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1.3 La grossesse, paradigme d’une troisi` eme topique ?

2.2.2 Deuil pr´ enatal et m´ elancolie

Ce dernier mod`ele nous conduit `a nous pencher sur la question cruciale de la m´elancolie dans la perte p´erinatale. En effet, c’est un deuil que l’on dit `a « haut risque m´elancoli- forme ». Nous nous r´ef`ererons ici `a l’explication pr´ec´edente sur la m´elancolie d´ecrite par Freud dans « Deuil et M´elancolie » pour tenter de faire un pont avec la perte p´erinatale. Lorsqu’une malformation est annonc´ee et qu’elle donne lieu `a la d´ecision d’interrompre la grossesse, beaucoup de femmes, note Soul´e, expriment une volont´e forte que l’interruption ait lieu le plus rapidement possible.

On assiste dans ces cas `a une situation apparemment contradictoire entre l’intense investissement psychique du fœtus jusque-l`a et l’imm´ediat d´esinvestissement dont il semble pourtant pouvoir faire l’objet. Et c’est l`a que la comparaison nous semble pertinente avec l’objet m´elancolique dont nous avons rappel´e plus haut qu’il ´etait porteur, selon S. Freud, d’une contradiction analogue. (Golse, 2002, p. 25)

Nous pouvons penser que l’enfant pr´esentant une pathologie fœtale est tr`es rapidement d´esinvesti pour pr´eserver l’enfant imaginaire et les objets internes de la m`ere intactes. Ce qui signifierait que la libido est retir´ee de l’objet non pas pour se d´eplacer vers un autre objet mais pour se retirer dans le moi, ce qui correspond ´egalement `a l’explication donn´ee par Freud de la m´elancolie.

L’enfant en se d´erobant aux attentes des parents par sa mort, laisse `a tout jamais « un vide, une blessure, une honte, un sentiment d’inf´eriorit´e, d’´echec et d’indignit´e dans le psychisme des parents. Nous retrouvons l`a l’´etat m´elancolique d´ecrit par Freud (Soubieux, 2013, p. 113). Comme dans la m´elancolie o`u le sujet sait, comme le pr´ecise Freud, « qui il a perdu mais non ce qu’il a perdu en cette personne » (Freud, 1915a, p. 266), la femme ne sait souvent pas ce qu’elle a perdu en perdant son fœtus : ses rˆeves, sa f´econdit´e, son b´eb´e imaginaire. . . La perte du sentiment d’estime de soi, toujours `a l’œuvre dans la m´elancolie, se retrouve fr´equemment chez ces m`eres. Elles se sentent incapables de mettre au monde un enfant qui puisse vivre, incapable d’ˆetre m`eres. Elles s’accablent alors souvent d’auto- reproches concernant l’attention qu’elles ont port´e `a la grossesse et au b´eb´e. Soubieux note que « cette r´egression narcissique est d’autant plus intense que l’investissement pendant la grossesse aura ´et´e plus narcissique qu’objectal » (Soubieux, 2013, p. 114). Nous pouvons

donc nous poser la question, en r´ef´erence `a l’article de Bydlowski et Golse (2001), de la relation entre le stade d’objectalisation de l’enfant auquel survient l’interruption et la survenue d’un deuil m´elancoliforme. Ce que semblent confirmer Torok et N.Abraham « En cas de deuil, la nature de celui-ci sera fonction du rˆole que jouait l’objet au moment de la perte. Si les d´esirs le concernant ont ´et´e introject´es, aucun effondrement, maladie du deuil ou m´elancolie, ne sont `a redouter » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 240).

