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1.3 La grossesse, paradigme d’une troisi` eme topique ?

1.3.1 Intersubjectivit´ e

« La notion d’intersubjectivit´e a un double sens. Elle d´esigne `a la fois ce qui s´epare, ce qui cr´ee un ´ecart, et ce qui est commun, ce qui articule deux ou plusieurs subjectivit´es. L’intersubjectivit´e est `a la fois ce qui fait tenir ensemble et ce qui conflictualise les espaces psychiques des sujets en lien » (Ciccone, 2014, p. 44).

1.3.1.1 Intersubjectivit´e en psychologie du d´eveloppement

Si notr e inscription ´epist´emologique est majoritairement psychanalytique, il nous semble important de souligner les travaux en psychologie du d´eveloppement qui ont ces quarante derni`eres ann´ees explor´e de fa¸con pertinente l’intersubjectivit´e chez le b´eb´e. Si la notion d’ « accordage affectif » (Stern, 1985) est connue et reconnue, les travaux de Trevar- then lui ont pr´ec´ed´e. Trevarthen postule de l’existence d’une intersubjectivit´e inn´ee : « le nourrisson naˆıt avec une conscience r´eceptive aux ´etats subjectifs des autres personnes et cherche `a interagir avec eux » (Trevarthen & Aitken, 2003, p. 312). Pour lui, la subjecti- vit´e se d´efini par la capacit´e du nourrisson `a montrer « qu’il poss`ede les rudiments d’une conscience individuelle et intentionnelle » (Trevarthen & Aitken, 2003, p. 312), tandis que l’intersubjectivit´e est sa capacit´e d’adaptation et d’ajustement de sa subjectivit´e en fonction de celle des autres. Ces capacit´es sont selon lui pr´esentes d`es 2-3 mois.

1.3.1.2 Intersubjectivit´e en psychanalyse

Ka¨es, « appareil psychique groupal » et groupalit´e psychique

J’appelle travail de l’intersubjectivit´e le travail psychique de l’Autre ou de plus-d’un- autre dans la psych´e du sujet de l’inconscient. Cette proposition a pour corollaire que la constitution intersubjective du sujet (ce que d´efinit le concept de sujet du groupe) impose `a la psych´e certaines exigences de travail psychique : elle imprime `

a la formation, aux syst`emes, instances et processus de l’appareil psychique, et par cons´equent `a l’Incs, des contenus et des modes de fonctionnement sp´ecifiques. (Ka¨es, 1993, p. 293)

Ka¨es, `a la suite de Bion puis d’Anzieu s’int´eresse aux groupes. La conception du groupe de Ka¨es se d´ecline selon deux aspects qui sont ´egalement deux espaces psychiques. Le premier aspect du groupe est celui d’une organisation des liens intersubjectifs produisant des formations et des processus psychiques sp´ecifiques (groupe empirique). « Le groupe intersubjectif est un des lieux de formation de l’inconscient » (Ka¨es, 1993, p. 12). Le second aspect est une organisation intrapsychique caract´eris´ee par les liaisons mutuelles entre ses ´el´ements constitutifs et par les fonctions que cette organisation accomplit dans l’appareil psychique (groupe interne). Ces groupes ne sont pas l’introjection pure des

objets et des relations intersubjectives. « La groupalit´e psychique est une organisation de la mati`ere psychique » (Ka¨es, 1993, p. 12). L’appareillage entre ces deux espaces implique la constitution d’un objet th´eorique d´ecrit par le concept ou le mod`ele de l’Appareil Psychique Groupal (APG).

Groupalit´e psychique et groupes internes. Ce sont « les formations et les processus `

