆetrements compliqu´es de l’amour et de la haine, condensant la

double angoisse de la castration et de la mort. (Chabert, 2009, p. 22)

Un troisi`eme type d’identification a lieu au cours de la grossesse, il s’agit de l’identification `

a l’enfant que Winnicott (1956, 1969) nomme la « pr´eoccupation maternelle primaire ». Cet ´etat d’hypersensibilit´e, « maladie normale », permet `a la m`ere de s’ajuster au mieux aux besoins du b´eb´e et `a ses ´etats internes. Il s’´elabore graduellement atteignant son apog´ee dans les derni`eres semaines de grossesse. Certaines femmes ne parviennent pas `

a atteindre cet ´etat, ou y parviennent avec un enfant mais pas avec un autre. Winnicott explique qu’une femme ayant une trop forte identification masculine aura plus de difficult´es `

a atteindre la pr´eoccupation maternelle primaire.