Cependant, nous notons dans un autre chapitre de ce mˆeme ouvrage que l’incorporation qui vient en lieu et place de l’introjection « trahit une lacune dans le psychisme, un manque `

a l’endroit pr´ecis o`u une introjection aurait dˆu avoir lieu »(N. Abraham & Torok, 1987, p. 261). Et plus loin « Chaque fois qu’une incorporation est mise en ´evidence, elle doit ˆetre attribu´ee `a une deuil inavouable qui d’ailleurs ne ferait que succ´eder `a un ´etat de moi d´ej`a cloisonn´e par suite d’une exp´erience objectale entach´ee de honte » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 267). Ce qui introduit l’id´ee qu’une capacit´e `a introjecter l’objet de la perte, donc `a ´elaborer un deuil par un remplacement progressif de l’investissement d’objet en introjection de l’objet, serait ´egalement li´ee `a la structure psychique pr´ealable de la m`ere et aux exp´eriences de perte pr´ec´edentes (et non uniquement `a la nature de l’objet perdu).

Ces auteurs donnent une explication de la m´elancolie sous un angle qui nous a sembl´e particuli`erement pertinent pour la perte pr´enatale et que nous allons donc d´evelopper ici. Toujours en suivant la distinction entre incorporation et introjection ils expliquent que l’incorporation dispense du douloureux travail de remaniement psychique qu’implique le deuil, c’est : « refuser d’introduire en soi la partie de soi-mˆeme d´epos´ee dans ce qui est perdu, c’est refuser de savoir le vrai sens de la perte, celui qui ferait qu’en le sachant on serait autre, bref, c’est refuser son introjection » » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 261). Les pertes narcissiques donnant lieu `a l’incorporation sont celles

. . . qui ne peuvent pas s’avouer en tant que pertes. (. . . ) Il ne peut s’agir que de la perte soudaine d’un objet narcissiquement indispensable, alors mˆeme que cette perte est de nature `a en interdire la communication. Dans tout autre cas l’incorporation n’aurait pas raison d’ˆetre. idem (N. Abraham & Torok, 1987, p. 261)

Dans le deuil pr´enatal, nous y reviendrons par la suite, l’entourage et le corps m´edical ont tendance `a escamoter l’´ev´enement le transformant en non-´ev´enement. L’enfant n’´etait pas n´e, il n’´etait donc pas encore admis dans la communaut´e des humains, on ne parle pas de lui. Le fœtus, nous l’avons vu, peut ˆetre assimil´e `a un objet narcissiquement indispen- sable. Nous pouvons donc penser qu’il s’agit d’un deuil qui aurait toutes les raisons d’ˆetre incorpor´e et non introject´e. Ils d´eveloppent ensuite l’id´ee de la crypte, du caveau secret : Le deuil indicible installe `a l’int´erieur du sujet un caveau secret. Dans la crypte repose, vivant, reconstitu´e `a partir de souvenirs de mots, d’images et d’affects, le corr´elat objectal de la perte, en tant que personne compl`ete, avec sa propre to- pique, ainsi que les moments traumatiques effectifs ou suppos´es qui avaient rendu l’introjection impraticable. (N. Abraham & Torok, 1987, p. 266)

Le mort est comme enkyst´e dans sa psych´e. Les travaux de Badaracco abordent souvent le discours des patients qui disent ˆetre « morts en vie », ceci pouvant ˆetre du mˆeme ordre que la crypte remplie de mort, dans la psych´e vivante de l’endeuill´e.

Tant que la crypte tient, il n’y a pas de m´elancolie. Elle se d´eclare au moment o`u les parois viennent `a s’´ebranler, souvent par suite de la disparition de quelque objet accessoire qui lui servait d’´etai. Alors devant la menace que la crypte ne s’´ecroule, le moi tout entier devient crypte, dissimulant sous ses propres traits l’objet de l’amour occulte. Devant l’imminence de perdre son soutien interne, le noyau de son ˆetre, le moi va fusionner avec l’objet inclus qu’il imaginera esseul´e de lui et va commencer au grand jour une « deuil » interminable. » (N. Abraham & Torok, 1987, p. 273).

Golse note qu’il arrive que la m´elancolie se d´eclare lors de la grossesse d’apr`es celle ayant donn´e lieu `a une interruption (IMG, MFIU), il nous semble que l’id´ee d´evelopp´ee par Torok et N.Abraham pourrait apporter une part de l’explication `a ce ph´enom`ene.