a partir desquels la r´ealit´e psychique interne peut ˆetre articul´ee avec la r´ealit´e psychique propre au groupe » (Ka¨es, 1993, p. 127). Ce sont les organisateurs de la r´ealit´e psychique du groupe. Dans le champ intrapsychique la groupalit´e psychique d´ecrit l’organisation et le fonctionnement de l’appareil psychique : associer de la mati`ere psychique, combiner, diff´erencier, organiser en des ensembles variables, mais aussi dissocier ou r´eduire `a une masse compacte et indiff´erenci´ee ou agglom´erer (Ka¨es, 1999, p. 113). C’est une activit´e de groupement/d´egroupement de la psych´e (et non simple introjection des groupes externes). La conceptualisation du fonctionnement psychique en terme de groupalit´e n’est pas sans lien avec les th´eories des relations d’objet (Ka¨es, 1993, p. 157). La groupalit´e psychique se diff´erencie selon son niveau d’organisation (originaire, primaire, secondaire, tertiaire). Les groupes internes sont des sch´emas d’organisation et de repr´esentations actualis´es par l’´epi- gen`ese ou l’introjection des objets perdus. « Il peuvent ˆetre repr´esent´es par le sujet comme des groupes humains ou non humains, anim´es ou inanim´es, vivants, morts ou d´etruits ; diff´erenci´es ou indiff´erenci´es, organis´es en sc´enarios plus ou moins complexes et mobiles, ou se fixer dans des sc`enes fig´ees et r´ep´etitives » (Ka¨es, 1993, p. 167). La groupalit´e psy- chique peut ˆetre abord´ee sous un angle structural – les ´el´ements sont d´efinis par leur valeur de position corr´elative. C’est la configuration de liens entre des ´el´ements psychiques – ou fonctionnels. Fonction de liaison, de repr´esentation et de transformation sur les sc`enes intra et inter psychiques. Faire bouger les objets « selon les enjeux de l’action psychique `

a r´ealiser, selon les n´ecessit´es de la dynamique et de l’´economie psychique, notamment sous l’effet des censures `a contourner et `a respecter » (Ka¨es, 1993, p. 131). Les groupes internes ont une fonction articulaire entre le groupe et le sujet (comme la pulsion entre le corps et la psych´e par exemple). Les groupes internes ne peuvent se manifester que dans leurs transferts sur et dans l’espace psychanalytique.

L’appareil psychique groupal. La groupalit´e psychique est ce qui dans l’appareil psy- chique individuel est groupal. Les processus g´en´er´es dans l’espace groupal sous l’effet d’un travail psychique intersubjectif constituent l’APG. Il « rend compte des transformations psychiques dont les groupes sont les instruments, les supports et les r´esultats » (Ka¨es, 1993, p. 173). L’APG a comme caract`ere principal la m´ediation et les ´echanges entre la r´ealit´e psychique (intrapsychique, intersubjective et groupale) et la r´ealit´e groupale (soci´etale et culturelle).

La th´eorisation de Ka¨es, en proposant une topique groupale, permet de situer la th´eorie des relations d’objet dans un champ revenant aux fondements de la psychanalyse avec une prise en compte de la pulsion.

Denis, les deux formants de la pulsion Denis propose de d´ecomposer la pulsion en deux composantes libidinales li´ees entre elles mais donc aussi d´ecomposables : « l’investis- sement en emprise et l’investissement en satisfaction. Nous d´esignerons ces deux courants

d’investissement de la libido comme les deux « formants » de la pulsion. Le corollaire de cette proposition est que l’objet sera `a la fois objet d’emprise et objet de satisfaction » (Denis, 1997, p. 50). En proposant ces deux formants de la pulsion, Denis propose une m´etapsychologie qui laisse en son centre le pulsionnel mais y introduit ´egalement la place de l’objet dans un rˆole suppl´ementaire que d’ˆetre uniquement ce par quoi la pulsion trouve satisfaction. La pulsion n’est donc pas inn´ee mais elle est une « ´elaboration fondatrice du psychisme » (Denis, 1997, p. 11) ou comme le dit Isra¨el qu’il cite « la version la plus aboutie de la psychisation progressive de l’excitation ».

« L’emprise traduit une tendance tr`es fondamentale `a la neutralisation du d´esir d’autrui, c’est `a dire `a la r´eduction de toute alt´erit´e, de toute diff´erence, `a l’abolition de toute sp´e- cificit´e, la vis´ee ´etant de ramener l’autre `a la fonction et au statut d’objet, enti`erement assimilable » (Dorey cit´e par Denis, 1997, p. 23). Denis se d´ecale de cette d´efinition de l’emprise donn´ee par Dorey en consid´erant qu’elle est `a l’œuvre dans toute relation « et ne cherche pas tant l’abolition du d´esir d’autrui que de le r´eorienter vers le sujet lui-mˆeme » (Denis, 1997, p. 24).

