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2.4 Une grossesse apr` es un deuil pr´ enatal

3.1.4 L’id´ eal du Moi

Nous allons d´etailler de fa¸con plus pr´ecise l’id´eal du moi `a partir du rapport de Chasseguet- Smirgel, qui reste `a ce jour un texte de r´ef´erence.

3.1.4.1 id´eal du moi narcissique, pr´e-œdipien

Dessuant met en avant le fait que l’id´eal du moi ne peut ˆetre compris comme une instance mais plutˆot comme un fantasme que l’homme projette « en avant » (Dessuant, 1983). Ce n’est cependant pas uniquement un mod`ele `a atteindre mais bien le substitut du nar- cissisme infantile et sa reconquˆete illusoire. C’est en cela qu’il est devenu classique en psychanalyse de dire que l’id´eal du moi est l’h´eritier du narcissisme primaire tandis que le surmoi est celui du complexe d’Œdipe, « le premier tend `a restaurer l’Illusion, le second `

a promouvoir la r´ealit´e »(Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 90).

L’id´eal du moi repr´esente pour Freud un degr´e de d´eveloppement du moi. En effet, afin que le moi se constitue l’enfant doit sortir de l’´etat de fusion primaire d’avec la m`ere. C’est la non satisfaction pleine et totale de ses besoins et d´esirs, par l’interdit de l’in- ceste que repr´esenterait le retour dans la m`ere, qui am`ene l’enfant `a mettre au travail la n´ecessit´e de se constituer son propre id´eal, n’´etant plus tout `a fait lui-mˆeme dans l’´etat ´elationnel des tout d´ebuts. Il est pr´ec´ed´e par la formation du Moi-Id´eal : « formation psychique d’un moi encore inorganis´e et distinct du ¸ca, `a un moment o`u l’enfant aspire `a retrouver la toute-puissance de son premier narcissisme » (Lebovici, 1995, p. 125). L’id´eal du moi provient du narcissisme originel, de la tentative de retrouver l’´etat primaire avec la m`ere toute donnante (Murray, 1964). C’est ce qui fait dire `a Chasseguet-Smirgel que l’id´eal du moi est « un concept-charni`ere entre le narcissisme absolu et l’objectalit´e, entre le principe de plaisir et le principe de r´ealit´e, puisqu’il r´esulte de la scission entre le moi et l’objet » (Chasseguet-Smirgel,1975, p. 42). Pour elle, la pulsion ne cherche pas unique- ment un abaissement de la tension, mais aussi « une diminution de l’´ecart entre le moi et l’id´eal du moi » (Chasseguet-Smirgel,1975, p. 46), la satisfaction pulsionnelle pouvant donc accompagner une satisfaction narcissique. `A l’inverse, l’id´eal du moi d´e¸cu inflige des blessures narcissiques au moi.

3.1.4.2 id´eal du moi et complexe d’oedipe

Chez le gar¸con, c’est sur le p`ere qui, comme objet d’amour de la m`ere, sera projet´e l’id´eal du moi. Le fantasme d’inceste avec la m`ere, r´ealisable par identification au p`ere, permet- trait le retour au narcissisme fusionnel primitif et donc `a la r´eduction totale de l’´ecart entre le moi et son id´eal1. Chez la fille, le fantasme d’inceste avec le p`ere ne prend pas cette valeur d’un retour possible au narcissisme primaire, puisque l’objet premier est la m`ere. Du fait de la diff´erence des sexes la fille est contrainte `a porter son ´erotisme sur le p`ere « s’opposant ainsi au d´esir de r´eduire l’´ecart entre son moi et son id´eal dans l’union narcissique primaire » (Dessuant, 1983, p. 94). Pour Chasseguet-Smirgel, la maternit´e constitue comme nous l’avons vu (voir Chapitre 1.2.2) une issue permettant `a la femme de retrouver la fusion avec son enfant. Son id´eal du moi contiendra donc « le projet de 1. Inceste prend ici son sens ´etymologique, incastrus, non chˆatr´e, qui n’a pas perdu sa toute puissance

devenir m`ere en tant que m`ere et en tant que femme du p`ere ayant re¸cu de lui un enfant » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 49).

Chasseguet-Smirgel ´emet l’hypoth`ese d’un id´eal du moi maturatif permettant d’acc´eder `a la g´enitalit´e. C’est en effet par l’acc`es `a la g´enitalit´e, par l’identification au p`ere g´enital qui s’unit sexuellement `a la m`ere, que l’enfant peut fantasmer le retour `a la fusion primitive. Elle s’appuie sur l’id´ee freudienne des stades du d´eveloppement psycho-sexuel, et la n´eces- sit´e d’une confirmation narcissique pour passer d’un stade `a l’autre (Grunberger). Lors de l’acc`es `a la g´enitalit´e, toutes ces ´etapes doivent avoir ´et´e men´ees `a bien au risque dans le cas contraire d’une tension entre le moi et l’id´eal du moi : « L’id´eal du moi projet´e sur la g´enitalit´e comporte l’exigence de cette int´egration, c’est-`a-dire d’une ´evolution dont toutes les ´etapes ont ´et´e int´egr´ees » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 56). Toute lacune dans cette int´egration sera alors v´ecue par l’id´eal du moi g´enital comme une castration puisqu’elle met `a mal le chemin d’acc`es au g´enital et par l`a son primat.