L’id´ee de Denis est qu’en introduisant le terme d’emprise au centre de la m´etapsychologie on peut penser autrement les contradictions qui existent entre objet et relation d’objet dans la m´etapsychologie freudienne – par exemple la contingence de l’objet et `a la m´e- lancolie comme perte d’objet. L’introduction de l’emprise permet pour Denis de « mieux comprendre l’importance respective de ce que l’on d´esigne trop rapidement comme les ”ob- jets externes” et les ”objets internes” et leurs rapports r´eciproques » (Denis, 1997, p. 12). « Si Freud ne se r´ef`ere pas ailleurs, de fa¸con directe `a l’emprise, c’est qu’il a d´ecouvert l’importance du moi, du narcissisme, ce qui lui fait mettre au second plan la relation `a l’objet ext´erieur dans sa r´ealit´e, et les moyens de celle-ci, pour insister sur le conflit entre le moi et les pulsions » (Denis, 1997, p. 43). Autrement dit, penser l’emprise dans la m´etapsychologie est r´eintroduire la relation `a l’objet dans le fonctionnement psychique.

Roussillon, la valeur messag`ere de la pulsion Roussillon va lui aussi apporter un moyen de d´epasser le clivage entre th´eorie des pulsions et th´eorie des relations d’objet en parlant de la « valeur messag`ere de la pulsion » au sein d’une « th´eorie pulsionnelle de l’intersubjectivit´e » (Roussillon, 2008).

J’utilise le terme « intersubjectif » pour penser la question de la rencontre d’un sujet, anim´e de pulsions et d’une vie psychique inconsciente, avec un objet, qui est aussi un autre-sujet, et qui lui aussi est anim´e par une vie pulsionnelle dont une partie est inconsciente. Une telle d´efinition me paraˆıt tout `a fait essentielle pour souligner la place de l’objet, et de la « r´eponse » de l’objet aux mouvements pulsionnels du sujet dans le devenir psychique de ceux-ci. (Roussillon, 2004, p. 735)

Il se positionne clairement dans une perspective diff´erente de Stern et du courant « in- tersubjectiviste » am´ericain1 mais reconnaˆıt des aspects communs avec la th´eorie de Tre- varthen (1979). Roussillon refuse l’existence d’un narcissisme primaire sans m´ediation de 1. L’intersubjectivisme est une conception analytique qui s’est d´evelopp´ee aux Etats-Unis `a partir des ann´ees 80, en grande partie en r´eaction envers l’Ego-Psychologie d’Hartmann et s’inspirant, bien que d’une fa¸con lointaine, de la psychanalyse anglo-saxonne fond´ee sur la relation d’objet, de M´elanie Klein `a Winnicott en passant par Fairbairn et Balint. [Extrait du site internet de la SPP]

l’objet et de penser le d´eploiement de la pulsion sans prise en compte de la r´eaction de l’objet. Sortant du d´ebat objet interne objet externe, Roussillon rappelle que chez Freud il y a un constant va et vient entre l’objet de la pulsion et l’objet externe, qui se superposent dans le choix d’objet : « l’objet ”mis `a la place de l’id´eal du moi” que Freud d´ecrit dans les foules et l’´etat amoureux en 1921 est autant un objet ”interne” qu’un objet interne ”transf´er´e” sur un autre-sujet ´elu comme objet de la pulsion » (Roussillon, 2004, p. 739).

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A l’instar de Denis (1997), rappelant la division du trajet pulsionnel d´ecrit par Freud en 1920, Roussillon conclue que la pulsion est `a la fois chercheuse de plaisir et chercheuse d’objet, « elle est chercheuse de plaisir en rapport avec l’objet, dans l’objet et le rapport `a celui-ci » (Roussillon, 2004, p. 739). La position de Roussillon n’exclue pas pour autant le travail plus classique sur l’intrapsychique et les enjeux narcissiques des mouvements pulsionnels : « La prise en compte de la valeur messag`ere et intersubjective de la pulsion dans le travail psychanalytique ouvre un niveau d’intelligibilit´e qui ne fait pas disparaˆıtre pour autant l’analyse des composantes plus sp´ecifiquement narcissiques du fonctionnement psychique » (Roussillon, 2004, p. 744).