3.1.4.3 Angoisse sociale

D`es 1914 Freud parle de l’angoisse sociale en lien avec l’id´eal du moi, voici ce qu’il dit : De l’id´eal du moi une voie significative conduit `a la compr´ehension de la psychologie des masses. Outre son cˆot´e individuel, cet id´eal a un cˆot´e social, c’est ´egalement l’id´eal commun d’une famille, d’une classe, d’une nation. Outre la libido narcissique, il a li´e un grand moment de la libido homosexuelle d’une personne, lequel est par cette voie retourn´e dans le moi. L’insatisfaction due au non accomplissement de cet id´eal lib`ere de la libido homosexuelle qui se transforme en conscience de culpabilit´e (angoisse sociale). La conscience de culpabilit´e ´etait originellement l’angoisse d’ˆetre puni par les parents, ou plus exactement de perdre leur amour ; aux parents est venu plus tard se substituer la foule ind´etermin´ee des compagnons. (Freud, 1914, p. 244) Il ajoute dans ce mˆeme texte, comme nous l’avons vu pr´ec´edemment, que l’estime de soi est nourrie par la satisfaction narcissique ´emanant en partie de l’amour de l’objet. Selon Freud, beaucoup de personnes ne constituent pas de surmoi et ainsi ne ressentent pas de culpabilit´e. En revanche ces personnes peuvent s’adapter socialement du fait d’une angoisse sociale importante (Freud, 1930), autrement dit ils ne font pas le mal de peur d’ˆetre d´ecouverts. Freud distingue deux possibilit´es : la peur d’ˆetre d´ecouvert provoquant le retrait d’amour de l’objet et celle que l’autorit´e ne les punisse. Chasseguet-Smirgel assimile le « pas vu pas pris » `a une non-int´eriorisation des interdits, une absence de surmoi et de culpabilit´e. Elle diff´erencie nettement ce qu’elle qualifie d’une simple peur de punition, de la blessure narcissique provoqu´ee par le retrait d’amour des objets. Ce retrait d’estime aboutit `a la honte.

3.1.4.4 id´eal du moi et ´epreuve de r´ealit´e

Il y a un rapport entre honte et exhibitionnisme, dont attestent les expressions qui lui sont reli´ees (« j’aurais voulu disparaitre », « me cacher dans un trou », etc.). Freud avait d´ej`a marqu´e le lien entre id´eal du moi et groupe social. Chasseguet-Smirgel appuie et avance dans cette direction en postulant le rˆole de miroir r´efl´echissant du moi et de ses failles jou´e par les semblables :

Tout se passe comme si notre sentiment de valeur personnelle, notre estime de soi, la tension ou au contraire l’harmonie entre notre moi et notre Id´eal d´ependaient, pour une large part, de l’image que nos pairs nous renvoient de nous-mˆemes, comme si c’´etait `a travers nos semblables que nous avions la preuve de la valeur ou l’absence de valeur de notre moi. (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 167)

L’hypoth`ese de Chasseguet-Smirgel est que le moi, n’ayant pas de correspondance externe, ne poss`ede aucun autre moyen de se soumettre `a l’´epreuve de r´ealit´e que celui de se voir dans le miroir de ses semblables (homosexu´es). La distance que peut prendre l’individu par rapport `a l’opinion des autres d´epend essentiellement des confirmations narcissiques de la m`ere `a l’´egard de son enfant (Grunberger) et de ses identifications `a des objets id´ealis´es. Poursuivant le lien avec l’exhibitionnisme, l’auteure met en avant la possibilit´e qu’a le moi psychique de s’identifier au moi corporel pour y trouver un repr´esentant. « L’´epreuve de r´ealit´e, quant `a la valeur de notre moi psychique, tend ainsi `a se confondre, `a un certain niveau, avec le jugement port´e sur notre moi corporel » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 169). Cependant, elle souligne que la confusion entre le moi psychique et le moi corporel est une version r´egressive de cette identification du moi psychique au moi corporel qui aboutit `a l’alt´eration de l’´epreuve de r´ealit´e (un beau corps n’implique pas une belle ˆame). C’est sans doute, dit encore l’auteure, ce qu’il se produit chez les sujets « narcissiques » semblant n’investir que leur corps, et chez qui la moindre faille corporelle ou signe de vieillissement est insupportable. Chez l’homme, le p´enis est un double du moi pouvant servir `a son ´eva- luation. « L’absence de ce double chez la femme contribue sans doute `a la rendre d’avantage tributaire de « l’opinion », renforce sa d´ependance et son besoin de confirmation narcis- sique » (Chasseguet-Smirgel, 1975, nbp p. 171). Par extension, si comme cela a ´et´e d´ecrit, porter un b´eb´e ´equivaut psychiquement `a poss´eder le p´enis, il est compr´ehensible que chez certaines, ce moment fort de confirmation narcissique par auto-´evaluation (la femme voit son ventre, le photographie), provoque une blessure narcissique d’autant plus importante si la grossesse venait `a s’interrompre.

Il y aurait donc une exhibition devant des doubles (homosexu´es) visant `a obtenir une satis- faction narcissique. Lorsque celle-ci ´echoue apparaˆıt un affect de honte. Mais Chasseguet- Smirgel ajoute que ce n’est pas uniquement selon elle la blessure narcissique qui pro- voque l’affect de honte mais aussi la « resexualisation de l’homosexualit´e qui en r´esulte » (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 174) par l’assimilation de cette non-reconnaissance `a une castration g´enitale « v´ecue comme devant entraˆıner une p´en´etration passive ». Elle d´egage donc la s´equence suivante :

Le d´esir de recevoir une confirmation narcissique de ses semblables (de diminuer la marge entre le moi et l’Id´eal) am`ene le sujet `a s’exhiber devant eux. Si cette exhibition ´echoue `a assurer la satisfaction (s’il se produit une blessure narcissique ou une « rebuffade sociale »), la resexualisation de l’homosexualit´e rend la blessure narcissique ´equivalente `a une castration, et l’exhibition `a une exposition de l’anus. La honte exprime la proximit´e de ce fantasme sexuel. (Chasseguet-Smirgel, 1975, p. 177)